La contrebande d’or fait perdre chaque année des milliards de dollars aux pays africains. Un nouveau rapport de SWISSAID fournit des chiffres inédits sur ce marché au cours de la période 2012-2022.
Entre 2012 et 2022, les Émirats arabes unis ont importé 2 569 tonnes d’or non déclarées à l’exportation dans les pays africains, pour une valeur de plus de 115,3 milliards de dollars. C’est ce que révèle la fondation helvétique SWISSAID dans un nouveau rapport paru le 30 mai et illustrant avec des chiffres inédits un phénomène bien connu du secteur minier africain.
Intitulée « Sur la piste de l’or africain – quantifier la production et le commerce afin de lutter contre les flux illicites », cette étude présente Dubaï comme la plaque tournante pour l’or sorti illégalement de plusieurs pays africains. Plusieurs enquêtes ont déjà relevé le rôle de la ville la plus célèbre des Émirats dans le négoce d’or de contrebande provenant d’Afrique.
Selon des données de Comtrade analysées par Reuters dans une enquête de 2019, un écart de 3,9 milliards $ a été noté entre ce que les Emirats affirment avoir importé de 21 pays africains, et ce que ces pays ont exporté officiellement vers l’État fédéral. Dans ce nouveau rapport, SWISSAID indique que cet or de contrebande concerne surtout la production artisanale et à petite échelle. 80 à 85 % de la production de ce secteur transite en effet par les Émirats, tandis que l’or industriel africain est majoritairement exporté en Afrique du Sud, en Suisse et en Inde.
Pour la seule année 2022, le document estime que 66,5 % (405 tonnes) de l’or importé aux Émirats arabes unis en provenance d’Afrique a été exporté en contrebande des pays africains. Au total, 435 tonnes représentant une valeur de 30,7 milliards $ au 1er mai 2024 ont été exportées en contrebande à partir des pays africains en 2022.
Des pays plus touchés que d’autres
La plus grande partie de l’or provenant de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle en Afrique n’est pas déclarée à l’exportation. Selon les auteurs de l’étude, 15 des 54 pays africains produisent de l’or de manière artisanale et à petite échelle, mais ne rapportent officiellement aucune production. Pour ceux qui ont des estimations officielles, SWISSAID indique que les chiffres des autorités sont très éloignés de la réalité.
Dans le cas du Mali par exemple, l’État déclare annuellement depuis 2016 une production artisanale d’or d’environ 6 tonnes, alors que l’analyse de SWISSAID évoque plutôt une fourchette de 30 à 57 tonnes d’or. Avec le Ghana et le Zimbabwe, le Mali ferait d’ailleurs partie des trois pays africains où la contrebande d’or est la plus importante. Sur au moins une année au cours de la période 2012-2022, les Émirats auraient importé 50 tonnes d’or de contrebande à partir du Mali, de la Guinée, du Ghana, du Niger, de la Libye et du Soudan.
« Les États africains n’ont pour ainsi dire aucun contrôle et ne perçoivent aucun revenu sur ces flux. L’absence de contrôle étatique implique également un risque accru de travail forcé, de travail des enfants, d’atteintes à la santé ou même de décès des travailleurs, de pollution environnementale et de financement de groupes armés », dénonce le rapport.
Le rôle de la Suisse
Si les Émirats arabes unis sont la première destination de l’or africain de contrebande, le pays du golfe Persique n’est qu’un point de transit, certes très important et stratégique, entre les mines et les raffineries. C’est en effet en Suisse que cet or africain de contrebande termine souvent son périple selon les auteurs, car le pays d’Europe de l’Ouest abrite quatre des neuf plus grandes raffineries du monde et voit transiter aussi entre un tiers et la moitié des importations mondiales d’or.
À ce titre, la Suisse peut jouer un rôle important dans la lutte contre la contrebande d’or provenant d’Afrique, à travers une législation plus stricte en matière d’importations. Actuellement, la réglementation en la matière fait du dernier lieu de transformation de l’or le lieu d’origine, aboutissant à une situation où l’or importé des Émirats est considéré comme émirati, alors que le pays ne dispose d’aucune mine d’or.
« Cette situation est problématique, car depuis de nombreuses années de l’or de contrebande potentiellement lié à des conflits ou des violations des droits humains atterrit en Suisse, en toute légalité », déplore Marc Ummel, responsable de l’unité matières premières chez SWISSAID et coauteur de l’étude. Il appelle donc le législateur suisse à renforcer le cadre légal en matière de traçabilité des matières premières, afin de contribuer à la réduction de la contrebande d’or provenant d’Afrique.
En dehors de ce type de mesures externes, la tâche la plus difficile et sans doute la plus efficace reste de s’attaquer directement à la source, en luttant depuis les pays africains contre les exportations illégales d’or. Conscients du problème, et de ses implications au-delà de la perte de revenus (impacts environnementaux et sanitaires liés aux pratiques de production artisanale d’or), les États africains s’efforcent de lutter contre ces circuits de contrebande. La répression des mineurs illégaux et l’instauration de comptoirs officiels d’achat sont notamment utilisées.
Selon un rapport de la CEDEAO, les initiatives nationales actuelles doivent néanmoins être renforcées par la coopération entre les pays africains et la formalisation des mineurs artisanaux qui, comme le dit SWISSAID « cherchent simplement à gagner leur vie, n’ont pas d’autre choix que de travailler dans l’informel et n’ont pas d’intention criminelle ».