Transféré pour soins intensifs à l’étranger, Abdelmadjid Tebboune va bientôt boucler un mois d’absence en dehors de son pays. Son état de santé ne lui permettant pas de rester aux commandes d’un État qui a, plus que jamais besoin, de décisions à la mesure de la gravité des crises qui secouent le pays, l’Algérie tend à ressembler à un navire sans pilote ou d’un pays qui a « mal à la tête ».
Dans un régime ultra présidentiel comme le notre, l’absence prolongée du président de la république peut effectivement tourner au drame, comme ce fut le cas avec l’ex chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika. Depuis que le président Tebboune est absent, pas moins de quatre Conseils des Ministres, presque autant de réunions du Haut Conseil de Sécurité et autres rencontres à hauts niveaux ont en effet été annulées. Des décisions capitales que seul le président de la république, qui cumule de nombreux pouvoirs, est autorisé à prendre ont, de ce fait, dû être gelées, en attendant son éventuel retour. Un retour couvert de mystère, tant les images et les informations fiables données par les médias et les médecins traitants, font défaut. Aucun bulletin médical en provenance du personnel soignant n’a été communiqué à ce jour et les télévisions ne filment plus le président depuis son hospitalisation. Les seules informations disponibles sont celles sans relief, distillées parcimonieusement et selon la formule de la « langue de bois », par la présidence de la république.
En raison de l’absence du chef de l’Etat, plusieurs décisions capitales devant être prises en urgence, ont été bloquées. C’est le cas de toutes les grandes décisions relatives à la gestion de la pandémie de coronavirus qui reprend de plus belle après une période de reflux. C’est le premier ministre qui y fait face, mais dans la limite de ses attributions légales. Il a, à titre d’exemple, décidé du réaménagement des horaires de confinement à domicile, de l’ajournement de la rentrée universitaire et de l’interdiction de la prière du vendredi dans la nouvelle mosquée d’Alger, mais ne pouvait pas aller plus loin, comme le dicte pourtant la gravité de la situation sanitaire. D’aucuns pensent qu’il était tout aussi important de suspendre l’enseignement dans les écoles et de revenir au confinement total comme l’exige le nombre exagérément élevé de contaminations recensées, mais la constitution ne lui accorde pas ce pouvoir, exclusivement réservé au président de la république.
La saturation des hôpitaux pose également un grave problème de prise en charge des malades. Beaucoup d’algériens en appellent, à titre d’exemple à l’armée pour édifier des hôpitaux de campagnes qui viendraient alléger la pression sur les hôpitaux civils, mais le premier ministre n’est pas habilité à donner des instructions à l’institution militaire. Seul le président de la république peut le faire, mais comme il est absent cela n’a pas pu se faire, au grand dam du corps médical civil, condamné à faire face, seul, à cette trop lourde charge.
L’absence du chef de l’Etat qui détient l’ensemble des pouvoirs exécutifs, se ressent également sur le plan politique, marqué par un dangereux statu quo. Une nouvelle constitution a certes été déclarée légale par l’instance électorale nationale, en dépit des piteux résultats de participation (à peine 23%), mais pour être opérationnelle, la signature du président de la république est requise. Sera-t-il bientôt de retour pour le faire ? Nul ne le sait ! En dépit ce brouillard institutionnel, en grande partie dû au destin médical non encore défini, du président de la république, les instances de répression continuent à agir, voire à doubler d’intensité, en incarcérant à tours de bras, des activistes de divers horizons qui ont osés manifester ou dénoncer des anomalies de gestion dans les hôpitaux et les écoles. C’est une manière de gérer que seul le président de la république a le pouvoir de stopper, mais en son absence la situation semble dégénérer au point de constituer un sérieux péril pour la stabilité du pays. Le mécontentement populaire est en effet tel, qu’il peut déborder à tout moment.
Il est également temps, mais seul le président de la république pourrait le faire, d’ouvrir un dialogue avec le hirak pour définir les solutions possibles à cette crise politique qui paralyse l’Algérie depuis le 22 février 2020. Puisqu’il faudra bien, un jour au l’autre, s’asseoir à une table de négociations, le plus tôt serait évidement le mieux et l’absence prolongée du Chef de l’Etat, à défaut du quel rien ne pourra se faire dans ce sens, se ressent comme autant de temps perdu.
On n’oubliera évidemment pas, la situation économique du pays qui tend à se compliquer au gré des jours et qui a besoin de mesures fortes, que seul le président de la république pourrait prendre. Faut-il emprunter à l’étranger lorsque les recettes d’hydrocarbures et les réserves de change ne suffiront pas à couvrir les besoins incompressibles du pays ? Quelle stratégie mettre œuvre pour parer à la chute annoncée de la manne pétrogazière ? Qui effectuera les grands arbitrages dans l’affectation du budget de l’année 2021 ? Le président Tebboune sera-t-il en Algérie avant la fin de l’année pour signer la prochaine loi de finances ? Autant de questions qui requièrent la présence du chef de l’Etat et qui ne peuvent être légalement résolues sans lui.
On voit donc à quel point le « bug » créé par l’absence du président de la république détenteur de tous les pouvoirs exécutifs, se ressent gravement dans les divers rouages du régime politique algérien. Rien d’important dans la gestion du pays, ne peut se faire sans lui et son absence pourrait même tourner au drame si elle venait à se prolonger dans l’opacité la plus totale, comme c’est actuellement le cas. L’Algérie ayant subie à peu près, la même situation avec l’ex président Bouteflika, il ne faudrait surtout pas la reproduire. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a, à l’évidence, de réels risques que l’Algérie qui n’a pas encore digérée la crise de l’après Bouteflika, sombre à nouveau dans une crise politique et sociale encore plus grave.