Revenant sur le dossier de la transition énergétique, Kamel Ait Cherif, expert international en économie d’énergie, nous explique dans cet entretien, l’importance de du mix énergétique, et insiste sur le volet de l’économie dans la consommation énergétique.
Algérie Eco : quelle évaluation faites-vous de la concrétisation de la transition énergétique qui est en débat depuis des années ?
M. Kamel Ait Cherif : Nous avons déjà soulevé la question en 2014, lors de la chute des prix du pétrole, pour dire : faisons de l’année 2015 l’année de la transition énergétique. Un appel que j’ai réitéré en 2016. Il fait savoir que la problématique du contexte énergétique nationale, nécessite cette transition, du fait que l’Algérie est un pays extrêmement énergivore, à l’image de la consommation en 2019 qui dépasse les 60 millions de tonnes équivalent pétrole, dont 80ù sont consommés par les ménages et mes transports. Le plus grave demeure le mix énergétique national, qui nécessite d’être revu, car 98% du bilan énergétique est consommé par les énergies fossiles. Dans le détail nous avons, le gaz naturel à 38%, pétrole 29%, électricité 28%, GPL 4%, énergies renouvelables 1%, ce qui fait que la transition énergétique est réellement nécessaire. Je peux aggraver la situation en disant que dans le mix carburant, vous avez 70% de la consommation qui est du diesel, 25 % qui est de l’essence, et 5% qui est du GPL/c. Dans le mix électrique plus de 96% de la consommation c’est le gaz naturel. Donc si on ne fait rien, et si ce rythme de consommation se poursuit sur cette tendance, il risque de doubler à l’horizon 2030, voire de tripler à l’horizon 2040, alors que la demande intérieure d’énergie, absorbe presque 50% de la production d’hydrocarbures à exporter. Avec ce scenario, on risque d’avoir une consommation intérieure égale à la production en 2030. La moyenne de consommation d’énergie de l’algérien est le triple de la moyenne mondiale.
Quels sont pour vous les obstacles qui ont compromis ce passage aux énergies renouvelables ?
Il est surtout question de volonté politique. Car il faut savoir, qu’il a été question de rationalisation de la consommation d’énergie depuis 1983, à travers un modèle énergétique, qui visait le développement des énergies alternatives, en l’occurrence, le GPL/c et les énergies renouvelables. Suite à quoi, en 1999 l’Algérie a voté une loi sur la maitrise de l’énergie et en 2000 on a élaboré une loi sur l’isolation thermique des bâtiments. C’est pour vous dire, que ce n’est pas les lois et les modèles qui manquent, mais c’est leurs mises en œuvre qui fait défaut, c’est l’absence des textes d’application qui entrave toute la démarche.
Pour revenir au GPL/c, quel constat faites-vous, en matière de développement de cette politique de conversion ?
Il y’ a lieu de dire, qu’entre 1983 et 2015 nous avons convertis uniquement 300 000 voitures, avec une consommation en 2015 de 300 000 tonnes, alors qu’en 2019 nous sommes passé à plus de 500 000 véhicules convertis, et une consommation de plus de 700 000 tonnes. Une augmentation de 30% qui s’explique d’abords par la hausse des prix du carburant notamment de l’essence en 2016 auxquelles s’ajoutent les mesures incitatives. A ce titre il faut savoir que la conversion de 100 000 véhicules essence en GPL/c, permettrait une économie annuelle de près de 500 millions de litres d’essence, et un gain de plus de 1 millions de tonnes sur le régime CO2, soit une économie sur la facture énergétique du pays de plus de 80 millions de dollars.
Qu’en est-il du programme des énergies renouvelables ?
L’Algérie a élaboré un programme très ambitieux en 2011, et qui a été actualisé en 2015, ou il s’agissait de réaliser 4050 Mégawatt à l’horizon 2020/2021, et 22 000 mégawatt pour 2030, mais rien n’a été fait pour des raisons qui nous échappent. Ce programme a été revu en 2020 avec le nouveau gouvernement, avec l’objectif de 4000 mégawatt en 2024 et 15 000 mégawatt en 2035. Le constat est que depuis 2011 nous avons réalisé uniquement 450 mégawatt en énergies renouvelables, alors qu’en matière de centrales électriques à turbines à gaz, les chiffres ont doublé, on est passé de 11 000 mégawatt à 20 000 en 2019. Cependant le passage aux énergies renouvelables, nécessite un investissement colossal, actuellement. Cela nous aurait coûté beaucoup moins cher il y a quelques années.
Que préconisez-vous, pour la réussite de cette transition énergétique ?
Il faut se rendre à l’évidence, on ne peut pas réaliser 1000 mégawatt par an, uniquement avec l’entreprise nationale et privée. Il faut aller vers le partenariat international, avec des entreprises spécialisées dans le domaine, car il y a un saut technologique énorme. Il faut s’adapter maintenant, avant que l’efficacité des centrales ne soit révolue. Par ailleurs, il faut savoir, et c’est très important, que les énergies renouvelables ne sont qu’une partie, de la transition énergétique. Car, même si on arrive à développer et atteindre les objectifs fixés en 2030, on ne réussira à réduire la production de l’électricité à partir du gaz que de 30% les 70% restant seront toujours produits à partir du gaz naturel. A ce titre, la transition est nécessaire mais pas suffisante. Il faut aller vers d’autres paramètres, tel que les économies d’énergies, qui représentent un gisement très important d’énergie estimé à 20%. Il s’agit notamment de gestes éco-citoyens, qui à eux seuls, peuvent assurer une économie d’énergie de 6 à 8 millions de tonnes d’énergie. Avec la conjoncture actuelle, il faudrait une transition énergétique, basée sur les économies d’énergie, et le développement des énergies alternatives, en l’occurrence, le GPL. Il est impératif pour l’Algérie de définir les objectifs du développement durable, et de replacer la transition énergétique dans les économies d’énergies, doubler le taux de croissance de l’efficacité énergétique, et surtout de mettre en place des mesures fortes pour définir de nouveaux modèles de production et de consommation d’énergie. Il faut donner la priorité à la maitrise de la consommation énergétique.