La Banque mondiale a publié le 20 avril son premier rapport 2021 sur les perspectives des marchés des matières premières (CMO). La lecture du document confirme la tendance haussière du prix du minerai de fer que les experts de l’institution de Bretton Woods attribuent à la conjonction de plusieurs facteurs favorables qui devraient maintenir les prix dans leur fourchette actuelle durant le reste de l’année. Pour la Mauritanie et sa compagnie nationale de fer, la SNIM, c’est une opportunité pour en finir avec les difficultés actuelles et relancer définitivement un secteur essentiel de l’économie nationale.
La meilleure situation depuis 10 ans : Fin 2020, certains analystes évoquaient une bulle spéculative pour expliquer la hausse du minerai de fer et lui prédisaient une chute rapide. « Il est impossible que le minerai de fer se situe à 150 dollars uniquement sur la base des fondamentaux de l’offre et de la demande […] », arguait l’analyste Attila Widnell, cofondateur de Navigate Commodities.
Selon lui, le marché étant en déséquilibre en ce moment, les investisseurs négocient sur des métaux industriels comme le minerai de fer pour spéculer sur les performances de l’économie chinoise. Pourtant, la chute se fait toujours attendre.
Cours du minerai de fer sur 5 ans (Source Index Mundi) : Dans son premier CMO de l’année, la Banque mondiale indique que les prix du minerai de fer ont bondi de 25 % au cours du premier trimestre. Mais la progression est bien plus importante quand on se réfère aux prix du marché durant le mois d’avril. S’il a déjà battu plusieurs records l’année dernière, notamment celui du produit minier le plus performant sur les marchés boursiers devant l’or (!), le minerai de fer continue en effet de monter. Après avoir franchi la barre des 150 $ début décembre, il s’est échangé à plus de 180 $ la tonne le 19 avril, un niveau que la matière première n’avait plus atteint depuis mai 2011, pratiquement une décennie.
Après avoir franchi la barre des 150 $ début décembre, il s’est échangé à plus de 180 $ la tonne le 19 avril, un niveau que la matière première n’avait plus atteint depuis mai 2011, pratiquement une décennie.
La plupart des observateurs semblent désormais d’accord : le minerai de fer profite bien d’une conjoncture de fond. La meilleure illustration de ce revirement est celle donnée par le géant Fitch. Mi-février, la société de recherche et d’analyses a estimé dans un rapport que le prix du fer suivrait une tendance à la baisse jusqu’en 2025, avec entre autres 120 $ la tonne cette année et jusqu’à 75 $ avant cinq ans. Quelques semaines plus tard, elle a revu ses prévisions, annonçant un prix de 125 $ la tonne à moyen terme, ce qui reste malgré tout en dessous des prix actuels du marché. La Banque mondiale estime par contre que le produit se négociera à environ 135 $ la tonne à l’issue de l’année 2021. En ce qui concerne ces vents favorables qui portent le minerai de fer, notons qu’ils sont liés d’une part à la reprise économique mondiale marquée par une hausse de la demande, et d’autre part aux problèmes d’approvisionnement.
Le principal moteur de cette croissance des prix en ce début d’année est la demande chinoise. Alors que son industrie a plus ou moins tourné au ralenti en 2020, l’empire du Milieu consomme actuellement de grandes quantités de fer pour la production d’acier. C’est d’ailleurs l’annonce récente d’une hausse de 19 % en glissement annuel de la production d’acier fin mars qui a permis au minerai d’atteindre les 180 $, il y a quelques jours.
Dans leurs premiers rapports trimestriels de l’année, les principaux producteurs de minerai de fer ont en effet collectivement signalé une baisse de la production en glissement trimestriel, qui va de 12 % chez Rio Tinto à 19,5 % chez Vale.
Les investisseurs pensent que cette forte consommation d’acier va accroitre davantage la demande chinoise de fer, à un moment où les producteurs font face à des difficultés opérationnelles. Dans leurs premiers rapports trimestriels de l’année, les principaux producteurs de minerai de fer ont en effet collectivement signalé une baisse de la production en glissement trimestriel, qui va de 12 % chez Rio Tinto à 19,5 % chez Vale.
La SNIM bien placée pour saisir l’opportunité : Tous les pays producteurs de fer devraient se réjouir des perspectives présentées ci-dessus, mais la situation aura une saveur particulière en Mauritanie. C’est en effet son premier produit d’exportation et les déboires de la matière première en bourse ces dernières années ont affecté, aussi bien l’économie que la compagnie nationale active dans le secteur, la Société Nationale Industrielle et Minière. Selon l’Itie, la valeur de la production mauritanienne de minerai de fer est ainsi tombée à environ 519 millions $ en 2017, contre plus d’un milliard un an plus tôt. À ces facteurs externes s’ajoutent d’autres difficultés internes à la SNIM qui a fait face ces derniers mois à des accusations de mauvaise gestion ou de malversations financières impliquant notamment l’ex-chef de l’Etat Mohamed Ould Abdel Aziz. Épinglé aussi par un rapport parlementaire, l’administrateur général de la société Mokhtar Ould Djaye a été évincé en mars dernier.
Cependant, du côté des opérations minières, tout semble au beau fixe pour tirer profit de la hausse des prix du fer. Alors que sa production annuelle tourne entre 12 et 13 millions de tonnes actuellement, la SNIM a dévoilé un plan ambitieux visant à doubler ce chiffre à l’horizon 2026.
Alors que sa production annuelle tourne entre 12 et 13 millions de tonnes actuellement, la SNIM a dévoilé un plan ambitieux visant à doubler ce chiffre à l’horizon 2026.
Le programme stratégique d’entreprise 2020-2026 vise par ailleurs 18 millions de tonnes déjà en 2024. Pour y arriver, la société développe un certain nombre de projets. Elle va notamment réaménager plusieurs installations, dont l’usine Guelb1, et concrétiser son vieux projet de dragage du port minéralier. Une avancée importante a même été déjà réalisée dans le cadre de ces objectifs avec l’inauguration en novembre dernier de nouvelles installations de traitement de minerai à T014.
Inauguré par le président Mohamed Ould El-Ghazaouani, le site de 68 millions $ a été financé exclusivement sur les fonds propres de la SNIM. Il permettra à la compagnie d’augmenter sa production de 2 millions de tonnes par an. La production de la société devrait donc déjà augmenter en 2021 et, avec la hausse des prix du minerai de fer, offrir à la SNIM une meilleure assise financière pour développer tous ces projets. Si la société a pu manquer de motivation sur la dernière décennie, elle a désormais l’occasion de se rattraper avec la situation actuelle sur le marché mondial.
Notons qu’en allant au bout de ses idées, la SNIM pourrait bien accroitre son influence sur l’économie mauritanienne. La société contribue actuellement à 15 % du PIB selon certaines sources et représente 30 % des recettes d’exportations. La SNIM est également le premier employeur privé du pays.
Une opportunité limitée dans le temps : Si tous les voyants semblent au vert pour permettre à la Mauritanie de tirer profit de la hausse historique du cours du minerai de fer, il faut néanmoins apporter quelques nuances. La situation actuelle risque de ne pas perdurer. À titre d’exemple, malgré leurs difficultés, Rio Tinto et Vale n’ont pas changé leurs prévisions de production pour 2021. Le dernier cité vise d’ailleurs 400 millions de tonnes de fer d’ici 2022, contre 312 à 335 millions cette année. Par ailleurs, la demande chinoise pourrait revenir à des niveaux d’avant la pandémie dans les prochains mois, sous l’influence d’une régularisation de la situation générale, le boom actuel étant provoqué par la forte reprise économique.
La Banque mondiale voit d’ailleurs le minerai descendre à 100 $ la tonne dès l’année prochaine. L’apparition d’une nouvelle vague mondiale de coronavirus est aussi un facteur qui peut à nouveau réduire la demande et faire baisser les prix. Quoi qu’il en soit, pour la SNIM et la Mauritanie, l’objectif reste le même, tirer le meilleur profit possible de la situation.
Ecofin