Objectif central des réformes de 1988, l’autonomie des entreprises publiques, n’a pas cessé de perdre du terrain depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika. Cette liberté d’entreprendre n’existe pratiquement plus aujourd’hui, même si ces entreprises ont gardé leurs statuts de sociétés par actions (EPE/SPA).
Contre toutes logiques et contre la législation propre aux sociétés par actions qui ne devraient avoir de comptes à rendre qu’à leurs actionnaires, ces dernières ont toutes été placées sous tutelles des ministères concernés par leurs activités. Nostalgique des idéaux du parti unique qui régentait durant les années 70, l’ex président Bouteflika est en effet parvenu, au bout de vingt année de règne sans partage, à détricoter tout ce qu’avaient patiemment construits les « réformateurs » afin de libérer les managers du secteur public économique de cette étouffante emprise des pouvoirs informels, qui les maintenaient en état de servitude permanent.
Après une éclipse qui durera jusqu’à la fin des années 90, ces donneurs d’ordres étrangers à ces entreprises (hiérarques de la présidence et de l’armée, ministres, walis, APC et autres) sont revenus de plus belle, pour reprendre en mains ces sociétés, désormais déchargées de leurs missions originelles qui consistaient à créer de la richesse et de l’emploi, pour les remettre aux services des dirigeants politiques et administratifs. Leurs cadres sont désormais jugés, non pas, sur leurs résultats managériaux, mais sur leur degré de soumission à ces hiérarques externes qui les ont placés à leurs postes et dont dépendent leurs destins professionnels.
Cette contrainte à la soumission aux hiérarques des ministères et collectivités locales, n’est en réalité pas nouvelle. Elle existe en effet depuis que l’Algérie est indépendante et que le commandement du pays est concentré aux mains des dirigeants politiques, administratifs et militaires.
Elle n’a fait qu’empirer au fil du temps et du relâchement progressif des réformes de 1988. Relâchement qui s’est accentué, comme nous l’avions écrit plus haut, sous le long règne de Bouteflika, qui avait étendu ses pouvoirs jusqu’à la sphère marchande.
Les espaces de libertés de gestion qui furent octroyés aux entreprises du secteur public marchand jusqu’au milieu des années 1990, leur ont en effet été progressivement grignotés, dès la dissolution des fonds de participation en 1996, suivie de celle des holdings publics quelques années plus tard et, depuis peu, de la disparition de certaines Sociétés de Gestion de Participations (SGP).
On se souvient que la première remise sous tutelle des EPE avait commencé avec les banques publiques qui avaient toutes quittées les Fonds de Participation et les Holdings au début des années 2000, pour rejoindre le ministère des Finances. Elles furent suivies quelques années après par les entreprises publiques de presse ( journaux et imprimeries publiques) transférées en 2008 au ministère de la communication.
Toutes les 1400 entreprises du secteur public marchand sont aujourd’hui retournées, comme au temps de l’Algérie socialiste, sous tutelles de leurs ministères respectifs.
Mais, comme pour entretenir l’illusion de leur autonomie, les auteurs de ces remises sous tutelles ont malicieusement évités de toucher au mode de gestion du secteur public économique, maintenu tel qu’hérité des réformes de 1988. Les Entreprises Publiques Economiques (EPE) continuent à être des sociétés par actions (EPE/SPA) dotées de tous les organes classiques de gestion et de contrôle qui régissent ce type d’entreprises (PDG, Conseils d’administration, Commissaires aux comptes).
En dépit de l’accaparement des pouvoirs de gestion par les tutelles ministérielles, la responsabilité pénale, continue comme par le passé, à échoir à ces seuls organes (et notamment aux dirigeants principaux-PDG), même s’ils n’avaient fait qu’obéir aux injonctions de leurs tuteurs. Au cas où ces injonctions s’écartent de la légalité, seuls ces dirigeants en payent le prix, comme le montrent les nombreux procès intentés à ces dirigeants, sans que leurs tuteurs (ministre,walis) ne soient jamais cités à comparaître.
Des sanctions pénales ou administratives s’abattront sur bon nombre de dirigeants d’EPE, mais jamais sur leurs commanditaires tapis dans les ministères et autres hautes institutions de l’Etat.
Pourtant, le Code de Commerce algérien toujours en vigueur, est on ne peut plus clair: le management des sociétés par actions est placé sous la responsabilité exclusive de leurs organes de gestion et de contrôle habilités. Les PDG et les administrateurs des EPE sont payés respectivement pour gérer la société et pour surveiller la bonne exécution de leurs business plans. Les commissaires aux comptes sont quant à eux, chargés de certifier la sincérité des comptes sociaux et saisir la justice en cas de malversations constatées.
Aucun de ces principes de base propres aux sociétés par actions, n’est malheureusement appliqué en Algérie.
Les entreprises publiques économiques sont gérées par des instances ou des individus externes à la société, qui leur donnent des ordres, sans jamais en être comptables en cas de conséquences graves pour l’entreprise.
Ces donneurs d’ordres auxquels ces dirigeants doivent obéissance, car généralement cooptés par eux, ne laissent jamais de traces écrites qui puissent les compromettre. Ils leur donnent des ordres par téléphone ou verbalement en les convoquant dans leurs bureaux. Ils réussissent ainsi à mettre ces entreprises publiques au service de leurs cupides intérêts en faisant recruter qui bon leur semble, en profitant de leurs biens et services( notamment les véhicules) et effectuant gratuitement des travaux pour leurs comptes personnels.
A l’occasion des campagnes électorales, ils utiliseront les moyens de ces entreprises pour assurer gratuitement la logistique du candidat du pouvoir.
En cas de faute pénale supposée ou réelle, ou tout simplement, lorsqu’un ministre veut se débarrasser d’un PDG indocile, les services de sécurité sont généralement saisis par ces dirigeants de l’ombre, par téléphone à l’effet d’enquêter à charge, autrement dit, à son détriment.
Beaucoup de chefs d’entreprises publiques ont, de ce fait, été injustement traînés devant les tribunaux et, pour certains, emprisonnés avant d’être blanchis au terme d’une longue procédure judiciaire.
Il a été longtemps question de dépénaliser l’acte de gestion, en revenant notamment aux principes édictés par le code de commerce, mais les textes de lois qui en ont résultés après plusieurs années d’attente, ont été plutôt décevants.
Seuls quelques aménagements, sans incidences majeures sur cette inqualifiable injustice faite aux dirigeants d’EPE, ont été apportés à la législation antérieure. Les organes de contrôle habilités de ces sociétés à capitaux publics ( administrateurs, commissaires aux comptes), continuent toujours à être réduits au rôle de figurants, laissant aux services de sécurités le soin d’effectuer des enquêtes judiciaires, à partir de simples soupçons expressément provoqués pour avoir la tête d’un PDG en disgrâce.
Les dirigeants d’EPE continuent aujourd’hui encore à subir les conséquences de ce perfide mode de gestion, au prix de privations de libertés, de destructions de carrières professionnelles et de vies familiales.
Pour que ces graves anomalies cessent, il faut d’abord et avant tout nos gouvernants fasse preuve de courage politique. Un courage consistant, entre autres, à promulguer une loi confirmant une bonne fois pour toute, le bien fondé de certaines lois qui avaient été promulguées dans le cadre des réformes de 1988.
Des lois qui, comme on le sait, furent pernicieusement mises de côté, pour préserver des intérêts mercantiles.
C’est le cas du Code de Commerce auquel on fait rarement référence dans les tribunaux, alors qu’il n’a jamais été officiellement abrogé. Ce dernier, qui définit parfaitement le mode de gestion des EPE/SPA et les procédures à suivre en cas d’abus de biens sociaux, permettra d’en finir avec la pénalisation de l’acte de gestion qui tire les résultats de ces entreprises vers le bas et empoisonne la vie des managers.