Dans cet entretien, Mokhtar Naouri, ex p-dg de Cash assurances, donne son avis sur plusieurs sujets d’actualité qui caractérise le secteur des assurances, entre autres la nouvelle loi régissant le secteur.
Selon lui, tout le secteur des assurances attend de la loi une amélioration du développement du chiffre d’affaires des assurances et partant une plus grande pénétration de l’assurance dans l’économie nationale.
Algérie Eco : Le marché algérien des assurances connaîtra, durant l’année en cours, des réformes importantes, à la faveur de l’adoption d’une nouvelle loi régissant le secteur. Que faut-il attendre de cette nouvelle loi ?
M. Naouri : La nouvelle loi vise à réviser le dispositif législatif et réglementaire régissant l’activité d’assurance dans le but d’améliorer le fonctionnement et le contrôle des compagnies d’assurances d’une part et de permettre un meilleur développement du marché en favorisant de nouvelles activités telles que la micro-assurance, etc.
Il faut rappeler ici que ce projet de loi date de la fin des années 2010. Son report permettra sans de tirer profit des expériences récentes observées sur le marché et probablement de nouvelles conjonctures économiques et sociales qui mériteraient d’être prises en compte.
En tout état de cause, je pense ne pas me tromper en disant que tout le secteur des assurances attend de la loi une amélioration du développement du chiffre d’affaires des assurances et partant une plus grande pénétration de l’assurance dans l’économie nationale.
La faiblesse du taux de pénétration des assurances est très importante dans les assurances des risques de particuliers. Cette faiblesse de la pénétration des assurances conduit à l’éviction d’une grande frange de la population des services d’indemnisation des assureurs. L’assurance en Algérie est loin d’être inclusive, notamment contre les risques climatiques, les catastrophes naturelles et autres calamités agricoles.
Cette situation s’explique par au moins quatre (04) facteurs : le premier facteur est lié à la politique sociale de l’Etat qui crée des alternatives à l’assurance et, partant, n’encourage pas à la souscription de contrats d’assurance. Même les assurances obligatoires ne sont pas souscrites en dehors de l’assurance automobile.
Le deuxième facteur concerne les primes d’assurance qui sont très faibles et ce, du fait soit de la forte concurrence dans un marché qui peine à attirer de nouveaux clients, soit de l’existence de tarifs obligatoires très en deçà de la réalité économique, comme c’est le cas en assurance Responsabilité civile automobile.
Le troisième facteur est en relation avec l’économie algérienne caractérisée depuis quelques années par un faible investissement industriel privé, des problèmes de management des entreprises publiques assurables, une baisse des importations, une forte inflation et une baisse du pouvoir d’achat.
Enfin, le quatrième facteur a trait à la faiblesse du Marketing des compagnies d’assurance et de l’innovation en matière de produits.
En fait, la nouvelle loi sur les assurances doit, de mon point de vue, mettre en place les conditions d’une amélioration de l’environnement de l’assurance d’une part et d’une amélioration de la gouvernance et du management des compagnies d’assurance, d’autre part.
Parmi les réformes principales attendues dans ce cadre, la mise en place d’une autorité de supervision du marché « plus autonome et davantage indépendante ». Quel sera à votre avis le rôle de cette autorité de supervision ?
L’autorité de supervision des assurances caractérisée par plus d’autonomie et davantage d’indépendance a été introduite par la loi n°06-04 du 20 février 2006. C’est au niveau de l’application de la loi que le problème se pose.
Pour une réelle indépendance de cette autorité, je pense qu’il faut la doter d’un corps de contrôleurs indépendants qui lui soit propre. Tout d’abord, ces contrôleurs indépendants doivent être compétents, détenteurs de diplômes en polytechniques et en actuariat, bénéficiant d’une grille des salaires et d’un régime indemnitaire motivant, différent de ceux en vigueur dans la fonction publique.
Ensuite, cette autorité doit être dirigée par un mix de personnels issus du monde de l’assurance, du secteur judiciaire et du secteur universitaire. Enfin, cette autorité doit éditer son rapport annuel de sorte à communiquer sur la nature des contrôles effectuées, les irrégularités fréquemment constatées, les sanctions infligées, etc.
Quels sont les problèmes soulevés par les compagnies d’assurance ? Et est-ce que ces réformes vont résoudre ces problèmes ?
Les compagnies d’assurance soulèvent de nombreux problèmes. Certains peuvent être réglés par la loi, d’autres non.
Parmi les problèmes que peut régler la loi, je peux citer la révision de la législation et de la réglementation régissant l’intermédiation et la distribution des produits d’assurance dans le sens d’une plus grande ouverture à de nouveaux modes de distribution, y compris par Internet par voie de digitalisation, etc.
Même un dispositif de bancassurance doit être revu pour augmenter la part des banques dans les compagnies d’assurance à au moins 34%, voire même à 49%. Cela permettra de nouer de réels partenariats à même de booster le secteur de l’assurance de personnes en particulier.
Un autre problème que peut régler la loi est la mise en place d’un code de déontologie du secteur des assurances visant à instaurer un minimum de discipline de marché et de lutte contre la concurrence déloyale.
Ce que peut faire loi également, c’est de réviser le tarif de l’assurance Responsabilité civile automobile qui ne permet pas l’équilibre technique des assureurs actuellement et le dispositif d’indemnisation des assurés contre les dommages corporels qui est très désavantageux pour les assurés et bénéficiaires de contrats.
Enfin, je citerai comme mesure urgente la révision des textes réglementaires régissant les provisions techniques, la représentation des engagements techniques et la solvabilité des compagnies d’assurance.
En effet, la loi doit instituer des dispositions visant à améliorer la gouvernance des compagnies d’assurance en révisant la composition et le fonctionnement des conseils d’administration des compagnies d’assurance et en exigeant la création de comités spécialisés au sein des conseils d’administration à l’effet d’un meilleur contrôle des fonctions clés : l’audit, l’actuariat, la gestion des risques et la conformité.
Le chiffre d’affaires du secteur national des assurances a enregistré une hausse de 7% durant le premier semestre 2024 par rapport à la même période de 2023, atteignant près de 90 milliards de dinars. Le marché a généré au 1er trimestre 2024 un chiffre d’affaires de 48,4 milliards de dinars, soit une augmentation de 4% sur un an, qu’est ce qui explique cette hausse ?
Je voudrais d’abord dire qu’une hausse de 4% est faible pour le secteur des assurances qui possède un fort potentiel.
Seuls 10% du parc de logements est assuré. L’assurance des catastrophes naturelles, pourtant obligatoire, à une pénétration d’à peine 10 à 12 %. Seuls 10% des agriculteurs recourent aux services des compagnies d’assurances.
Maintenant, pour répondre à votre question, je m’appuie sur les données du Conseil national des assurances qui expliquent que l’assurance automobile a marqué une augmentation de +8% dû probablement à la reprise des importations des véhicules, mais également à l’augmentation des valeurs assurées et ce que ce soit sur le marché du neuf ou de l’occasion.
Un deuxième secteur a également marqué une forte croissance, c’est celui des assurances agricoles avec un taux de +21% essentiellement dû à l’augmentation de la production végétale, principalement dans la filière des céréales.
Enfin, l’assurance-crédit, c’est-à-dire l’assurance insolvabilité du débiteur a marqué une croissance de + 15%, tirée par les crédits immobiliers et les crédits consommation pour l’achat de véhicules.