Il a fallu attendre qu’une nouvelle génération d’économistes soit formée aux nouvelles techniques de fonctionnement d’une économie de marché et aux nouvelles méthodes managériales, pour entrevoir une évolution économique de plus en plus positive. Nous considérons ici les analyses prodiguées et non les politiques économiques pratiquées. Une comparaison des écrits post transition (de 1990 à nos jours) révèle quelque chose de troublant. Nous demeurons l’un des rare –pour ne pas dire le seul- ex pays planifié ou une majorité d’économistes pense que l’expérience socialiste aurait produit des résultats si on ne l’avait pas abandonné. Nous demeurons le seul pays nostalgique de l’ère de la planification impérative. Cette situation aurait pu être supportable si elle n’avait pas des conséquences fâcheuses sur le mode de fonctionnement de nos institutions. Malheureusement la situation n’est pas neutre. Les répercussions sont hautement problématiques.
Même la presse s’en donne à cœur joie et les commentateurs s’oublient parfois et révèlent le fond de leur pensée. Des malfaçons dans les constructions d’HLM privées donnent lieu à des réflexions du genre : « c’est normal c’est une entreprise privée qui l’a réalisé ». Mais dans ce domaine, il y a peu de différence entre le public et le privé. Le premier est exonéré automatiquement. Comme pour les banques. Leurs patrons jurent qu’ils ne font aucune distinction entre les entreprises publiques et privées. Mais les banque le font ouvertement. Idem pour les administrations. Tout ceci est une relique de l’ère de l’économie planifiée. Nous n’avons jamais assumé dans les faits une véritable transition à l’économie de marché. Nous le prônons seulement. Mais les mécanismes mis en place n’assurent en rien une rupture irréversible. Pourtant sur une question clé nos sommes allés plus loin que nécessaire : comment structurer les décisions économiques phares et établir une cohérence entre les différents programmes dans le temps ? Nous avons fourni une réponse digne d’un pays super libéral.
Ce que nous avons compris de l’économie de Marché
A ma connaissance aucune réflexion systémique n’a été menée sur la question : comment établir une cohérence interne entre les différents départements ministériels, entre le secteur privé et l’état, entre le social et l’économique et entre le court, le moyen et le long terme ? Comment s’articulent toutes ces décisions pour produire de la cohérence ? La lecture des expériences des pays développés produit de précieuses leçons. Ces derniers ont opéré par des plans indicatifs pendant une longue période avant qu’un autre schéma ne leur soit substitué. Les priorités et les objectifs politiques furent traduits en programme d’actions au sein d’institutions clairement définis. En France c’était le commissariat au plan ou se réalisait la cohérence des différents programmes et des différentes actions des départements ministériels. L’exemple de réussite le plus connu fut celui du bureau central de planification des Pays Bas (la Hollande) présidé par Jan Tinbergen (Premier prix Nobel d’Economie avec Ragnar Frish en 1969). Ce genre de planification fut radicalement différent de la planification centralisée des pays ex socialistes. On estime à partir des travaux quantitatifs, les comportements des agents économiques et on manipule les outils pour obtenir les comportements et les objectifs désirés. Ainsi, les taxes, les lois, les crédits, les tarifs douaniers etc. Sont manipulés à des fins d’équilibres économiques.
Les économies de marché ont fait fortement évoluer leur manière de réguler leurs économies. Mais l’évolution s’est produite sous deux conditions : premièrement un haut niveau de reconstruction après guerre fut atteint. Un haut degré de maitrise managérial fut atteint par les entreprises et les institutions. Lorsque le mode de fonctionnement du tissu institutionnel fut jugé adéquat, ce sont surtout les politiques monétaires et budgétaires qui furent manipulées pour faire opérer l’économie proche de ses équilibres. On fait alors très peu de planification indicative. On s’oriente vers un autre schéma : tirer profit des travaux de nombreux Think Tanks pour en tisser un programme d’action piloté par une quelconque institution, comme un comité de conseillers ou un commissariat à la prospective. Mais l’idée d’une programmation, d’une lisibilité à long terme, d’un suivi permanent des développements nationaux et internationaux subsiste. La manière d’architecturer une cohérence économique a toujours été une préoccupation principale. Mais lors du passage à l’économie de marché nos décideurs avaient compris tout autre chose.
Ce que l’on a Compris de l’économie de Marché
Tout juste après la décision d’abandon de la planification centralisée, contrairement à beaucoup de pays en transition, le ministère du plan fut tout simplement aboli. Certes, il aurait été possible de le faire mais il fallait répondre avec beaucoup de clarté à la question suivante : qui fait la prospective, réalise la cohérence entre différents plans d’actions et gère dans les détails le processus de transition. Une myriade d’institutions furent conçues : CPE, CNES etc. mais aucune n’avait l’autorité et les ressources pour jouer ce rôle. Cette période, malheureusement vite interrompue, avait introduit des réformes d’une grande ampleur qui avaient permis à l’Algérie de faire un bond extraordinaire vers le démantèlement de l’économie planifiée. Certes les mécanismes n’étaient pas encore bien huilés mais les réformes politiques, économiques et sociales menées furent « révolutionnaires » et avaient permis des avancées extraordinaires dans tous les domaines. Cependant, cette période fut vite interrompue par la fameuse « économie de Guerre ». L’un des rares reliquats négatifs de cette période fut le problème de la cohérence décisionnelle qui ne fut jamais résolu.
On a considéré à tort que l’économie de marché établit toute seule ses propres équilibres en dehors de tout appui étatique. On croyait fortement aux vertus de la fameuse « main invisible » qui en réalité est une métaphore qui simplifie outrageusement le mode de fonctionnement de l’économie de marché. Certains pays se sont cherchés de nombreuses années avant de trouver leur modèle. Il est dommage que jusqu’à présent nous n’avons pas de réflexion concertée sur la question. Les pays émergents tels que la Malaisie, la Corée du sud ont trouvé leurs repères dans ce domaine. Des cellules de planification au niveau du premier ministère, encadrées par des institutions cerveaux (KDI en Corée), jouent ce rôle. Nous considérons encore qu’on peut faire évoluer l’économie vers une compétitivité internationale sans résoudre cette question. Pourtant les experts nationaux ont de tout temps soulevé la question. Les pouvoirs publics ne ce sont pas prononcés officiellement sur la question. Pourtant il faut produire un schéma qui tienne la route. Sinon on continuera toujours à se plaindre que les énormes ressources injectées dans l’économie ont produit des résultats dérisoires.
Pr. A. Lamiri