Dans une interview accordée au magazine d’actualité hebdomadaire français « Le Point », le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a abordé plusieurs dossiers de l’actualité nationale et internationale : Les relations entre l’Algérie et la France, les tensions avec le Maroc, la réouverture des frontières, les élections législatives, le Hirak…
« L’ouverture ou la fermeture des frontières est dictée par le Conseil scientifique, suivant l’évolution de la pandémie. Si nous avons fermé les frontières, ce n’est pas pour sanctionner la population, mais pour la protéger. L’Algérie a été le premier pays à imposer les tests dans ses aéroports, à fermer les crèches, les écoles, les mosquées, à interdire le public dans les stades… », a expliqué le président Tebboune, qui répondait aux questions des journalistes Kamel Daoud et Adlène Meddi, qui ont mené l’interview.
« Aujourd’hui, nous recensons environ 200 cas par jour, alors que des pays plus développés en sont à 20 000, voire 30 000 cas par jour. Mais le virus est là, et à tout moment, les chiffres peuvent remonter. Si cela arrive, les Algériens nous en voudront d’avoir commencé à rouvrir les frontières. Et si la situation se dégrade, nous refermerons », a-t-il expliqué, en ajoutant : « Même avec les frontières fermées, nous avons rapatrié un peu plus de 80 000 Algériens. Aux frais de l’État. Aucun pays n’a fait ça. »
S’agissant de la campagne de vaccination contre la Covid-19, le président Tebboune a indiqué : « Le rythme de la vaccination suit le bon vouloir des Algériens, car nous ne voulons pas l’imposer, mais nous allons lancer de grandes campagnes de sensibilisation ». Il a rappelé que Algérie « a commencé à vacciner en janvier avant presque tous les pays africains. Les vaccins sont justement là pour ceux qui en font la demande ».
Opposition : « Certains ambassadeurs induisent en erreur les pays auxquels ils appartiennent »
Concernant les élections législatives du 12 juin, le chef de l’Etat a indiqué : « Ce que j’observe à travers tout le pays ne dit pas que les Algériens, dans leur majorité, sont opposés aux élections législatives. » « Vous me dites une « bonne partie de l’opposition » : combien sont-ils ? Au vu des instruments de mesure dont nous disposons, il s’agit d’une minorité qui se présente comme une majorité grâce à une médiatisation à outrance, notamment outre-mer. Certains ambassadeurs, malheureusement, ne voient que cette minorité et ne vivent qu’avec elle, et ignorent la majorité des Algériens, induisant en erreur les pays auxquels ils appartiennent…
« Je sais qu’il y a un engouement pour ces législatives, notamment chez les jeunes, alors que tout récemment, ils ne s’inscrivaient même pas sur les listes électorales. Il n’y a pas d’autre issue. Et tous ceux qui veulent entraîner le pays vers l’aventure sont en train de perdre leur temps », a estimé le président Tebboune, qui a indiqué : « Quand j’étais malade et que les rumeurs enflaient, me donnant même comme décédé, la plupart des Algériens étaient angoissés, même parmi ceux qui n’ont pas voté pour moi ou qui ne m’apprécient pas. Parce qu’ils veulent que le pays reste sur la voie de la légalité. »
« Si nous n’avions pas une armée aussi moderne et aussi professionnelle, la situation en Algérie serait pire qu’en Libye »
Le président de la République a également évoqué le rôle de l’armée. Selon lui : « Le poids de l’armée est une réalité positive. » « Si nous n’avions pas une armée aussi moderne et aussi professionnelle, la situation en Algérie serait pire qu’en Libye ou en Syrie. Je rappelle que l’armée s’est retirée de la politique depuis la fin des années 1980. L’époque où des officiers de l’armée siégeaient au comité central du FLN (ex-parti unique) est terminée. L’armée ne fait plus de politique », a-t-il expliqué.
« Pendant le Hirak, certains, y compris dans les rangs de ceux qui se prétendent démocrates, ont demandé à l’armée d’intervenir. Elle a refusé, préférant protéger le pacifisme du mouvement », a indiqué le président Tebboune, en ajoutant : « Si elle avait voulu prendre le pouvoir, elle l’aurait fait. C’était une demande populaire, le peuple l’appelait à faire cesser la comédie du cinquième mandat et la déliquescence de l’État. L’armée n’a pas pris le pouvoir et ne le prendra pas, parce qu’elle est légaliste ».
En outre, le président Tebboune a nié avoir été le candidat d’un parti lors des élections présidentielles de décembre 2019. « Je n’ai pas été le candidat d’un parti, mais celui du peuple et de la jeunesse, deux piliers sur lesquels je compte beaucoup », a-t-il dit.
« Une multitude de nos partis ne sont pas représentatifs d’un courant d’idées, mais sont construits autour d’une personne qui s’éternise à leur tête, sans aucune volonté d’ouverture ou de réforme… », a-t-il critiqué, en soulignant : « Attention, je ne dis pas que je ne crois pas en la classe politique, mais elle représente peu de chose par rapport à un peuple. »
Et d’ajouter : « Tous les partis réunis ne totalisent pas 800 000 militants, alors que nous sommes près de 45 millions d’Algériens ! Plus tard, peut-être, lorsque les institutions auront repris leur place et leurs fonctions, libérées du diktat de l’argent sale, on pensera à créer un parti présidentiel. Mais pas pour le moment. »
« L’islam politique ne me gêne pas, parce qu’il n’est pas au-dessus des lois de la République »
Tebboune a indiqué qu’à son arrivée au pouvoir après les élections présidentielles de décembre 2019, l’Algérie était « au bord du gouffre. » « Heureusement qu’il y a eu le sursaut populaire, le Hirak authentique et béni du 22 février 2019, qui a permis de stopper la déliquescence de l’État en annulant le cinquième mandat, qui aurait permis à la « issaba » [le « gang », conglomérat d’oligarques et de hauts responsables, NDLR], ce petit groupuscule qui a phagocyté le pouvoir et même les prérogatives de l’ex-président en agissant en son nom, de gérer le pays », a-t-il rappelé.
Le chef de l’Etat a également évoqué son éphémère passage à la tête du gouvernement il y a quatre ans. « En 2017, j’étais déjà convaincu que l’Algérie allait droit dans le mur, que si la déliquescence des institutions se poursuivait, elle allait aussi impacter l’État-nation même, pas uniquement le pouvoir. On ressemblait de plus en plus à une république bananière, où tout se décidait dans une villa sur les hauteurs d’Alger [à Ben Aknoun, lieu de rencontre des oligarques et de leurs relais du pouvoir, NDLR]. Les institutions étaient devenues purement formelles, à l’exception de l’armée, qui a pu sauvegarder sa stature. »
« Il fallait donc agir et j’ai proclamé, en tant que Premier ministre, devant le Parlement, que le salut viendrait de la séparation de l’argent et du pouvoir. Ma famille et moi en avons payé le prix, mais cela fait partie du risque de l’exercice du pouvoir », a-t-il dit.
Evoquant l’islamise, le président Tebboune a indique : « L’islamisme en tant qu’idéologie, celle qui a tenté de s’imposer au début des années 1990 dans notre pays, n’existera plus jamais en Algérie. Maintenant, l’islam politique a-t-il bloqué le développement de pays comme la Turquie, la Tunisie, l’Égypte ? Non. Cet islam politique-là ne me gêne pas, parce qu’il n’est pas au-dessus des lois de la République, qui s’appliqueront à la lettre ».
Sur la décision de classer le mouvement Rachad et le MAK comme organisation terroristes , il a répondu : « parce qu’ils se sont eux-mêmes déclarés tels. Rachad a commencé à mobiliser tous azimuts, à donner des instructions pour affronter les services de sécurité et l’armée. Le MAK a tenté d’agir avec des voitures piégées. Face aux appels à la violence, la patience a des limites ».
Interrogé sur l’impact des poursuites judiciaires contre les oligarques sur les milieux d’affaires en Algérie, le président Tebboune a répondu : « Nous avons déjà fait plus que le nécessaire pour les rassurer. Nous avons réuni, à deux reprises, les patrons algériens ; nous avons pris des mesures dans les lois de finances. S’ils ont des choses à se reprocher, je n’y suis pour rien. La justice a pris tout son temps pour juger ceux qui ont indûment touché à l’argent public, on n’accuse personne à la légère. »
Relations avec la France et le Maroc
Concernant les relations entre l’Algérie et la France, le président Tebboune a indiqué : « Les Algériens attendent une reconnaissance totale de tous les crimes (…) Car pourquoi tient-on à la reconnaissance de ce qu’ont subi les Arméniens, les juifs, et ignore-t-on ce qui s’est passé en Algérie ? »
« Ce que nous voulons, c’est une mémoire apaisée, reconnue. Qu’on sorte de cette fable d’Algérie terra nullius où la colonisation aurait apporté la civilisation. Cela dit, ce n’est pas la France de Voltaire, la France des Lumières que l’on juge. C’est la France coloniale. Nous n’oublierons d’ailleurs jamais que de nombreux Français ont rejoint le combat des Algériens, et aujourd’hui nous nous inclinons devant leur mémoire. Le passif, une fois réglé, permettra une amitié durable entre les deux nations. Boumédiène avait dit à Giscard qu’on voulait tourner la page mais sans la déchirer. Et pour ce faire, il faut des actes », a-t-il dit.
Et d’ajouter : « Nous respectons tellement nos morts que la compensation financière serait un rabaissement. Nous ne sommes pas un peuple mendiant, nous sommes un peuple fier et nous vénérons nos martyrs. » Sur le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie, Tebboune a dit que « Stora est un historien qui n’a jamais été dans l’excès » et a été « toujours proche de la vérité », en précisant que son rapport est destiné au président français Emmanuel Macron « mais qui ne nous est pas adressé. »
Au sujet des relations avec le Maroc, le président de la République a rappelé : « Dans cette relation, le rôle honorable revient à l’Algérie. La rupture avec le Maroc – et je parle de la monarchie, pas du peuple marocain, que nous estimons – remonte à tellement longtemps qu’elle s’est banalisée. » « Le Maroc a toujours été l’agresseur. Nous n’agresserons jamais notre voisin. Nous riposterons si nous sommes attaqués. Mais je doute que le Maroc s’y essaie, les rapports de force étant ce qu’ils sont. », a-t-il déclaré.