Depuis 2016, l’Union internationale des télécommunications (UIT) interpelle avec insistance les gouvernements africains sur la nécessité de renforcer la connectivité rurale. Longtemps jugée coûteuse en déploiement et peu rentable, elle a désormais de fortes chances de susciter davantage d’intérêt suite aux leçons apprises de la crise sanitaire actuelle. Son potentiel transformateur ne demande qu’à être libéré.
Dans son rapport « The State of Mobile Internet Connectivity 2020 », l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA) déplorait le fait que l’Afrique détenait encore le plus grand écart de connectivité entre les zones rurales et urbaines. Le taux de pénétration d’Internet mobile n’était que de 16% en milieu rural contre 40% en zone urbaine.
La population totale africaine est estimée à 1,35 milliard d’individus et sa composante rurale s’élève à 753 millions personnes, soit 56 % de la population du continent, selon les données 2020 de Worldometers.info. Or, c’est seulement 120 millions de personnes qui accédent à Internet sur mobile en zone rurales contre 235 millions en zone urbaine.
Pour l’Internet fixe, le taux de pénétration n’était que de 6% en zone rurale contre 28% en ville. Une situation qualifiée de préjudiciable pour le continent qui a pourtant fait du numérique une composante essentielle de sa relance économique post Covid-19 et même de sa croissance future.
Potentiel négligé : En 2020, l’activité économique en Afrique a été secouée par la pandémie mondiale du coronavirus. Selon le groupe de la Banque africaine de développement (BAD), le produit intérieur brut réel du continent qui s’est contracté de ce fait de 2,1 % devrait croître de 3,4 % en 2021. La relance économique prévue après « la pire récession enregistrée depuis plus d’un demi-siècle » selon la BAD, sera soutenue par la reprise d’activité dans plusieurs secteurs stratégiques, bien que ces perspectives soient toutefois sujettes à une grande incertitude liée à des risques externes et internes. Le secteur des télécommunications, qui a bien résisté à la crise, pourrait faire des zones rurales de véritables bassins économiques en accélérant la transformation de l’agriculture, principale source de richesses. Avant la crise du Covid-19, le numérique changeait l’économie mondiale et les systèmes agroalimentaires faisaient partie de cette transformation, notamment en Afrique. Avec la Covid-19, cette tendance s’est accélérée.
Le 10 juin 2020, Gerard Sylvester, le chargé des investissements de la FAO, affirmait qu’alors qu’il existe une opportunité de mieux reconstruire dans le secteur agricole. Il militait pour que les petits agriculteurs puissent recevoir et appliquer des conseils numériques et autres produits de connaissances avec des contenus pertinents, localisés et exploitables. Lors du webinaire sur la transformation de l’agriculture en Afrique grâce à la numérisation, organisé conjointement par le Centre d’investissement de la FAO et la Banque africaine de développement, Ed Mabaya, le directeur de la division agro-alimentaire de la Banque, estimait à sa suite que « la croissance démographique, associée à l’expansion de la classe moyenne, à la prolifération des jeunes et à l’évolution des régimes alimentaires, pourrait porter la valeur du marché alimentaire africain à 1 billion USD dollars d’ici 2030 » avec le soutien du numérique rendue possible par la connectivité rurale.
Le secteur agricole qui représente en moyenne au moins 15 % du produit intérieur brut (PIB) de la majorité des pays d’Afrique, selon la « Oxford Business School », pourrait ainsi contribuer davantage à la santé économique du continent. Selon les prévisions des Nations unies, la population africaine qui était déjà d’1,3 milliard de personnes en 2020 devrait atteindre 1,7 milliard en 2030, avec une majorité jeune. Une majeure partie de cette population devrait encore vivre en milieu rural jusqu’en 2040. La connectivité rurale contribuerait à lui créer de meilleures conditions de vie.
Bonne volonté : Principaux acteurs du développement en Afrique, les opérateurs télécoms sur qui les gouvernements ne cessent de faire pression pour apporter de la connectivité dans les zones rurales, ont toujours traîné des pieds pour franchir ce pas au regard du coût élevé de l’investissement que cela représente contre de faibles revenus. Mais des partenaires au développement à l’instar du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth, conscients depuis longtemps de l’impact bénéfique de la connectivité rurale sur le développement de l’Afrique, ont trouvé des parades pour inciter les telcos à s’attaquer véritablement à cette problématique. C’est ainsi qu’est né le Fonds d’innovation de la société connectée pour la connectivité rurale en 2018, géré par la GSMA. Il finance les solutions qui apportent de la connectivité Internet dans les communautés reculées.
Huawei est l’un des bénéficiaires de ce fonds. Il permettra à la société chinoise de déployer sa nouvelle tour télécoms économique RuralStar Pro, présentée en février dernier lors du Mobile World Congress Shanghai 2021, dans plusieurs pays d’Afrique. RuralStar Pro, moins coûteuse, révolutionne le mode de station de base traditionnel avec sa conception tout-en-un qui intègre la bande de base, la fréquence radio et le backhaul LTE sans fil dans un minuscule boîtier.
Cette conception prend en charge l’auto-liaison sans fil LTE, compensant les faiblesses de la transmission par micro-ondes et par fibre optique. L’équipement a déjà séduit au Ghana, où Kofi Asante, le président-directeur général du fonds d’investissements pour les communications électroniques (GIFEC), explique que l’organe public a « accepté de prendre part à ce projet aux côtés de la GSMA parce que nous avons observé que nous avons un grand nombre de personnes qui sont dans des zones très difficiles qui réclament de la connectivité. Le fonds d’innovation est vraiment un modèle que nous pouvons suivre. Il apportera ce que nous appelons l’inclusion numérique pour les personnes qui vivent hors des zones urbaines ». Des leçons apprises de la Covid-19 sur l’importance de la connectivité, 2021 pourrait se révéler l’année pilote de grands changements en zones rurales à travers l’Afrique.
Ecofin