Le 25 février 2017, le roi Mohammed VI en séjour en Guinée a fait officiellement part de son intention d’intégrer le Maroc au sein de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao). Pour éclairer la lanterne de ses lecteurs sur ce que disent les textes et de comment la Cedeao pourrait apprécier cette demande, la rédaction de Niamey et les 2 Jours a interrogé Jemal Taleb, juriste franco-mauritanien et chercheur en Sciences politiques.
Bonjour Jemal Taleb. Le Maroc fait officiellement part de sa volonté d’intégrer la Cedeao en tant que membre à part entière. Que disent les textes à ce sujet sachant que le royaume chérifien est logé au nord du continent ?
Jemal Taleb : On a le droit légitimement de penser que le Maroc, pays dont l’ancrage africain se confirme en dépit d’une longue absence de l’UA (Union africaine, ndlr), veuille renforcer son positionnement régional en demandant à adhérer à la Cedeao. Certains observateurs pensent qu’il y a derrière cette stratégie, une course avec l’Algérie et cela se traduit par sa volonté d’enterrer l’UMA (Union du Maghreb Arabe, ndlr). Cela rappelle aussi la guerre que Kadhafi faisait à la Ligue arabe avant son rapprochement de l’UA.
Les textes de la Cedeao sont clairs : l’article 3 dispose que la Communauté vise à promouvoir la coopération et l’intégration des peuples des Etats d’Afrique de l’ouest. Or, le Maroc n’est pas un Etat de l’Afrique de l’ouest. Est-ce que pour autant cela ferme la porte à un Etat non issu de la région ? Les textes ne disent rien à ce sujet. Donc rien n’interdit aux Etats membres d’accepter le Maroc ou même de changer les statuts.
Après se posera le problème de la contrainte des traités, les objectifs de la Cedeao, et notamment la libre circulation des personnes et des biens, et l’abaissement des barrières douanières. Je ne vois pas comment le Maroc, qui n’a pas une grande politique d’accueil migratoire en direction de ces pays, va décider soudainement de les accepter sans difficultés et créer une carte d’identité commune. Comme je ne vois pas le Maroc supporter les ingérences de la Cedeao dans sa politique intérieure… Les contraintes sont importantes et il est difficile pour un pays comme le Maroc de les accepter, sauf si son amour pour le continent est à ce point immodéré et sans limites.
Pourquoi le Maroc a-t-il pris cette résolution selon vous ?
Je ne sais pas vraiment, et en dehors de l’intérêt que le Maroc accorde à la région, j’ai du mal à ne pas penser à sa rivalité avec l’Algérie. Il n’est un secret pour personne que le Maroc a entrepris une vaste offensive diplomatique multipliant dons et financements dans l’ouest de l’Afrique ces dernières années.
A quoi pourrions-nous nous attendre comme réponse de la part de la Cedeao ?
On verra ce que répondra la Cedeao et notamment le Nigeria qui est le plus grand pays de la communauté et dont la voix est prépondérante politiquement et économiquement parlant…. Mais aussi qui est le pays qui entretient d’excellentes relations avec l’Algérie et qui reconnait la RASD (République arabe sahraouie démocratique).
Quels sont les avantages dont pourrait bénéficier le Maroc en intégrant la communauté ouest-africaine ?
Il y a pour le Maroc un avantage en termes d’accès au marché de la communauté et en termes de positionnement politique. La question est plus de savoir si le Maroc va accepter les contraintes liées à cette adhésion qu’on a évoquées plus haut ou s’il compte multiplier les réserves. Nous sommes loin de ce cas pour le moment car il s’agit juste d’une déclaration d’intention.
Interview réalisée par Guevanis DOH/ Ecofin