La Cour des comptes a rendu public son rapport annuel 2023. Ce document de 436 pages est réparti en trois parties portant respectivement sur les administrations de l’État, les collectivités locales, et les établissements et entreprises publiques.
Dans la partie consacrée aux administrations de l’Etat, la Cour des comptes est revenu sur le programme de réhabilitation et de modernisation des structures touristiques relevant du groupe public hôtellerie, tourisme et thermalisme « Groupe HTT ».
Plus de 11 ans après son adoption par le Conseil des participations de l’Etat (CPE) en 2012, le programme de réhabilitation et de modernisation (PRM) des structures relevant du portefeuille du groupe hôtellerie, tourisme et thermalisme (HTT), « n’a pas atteint les objectifs escomptés, consistant notamment à mettre à niveau les structures hôtelières et touristiques du groupe aux normes internationales en vue du développement de leur activité et leur rentabilité », relève le rapport.
Il ressort de l’évaluation de la Cour que « les faiblesses des études technique et économique du PRM dont l’élaboration a été effectuée dans la précipitation et sans recours aux bureaux d’étude spécialisés, son mode de financement inadapté, l’absence d’une gouvernance et d’une supervision à la hauteur du programme et les déficiences caractérisant les procédures de contrôle interne en particulier celles applicables aux marchés des filiales sont autant de facteurs qui ont entravé sa mise en œuvre. »
En effet, selon le rapport, la réalisation des opérations de modernisation et de réhabilitation dans les filiales contrôlées par le Groupe HTT « est marquée par l’absence de planning de lancement des projets permettant le maintien d’un minimum d’activité des unités hôtelières, des retards et des déviations dans la sélection des cocontractants et la mise en œuvre des contrats, et le recours excessif aux avenants dont certains ont été conclus hors délais contractuels. »
« En conséquence, l’objectif principal du PRM, à savoir la réhabilitation et la modernisation de 61 unités et la réalisation de 02 nouvelles unités, n’a été réalisé qu’à hauteur de 43% », note la Cour des comptes, et d’ajouter : « De plus, cela a été accompagné par un accroissement exorbitant du coût de sa réalisation, passant de 74 Mrds de DA (milliards de dinars, ndlr) à 126 Mrds de DA, une prorogation considérable des délais d’exécution notamment les travaux de réhabilitation et de modernisation du bâti existant, sans compter le nombre important de contrats en contentieux pour cause de défaillance des entreprises de réalisation. »
Quant aux objectifs liés à l’amélioration des principaux indicateurs de gestion des unités hôtelières du groupe grâce à l’amélioration de la qualité des services hôteliers et l’augmentation du taux d’occupation des chambres, « ils n’ont pas été atteints par toutes les unités hôtelières », relève la même source, et de préciser : « Bien au contraire, les indicateurs retenus notamment le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée, l’excédent brut d’exploitation et le résultat net de l’exercice ont connu, à partir de l’exercice 2015, dans toutes les unités des baisses significatives qui se sont répercutées sur la structure financière du groupe lui-même et des filiales, remettant ainsi en cause la pérennité de l’exploitation de plusieurs d’entre-elles. »
Filière des viandes rouges
La Cour des comptes s’est également penchée dans son rapport annuel sur le programme portant restructuration, développement et régulation du marché de la filière des viandes rouges (2010-2022). En vertu d’une résolution du CPE, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a mis en place, en 2010, un programme visant notamment le développement intégré de l’amont et de l’aval de la filière des viandes rouges et la régulation du marché y’afférent, rappelle-t-on.
Ce programme s’est axé sur la restructuration du portefeuille du secteur public de la filière des viandes rouges, en créant une nouvelle entreprise dénommée « Algérienne des viandes rouges ALVIAR » ; le renforcement de ses capacités financières par l’assainissement financier des quatre (04) filiales qui lui sont rattachées ; ainsi que la mise en œuvre d’un plan d’investissement pour la réhabilitation et la mise à niveau de certaines infrastructures existantes et la réalisation de trois complexes régionaux de viande rouge (CRVRs).
Les travaux d’audit menés par la Cour font apparaitre que « si dans ses volets relatifs à la restructuration de la filière, renforcement des capacités financières de la nouvelle société et réalisation du plan d’investissement, le programme a été quasiment mené à terme à fin 2022, il n’en demeure pas moins que les objectifs stratégiques qui lui sont assignés, à savoir le développement intégré de l’amont et de l’aval de la production des viandes rouges, la régulation du marché et le renforcement du contrôle sanitaire, ne sont pas atteints. »
« Nonobstant, les lenteurs qui ont caractérisées l’exécution du plan d’investissement dont les délais devaient s’étaler de 2010 à 2014 et l’ accroissement du coût de sa réalisation, les résultats obtenus en termes de développement des capacités de production, de traitement et de distribution des viandes rouges de la nouvelle société sont loin des projections établies dans le business plan », relève le rapport de la Cour.
Et de préciser : « En amont, faute d’une mise en œuvre d’un plan de développement de l’élevage, l’effectif du cheptel détenu par ALVIAR, tout au long des années 2010 à 2021, n’a pas dépassé 5 à 6% des prévisions arrêtées. En aval, les prestations d’abattage réalisées depuis la mise en exploitation des nouvelles infrastructures, représentées notamment par les trois CRVRs, traduisent un taux d’utilisation des capacités d’abattage inférieur à 2% sur la période allant de 2016 à 2021. » « Actuellement, le secteur public de la filière des viandes rouges, représenté par ALVIAR et ses démembrements est marqué par des difficultés paralysantes et une faible performance, remettant en cause la viabilité économique du programme », note la Cour des comptes.
Nouvelle gestion hospitalière
Concernant, l’évaluation de l’expérimentation de la nouvelle gestion hospitalière, notamment les cas des établissements hospitaliers de Ain Temouchent, Ain Turk (Oran) et Ain Azel (Setif), le rapport rappelle que la nouvelle gestion publique appliquée, à titre expérimental à dix (10) établissements hospitaliers (EH), a pour but d’améliorer leur performance en les dotant d’un statut d’établissement public à caractère spécifique qui leur confère de larges latitudes, notamment, en matière de gestion de leur personnel et d’exécution de leurs dépenses de fonctionnement.
« L’évaluation de la mise en œuvre de ce nouveau mode de gestion, effectuée par la Cour auprès de trois (03) établissements pilotes à gestion spécifique, à savoir les EH de Ain Témouchent, Ain Turk (Oran) et Ain Azel (Sétif), a permis de constater que les conditions préalables à la réussite de cette nouvelle gestion hospitalière ne sont pas réunies », indique le document, qui ajoute : « En conséquence, les objectifs de performance attendus en termes d’amélioration des prestations hospitalières, de maitrise des activités et d’utilisation efficiente des moyens sont loin d’être atteints. »
« En effet, ce passage d’une gestion administrative à une gestion axée sur les résultats et la performance a été lancée sans préparation suffisante, particulièrement en matière de formation du personnel, tout comme elle n’a pas été précédée d’une adaptation des textes règlementaires pour clarifier et uniformiser les règles applicables aux activités hospitalières dans les différents domaines de gestion, notamment, en matière de ressources humaines et de gestion budgétaire, financière et comptable », expliquent les rédacteurs du rapport.
Et d’ajouter : « Par ailleurs, les services de tutelle n’ont pas joué pleinement leur rôle dans l’accompagnent et le suivi des établissements concernés tout au long du processus de mise en œuvre de cette expérimentation pour parer aux difficultés rencontrées et apporter les rectifications nécessaires. »
« En définitive, les nouveaux outils de gestion et d’évaluation de l’activité hospitalière préconisés en remplacement des outils de gestion administrative classique à l’exemple du projet d’établissement, des contrats d’objectifs et des momyens, et du nouveau système de gestion financière n’ont pas connu d’implémentation effective », relève encore le rapport.
Et d’ajouter : « Bien plus, ces établissements qui au demeurant sont restés dépendants du budget de l’État à l’instar des autres établissements de santé, se trouvent actuellement confrontés à de multiples difficultés en matière de gestion des ressources humaines, de tenue de comptabilité et dans leurs relations avec leur environnement : fonction publique, inspection du travail, services du ministère des finances et organismes de sécurité sociale. »
Collectivités locales
Au titre des collectivités locales, le rapport s’est notamment penché sur la réalisation d’une ceinture verte reliant les deux villes de Ouargla et Touggourt (1ère tranche), la gestion du transport scolaire par les communes…etc. Le rapport de la Cour des comptes pointe les difficultés de ces dernières à maîtriser la réalisation des projets d’équipement d’envergure.
Les investigations de la Cour concernant le projet de réalisation d’une ceinture verte sur la route reliant les deux villes de Ouargla et de Touggourt, ont mis en évidence que ce projet « n’a pas requis de la part de ses initiateurs l’intérêt suffisant, notamment en termes d’étude de maturation, de pilotage du projet et de suivi des opérations de réalisation, ce qui l’a rendu vulnérable à de nombreuses difficultés survenues tout au long de sa réalisation. »
S’agissant de la gestion du transport scolaire par les communes, le contrôle effectué par la Cour des comptes, portant sur les conditions de mise en œuvre du transport scolaire dans un échantillon diversifié de communes, localisées en zones urbaines, périurbaines et rural, fait apparaitre qu' »en dépit des efforts déployés par les pouvoirs publics pour répondre aux besoins en matière de moyens de transport scolaire, la mise en œuvre de ce service social scolaire demeure en deçà des règles prévues par le nouveau dispositif réglementaire le régissant. »
En effet, note la même source, de nombreuses communes tardent à mettre en place les organes de concertation prévus par la règlementation et à assurer leur fonctionnement régulier tout comme elles n’ont pas adapté leur organisation pour une meilleure maitrise de la programmation de la prestation de transport scolaire.
En outre, la plupart des communes, particulièrement les plus démunies d’entre-elles « n’arrivent pas à supporter le coût des prestations du transport scolaire en raison de l’insuffisance des subventions qui leur sont accordées, alors que d’autres éprouvent des difficultés à réunir les moyens nécessaires en matériels de transport et de ressources humaines (chauffeurs et accompagnateurs) », selon le rapport, qui relève : « En conséquence, ce service public n’est pas toujours assuré dans des conditions satisfaisantes en termes de confort et de sécurité, tel que prescrit par le cadre normatif en vigueur. »
Dans cette même partie, la Cour des compte constate également réitère les mêmes constatations pour ce qui est des violations récurrentes, par les gestionnaires locaux, des dispositions législatives et réglementaires régissant l’utilisation des fonds publics. « Il en est de même concernant l’absence de diligences de la part des communes en vue d’une meilleure valorisation de leur patrimoine immobilier productif de revenus », selon le rapport.
Entreprises publiques
Les évaluations effectuées au niveau des établissements et entreprises publics ont fait ressortir des déficiences ayant trait à l’organisation et au contrôle interne. Ce qui n’a pas été sans impacts sur la réalisation de leurs missions statutaires et l’atteinte de leurs objectifs en termes de performance. Ce constat a concerné en particulier deux établissements publics à caractère industriel et commercial, à savoir l’Office national des publications scolaires (ONPS) et l’Agence nationale de l’urbanisme (ANURB). La Banque de développement local (BDL) est également concernée par ce constat.
Ainsi, pour le cas de l’ONPS, la Cour des comptes a constaté que les principaux constats relevés, assortis de recommandations ont trait au mode de gestion de la ressource humaine de l’ONPS dont le poids financier « a sérieusement amoindri sa capacité à atteindre les objectifs d’économie et d’efficience » ; « à l’absence de maitrise du coût de production livre scolaire dont la part prépondérante du marché est assurée par des imprimeurs externes » ; « aux difficultés d’élaboration des programmes de production en fonction des besoins réels du marché du livre scolaire et aux faiblesses dans la supervision et l’évaluation de l’activité de l’office. » En outre, le contrôle de la Cour a souligné que « la gratuité du manuel scolaire a bénéficié à d’autres catégories d’élèves non prévus dans le dispositif réglementaire en vigueur. »
De l’autre côté, l’examen effectué par la Cour à l’effet de s’enquérir de l’état de mise en application de ses recommandations a permis « de constater des améliorations dans la gestion des activités de production et de commercialisation du manuel scolaire qui se sont traduites notamment, par une meilleure maitrise de la programmation de la production, un renforcement des capacités de la chaine de production, un début de mise en œuvre des procédures de calcul des coûts et un élargissement du réseau de distribution du manuel scolaire. »
« Toutefois, les aspects relatifs aux coûts du manuel scolaire, aux mécanismes de contrôle et de supervision de la tutelle sur les conditions d’exercice par l’office de sa mission de service public, à la gestion de ses ressources humaines et au dispositif de gratuité du manuel scolaire n’ont pas connu d’évolution sensible », observe la même source.