Deux experts internationaux en tourisme ont été invités dimanche dernier au Forum du quotidien El Moudjahid. Il s’agit de Abderrahmane Belgat, président de l’Association mondiale pour la formation en hôtellerie et en tourisme (AMFORT), et de Saïd Boukhelifa, délégué pour l’Algérie à la même association.
Ce dernier, en réponse à une interrogation sur le type de tourisme à choisir pour l’Algérie, c’est-à-dire, le tourisme domestique ou le tourisme international, il a indiqué que ces deux types de tourisme n’existent plus depuis des décennies. Pour lui, il faut développer un bon tourisme qui profitera aux nationaux et qui incitera les touristes étrangers à venir visiter l’Algérie.
Concernant les craintes d’un surtourisme et les dégradations qu’il pourrait occasionner, l’expert a indiqué que l’Algérie ne pourra jamais connaître de surtourisme. D’après lui, les touristes étrangers ne viennent plus pour le tourisme balnéaire (plages…) où ce phénomène cause généralement des dégâts, car, a-t-il expliqué : « Nous avons la côte la plus dégradée du bassin méditerranéen sur 22 pays. Trop de constructions anarchiques à l’architecture hideuse, sans urbanisme et sans recherches. »
M. Boukhelifa a relevé que la côte algérienne est passée de 1200 km à 1600 km. Selon lui, un tiers de la côte est composé de terres agricoles, un deuxième tiers est composé de criques rocheuses et le troisième tiers est composé de plages dont le nombre est de 350.
En fin connaisseur du tourisme en Algérie, Saïd Boukhelifa, qui fêtera l’année prochaine ses cinquante ans de carrière dans le secteur, a affirmé qu' »il n’y aura jamais de tourisme de masse en Algérie », tout en plaidant pour le développement du tourisme haut de gamme pour replacer l’Algérie comme une destination prisée.
Le tourisme haut de gamme pour replacer l’Algérie parmi les meilleures destinations
M. Boukhelifa propose de se concentrer sur le développement de produits touristiques haut de gamme, tels que le tourisme archéologique, le tourisme saharien, la chasse touristique et le tourisme de congrès. Ces produits répondent aux attentes d’une clientèle exigeante et prête à payer cher pour une expérience unique.
Concernant le tourisme archéologique et culturel, il a rappelé que le pays abrite 22 sites romains classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui en fait la deuxième destination mondiale après l’Italie. Il a mentionné également le tourisme saharien, avec des paysages spectaculaires et une culture riche. Mais, selon lui, cette destination touristique ne peut pas accueillir plus de 100 000 touristes par saison qui dure 7 mois (Tassili, Hoggar, Mzab, Taghit, etc.), car les ecosystemes sahariens sont fragiles.
À ces deux produits haut de gamme peuvent se greffer le tourisme cynégétique ou la chasse touristique, destiné aux clients aisés, selon M. Boukhelifa, qui rappelle que dans les années 1980, 350 chasseurs ont été ramenés par petits groupes de 15 chasseurs qui venaient chasser le sanglier. Selon lui, à cette époque, il n’y avait pas les hôtels 4 et 5 étoiles que cette clientèle exigeait. Mais, aujourd’hui, ce type d’hôtels existe un peu partout en Algérie. L’expert cite comme quatrième produit, le tourisme de congrès et d’affaires.
Avec une volonté politique forte et une stratégie de développement adaptée, l’Algérie peut devenir une destination touristique de premier plan. M. Boukhelifa est convaincu que, grâce à ces quatre produits, le pays peut atteindre 1 million de touristes par an d’ici 10 ans, ce qui n’est pas un raz-de-marée pour l’Algérie.
« Le Maroc a accueilli 13 millions de touristes l’année passée et table sur 20 millions, la Tunisie 7 millions, » a-t-il rappelé, et d’expliquer : « On peut replacer l’Algérie parmi les destinations prisées comme dans les années 1970 avec 1 million de touristes par ces produits qui sont très prisés par une clientèle haut de gamme, qui paie cher. »
Fin mai dernier, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Mokhtar Didouche, avait fait savoir que l’Algérie « a accueilli au cours du premier trimestre de cette année, 1,2 million de touristes, dont plus de 800.000 touristes étrangers ». Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), durant le 1er trimestre 2024, les arrivées de touristes internationaux en Algérie ont augmenté de 17%, par rapport au 1er trimestre 2019.
En 2023, l’Algérie a enregistré un afflux de 3,3 millions de touristes, dont 2,2 millions de touristes étrangers et 1,1 million de touristes qui proviennent de notre communauté nationale à l’étranger, a fait savoir le ministre lors de son passage au Forum du journal El Moudjahid le 21 mai. M. Didouche avait indique que le secteur du tourisme contribue à 2% au PIB de l’Algérie et compte le porter à 6%. Le ministre a évalué les rentrées en devises du secteur à 1,6 milliard de dollars en 2023.
« La volonté politique est embastillée dans des textes »
M. Boukhelifa a rappelé le documentaire « L’Algérie vue du ciel » réalisé par le Français Yann Arthus-Bertrand qui avait dit, en 2015, que l’Algérie est bien meilleure que la Tunisie et le Maroc. Le réalisateur français a estimé que l’Algérie est le plus beau pays au monde parmi les plus de 200 pays qu’il a eu à visiter, selon M. Boukhelifa, qui classe l’Algérie dans le Top 10 des plus beaux pays, mais du point de vue de la mise en tourisme du pays, il la classe dans le Top 10 des derniers au monde.
À ce propos, l’expert international en tourisme a rappelé une citation de son livre intitulé : « Mémoires Touristiques Algériennes… 1962-2018 ». « Si pour Yann Arthus-Bertrand, l’Algérie est le plus beau pays du monde, c’est une offrande divine. Quel est l’apport de l’être humain et de ceux qui incarnent, au niveau des rouages de l’État, le développement de la destination Algérie, » s’est-il interrogé à la fin de son livre.
« À l’hôtel des décisions, il y a des responsables qui dorment bien », assène M. Boukhelifa, estimant qu’il est temps que ces responsables se réveillent. « La volonté politique que j’ai connue durant les années 1970, sous la direction du président Houari Boumediene, ensuite le président Chadli Bendjedid (années 1980), avait réussi parce qu’elle a été appliquée et qu’elle était factuelle », a-t-il dit.
« Actuellement, on parle de volonté politique, mais elle est embastillée dans des textes. On ne veut pas la libérer », a-t-il regretté, en soulignant au passage, l’importance du numérique et de la digitalisation dans le secteur touristique, tout en rappelant qu’à l’époque, sa génération avait travaillé avec le telex (télégramme). « C’était la préhistoire », selon lui.
« Nous avons ensuite travaillé avec le télécopieur. Nous n’avions aucun contact visuel avec nos partenaires étrangers, et nous étions arrivés à mettre la destination Algérie au diapason de la Tunisie et du Maroc, et nous étions mieux que la Turquie, la Grèce et le Portugal. Durant les années 1970, avec notre belle hôtellerie, le personnel formé et les représentations à l’étranger, nous avons pu être classés 8ème au niveau du bassin méditerranéen. Aujourd’hui, nous sommes les derniers sur 22 pays au cours des 30 dernières années. »
Pour M. Boukhelifa, les jeunes d’aujourd’hui qui maîtrisent le digital et le numérique feront dix fois mieux que les générations précédentes. « Qu’on libère le tourisme, » a-t-il appelé