Dans cet entretien, l’expert financier, Mourad El Besseghi, réagit sur les décisions prises dans l’avant- projet de loi de finances complémentaire 2021 en particulier les mesures pour supprimer la double imposition des produits de la finance islamique, à l’instar des mesures fiscales affectant la taxe sur les bénéfices des sociétés et la taxe sur l’activité professionnelle.
Algérie-Eco : Le ministre des Finances, a présenté lors de la réunion du Gouvernement l’avant-projet de loi de finances complémentaire pour l’année 2021.
Un texte qui a apporté plusieurs modifications à la loi initiale, notamment dans l’augmentation des dépenses budgétaires et la revue à la hausse de certaines taxes pour soutenir les recettes de l’Etat. Qu’en pensez-vous?
Mel Besseghi : Il faut tout d’abord rappeler que logiquement la loi de finances complémentaire est exceptionnelle. On y a recours lorsque des événements ou des situations imprévues se présentent. Or il est constaté que depuis au moins une quinzaine d’années, elle est érigée en règle. Généralement, avant même de terminer avec les formalités d’adoption et de mise en place de la loi de finances annuelle, on songe à la complémentaire. Une habitude qui met en exergue l’absence de maitrise des prévisions d’une part, mais aussi une instabilité chronique, sur tous les plans, dans laquelle l’Algérie s’est durablement installée. L’absence de coordination entre les institutions chargées de produire et de gérer les finances publiques, le contexte d’élaboration des lois de finances lesquelles sont souvent confectionnées en vase clos sans concertation avec les différents parties intéressées, est à l’origine de cette situation.
On ressent ici, le besoin de la mise en place d’une structure de planification qui sera chargée d’assurer une cohérence générale et une harmonie entre la recette et la dépense publique. Le ministère du plan qui avait existé dans les années 80 ainsi que le ministère de la prospective qui a été créée plus récemment puis supprimé pour des raisons inconnues, étaient en principe destinés, entre autres, à combler cette lacune. En attendant, les équilibres sont assurés par l’administration des finances qui fonctionne naturellement, plutôt avec une logique distributive.
Ce qui est remarquable dans cet avant-projet, c’est l’augmentation sensible des dépenses publiques et en particulier le budget de fonctionnement qui évoluera de 530 milliards pour atteindre 5660 milliards de dinars et le budget d’équipement de 179 milliards pour atteindre 2970 milliards de dinars. A un moment, ou la rationalisation de la dépense publique doit être le maître mot qui doit guider toutes actions gouvernementales, ces substantielles augmentations ne semblent pas s’inscrire dans cette voie. En effet, ces augmentations confirment que les programmes ont été mal évalués dans la loi de finances initiale et que les dépenses ont été déterminées de façon très approximative. Or il y a des choix de modèle, des méthodes et des instruments qui permettent d’aller vers la précision pour éviter de tels écarts. Les différentes réformes introduites ont toutes convergés sur les choix par objectif, qui étaient supposés assurer des liens entre les ressources utilisées et les objectifs visés, autrement dit entre les sommes dépensées par secteur et les résultats attendus. A priori, nous sommes loin de cette démarche.
Dans le cas de cette loi de finances complémentaire 2021, les augmentations dans les dépenses sont justifiées par la revalorisation de rappels de salaires, la prise en charge des dépenses relatives aux prochaines élections législatives et la prise en charge de certaines dépenses liées aux « zones d’ombre ».
Les recettes budgétaires avoisineront les 5 330 milliards de dinars, dont 3 400 milliards de dinars de recettes issues de la fiscalité ordinaire et 1920 milliards de dinars de recettes issues de la fiscalité pétrolière, soit l’équivalent de 14,45 milliards de dollars. Les recettes ordinaires dépassent de loin la fiscalité pétrolière malgré un raffermissement du prix du baril de pétrole qui frôle les 70 dollars le baril actuellement. Il est également prévu des exportations de carburant à hauteur de 23,6 milliards de dollars contre 30,4 milliards de dollars d’importation.
Au titre des agrégats macroéconomiques, la croissance hors hydrocarbures prévisionnelle sera est de 3,1%, une parité de change DA/dollars de 142 et un taux de croissance du PIB à 4,5%.
L’avant-projet de loi a prévu aussi une hausse d’une taxe additionnelle pour la production des produits de tabac, pour atteindre les 32 DA pour un paquet de tabac au lieu des 22 DA actuels, est-ce une bonne décision à votre avis?
En effet, il est prévu une augmentation de la taxe additionnelle introduite en dans la loi de finances 2002, pour la production des produits tabagiques, pour faire passer de 22 DA le paquet à 32 DA. Il est également instauré une nouvelle taxe complémentaire de 10% sur les bénéfices des sociétés de tabac qui passera de 19% à 29% pour les sociétés productrices de tabac.
La mouture présentée par le ministre des Finances propose, par ailleurs, de réduire le montant lié à la libéralisation obligatoire du capital social de 500 millions de dinars à 100 millions de dinars pour ceux qui souhaitent investir dans la production de tabac destiné à la chique ou à la mastication, ce qui ouvrirait la voie à l’investissement dans l’industrie du tabac à chiquer.
Les conséquences sanitaires des tabacs sur le citoyen ne sont plus à démontrer. Toutes mesures qui entrent dans ce cadre pour dissuader le consommateur et décourager la consommation est en soi même une économie sur les dépenses de santé.
Le gouvernement a présenté, à travers le projet de loi de finances complémentaire, plusieurs propositions de procédures et de mesures pour supprimer la double imposition des produits de la finance islamique, à l’instar des mesures fiscales affectant la taxe sur les bénéfices des sociétés et la taxe sur l’activité professionnelle, un commentaire sur le sujet?
L’argent non bancarisé évalué à 6.000 milliards de DA, circule à très grande vitesse sur le marché informel.
Pour y faire face, plusieurs mesures ont été éprouvées sans résultat tangible ou probant. L’introduction de la finance islamique et l’offre de produits qui répondent aux préceptes de la Chariaa se heurtent, entre autres, au problème de la fiscalité. En particulier la double imposition, qui résulte de l’achat et la vente des équipements par exemple dans la moudharaba ou la mousharaka. Pour encourager la finance islamique, la loi de finances complémentaire 2021, a introduit plusieurs mesures de nature à donner une impulsion aux produits financiers concernés. En effet, le gouvernement a présenté, à travers le projet de loi de finances complémentaire, plusieurs propositions qui soutiennent la finance islamique, y compris des mesures fiscales affectant l’impôt sur les bénéfices des sociétés et la taxe sur l’activité professionnelle.
A titre d’exemple et dans un souci d’équité fiscale, lors des transactions commerciales, ce n’est que la marge bénéficiaire qui est soumise à la TVA afin d’éviter la double imposition. Il en sera de même pour la détermination du résultat imposable soumis à l’IBS.