C’est un secret de polichinelle, les actionnaires de nombre de majors pétrolières exigent aujourd’hui des compagnies plus d’engagement en faveur du climat. Des intentions et des actions à applaudir assurément, mais… Cette transition tant voulue risque fort d’avoir des conséquences dramatiques sur les économies les plus dépendantes des ressources fossiles. Celles qui, même si réchauffement climatique oblige, ne peuvent techniquement pas se permettre une réduction de leur manne pétrolière. Plusieurs pays africains ont plus de probabilités de tomber dans le chaos à la date symbolique de 2050, que d’atteindre la neutralité carbone.
Eliminons d’emblée toute équivoque quant aux visées de cet article. Il ne s’agit nullement de déresponsabiliser les pays africains producteurs de pétrole, qui en passant, se sont montrés incapables de diversifier leurs économies avant les crises de 2008 et 2014, alors que les prix du baril passaient la barre des 100 dollars. Il s’agit plutôt de montrer que la transition énergétique, bien qu’elle soit salutaire pour l’environnement, risque de plonger plusieurs pays africains dans une dangereuse instabilité.
Depuis quelques années, le secteur pétrolier fait l’objet d’une pléthore d’attaques venant de toutes parts : des activistes pro-environnement intransigeants, aux financiers en passant par les gouvernements hostiles, etc. La pression exercée par les lobbies du tout vert est si forte qu’elle a obligé les plus gros producteurs de pétrole à établir des plans visant à réduire leur impact carbone. Cela implique une baisse graduelle de leur production pétrolière, gazière et charbonnière. Et qui dit baisse de la production, dit aussi baisse des investissements. Le danger est que ce changement pourrait avoir un effet dévastateur sur les économies dépendantes du pétrole.
Pour certains de ces pays, les énergies fossiles représentent parfois jusqu’à 95% des exportations. Exportations qui vont pour la plupart vers les plus grosses économies du monde, désormais engagées en faveur de la neutralité, et qui investissent abondamment sur leurs territoires dans l’éolien, le solaire, la biomasse, etc. L’abandon progressif de la production d’énergies fossiles risque même de provoquer des conflits, notamment en Afrique. Le cabinet de Conseil en risques Verisk Maplecroft, a produit un excellent rapport sur le sujet en mars dernier, dans lequel il cite l’Algérie, le Nigéria, l’Angola et le Gabon comme menacés. « La transition pourrait s’accompagner de ses propres risques politiques en remettant en cause les contrats sociaux traditionnels des pétro-États : la légitimité à gouverner en échange de largesses en matière d’hydrocarbures», expliquait James Lockhart Smith, responsable risques sur les marchés chez Verisk Maplecroft.
Avec le changement, on observera chez ces États, un tarissement progressif et important des recettes pétrolières. Ces revenus sont non seulement nécessaires à l’économie, mais aussi utiles pour calmer les foyers de tension et financer des projets sociaux, comme c’est le cas au Nigéria. En effet, depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral a conclu des accords avec des milices armées du delta du Niger pour éviter que, dans leur quête d’une meilleure redistribution de la manne pétrolière, elles sabotent les installations et mettent ainsi à mal la production nationale, comme ce fut le cas en 2016. Un nouveau soulèvement armé constituerait un début d’instabilité pour le pays.
L’AIE l’a également reconnu : « Les pays où les exportations d’hydrocarbures représentent une part importante du PIB seront probablement les plus durement touchés par la transition énergétique. ». La Banque mondiale a quant à elle, désigné l’Irak, la Libye, le Venezuela, la Guinée équatoriale, le Nigeria, l’Iran, l’Algérie, l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan entre autres, comme les pays producteurs de pétrole les plus vulnérables à la transition, en raison de leur « forte exposition au secteur pétrolier et gazier et de leur manque relatif de diversification ».
Le temps passe très vite et 2050, c’est déjà demain. Comme de nombreux analystes le pensent aussi, les économies des pays africains producteurs de pétrole ne seront probablement pas prêtes avant cette échéance. Si ces pays doivent résolument financer une diversification de leurs économies, il leur faudra nécessairement puiser dans l’argent du pétrole et par-dessus tout, ils auront besoin d’un marché pétrolier plus stable. Mais ça aussi c’est une autre affaire, car pour stabiliser leurs recettes en fonction des besoins, ils auraient besoin d’un baril à au moins 100 dollars.
La poignée de pays qui sont arrivés à faire sans la manne pétrolière (comme la Norvège) représentent des exemples de réussite qui ne peuvent être facilement imités. L’accent mis par le Qatar sur la croissance industrielle non pétrolière a commencé à porter ses fruits, mais sa tentative de se glisser dans la chaîne de valeur des métaux est toujours noyée dans ses exportations d’hydrocarbures. Dans d’autres pays, notamment à Oman, les exportations de combustibles fossiles ont diminué en termes relatifs, en raison de problèmes opérationnels au sein de l’industrie pétrolière, et non parce que les exportations non pétrolières ont prospéré.
Presque aucun pays n’a réduit sa dépendance au pétrole de plus de 5% ces dernières années. Ce constat est important, car il souligne à quel point la diversification des exportations est difficile, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan politique. Si en termes de diversification, le Nigéria n’a pas bougé d’un iota depuis la crise de 2014, il apparait impossible qu’en 2050, il tienne la barre sans ses pétrodollars. Pareil pour tous les autres, même si on peut saluer les efforts d’un pays comme le Gabon qui mène tambour battant son industrialisation dans les secteurs du bois et de l’huile de palme. Le malheur de ces pays africains sera d’assister, impuissants, à un désinvestissement massif des majors dans les prochaines années. Le tarissement des capitaux étrangers va indubitablement asphyxier l’économie et devrait, au vu des estimations, engendrer une crise socio-économique sans précédent.
Ecofin