« Il faudra faire preuve de beaucoup d’imagination » pour gouverner: la France avance dans l’inconnu après des élections législatives aux allures de séisme dimanche, avec le camp Macron qui perd la majorité absolue, la forte percée de la gauche unie et le score historique du Rassemblement national.
Ces résultats du second tour, inédits sous la Ve République, posent clairement la question de la capacité d’Emmanuel Macron à pouvoir gouverner et faire voter les réformes promises, notamment celle des retraites.
Ils ouvrent une période délicate de tractations à tous les niveaux pour sceller des alliances, remanier le gouvernement et négocier les postes de responsabilités dans la nouvelle Assemblée.
Devra-t-il nouer des alliances avec LR et l’UDI, qui ont perdu de leur poid mais obtenu 64 sièges ? Resté silencieux dimanche soir, Emmanuel Macron, qui avait exhorté les Français à lui donner « une majorité forte et claire », se retrouve affaibli deux mois seulement après sa réélection face à Marine Le Pen.
Il voit le RN, désigné comme l’ennemi N.1, débarquer massivement et contre toute attente au Palais-Bourbon avec 89 sièges, selon un décompte complet de l’AFP.
« Nous travaillerons dès demain à construire une majorité d’action, il n’y a pas d’alternative », a assuré la Première ministre Elisabeth Borne, elle-même élue de peu dans le Calvados, en affirmant que cette « situation inédite constitue un risque pour notre pays ».
Symboles de la gifle reçue, les défaites des chefs de file de la macronie à l’Assemblée, deux intimes de M. Macron: le président Richard Ferrand battu dans son fief du Finistère et le patron des députés LREM Christophe Castaner dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Egalement défaites, trois ministres – Amélie de Montchalin (Transition écologique), Brigitte Bourguignon (Santé) et Justine Benin (Mer) – devront quitter le gouvernement.
« C’est loin de ce qu’on espérait », a admis le ministre des Comptes publics Gabriel Attal, qui a pu toutefois se satisfaire des victoires sur le fil de deux ministres à Paris, Stanislas Guerini et Clément Beaune.
Abstention majoritaire
Sans surprise, ce scrutin, le 4e en deux mois après la présidentielle, a été boudé par les Français alors qu’une partie du pays subissait une vague de chaleur inédite par sa précocité.
Le taux d’abstention, de 53,79%, est en hausse de plus d’un point par rapport au premier tour (52,49%) mais n’a pas atteint le record du second tour de 2017 (57,36%).
La coalition présidentielle Ensemble! (LREM, MoDem, Agir et Horizons) obtient 245 sièges, selon un décompte complet de l’AFP, soit loin de la majorité absolue de 289 députés sur 577.
Elle est désormais prise en étau entre deux groupes puissants qui ont clairement affirmé leur opposition.
La bataille s’annonce rude face à la gauche unie (LFI, PS, EELV et PCF), qui devient la première force d’opposition avec 137 députés.
Jean-Luc Mélenchon s’est félicité de la « déroute totale » du parti présidentiel en annonçant que la Nupes allait « mettre le meilleur » d’elle-même « dans le combat » parlementaire.
A l’offensive, le député LFI Eric Coquerel a estimé que Mme Borne ne pouvait plus « continuer à être première ministre » et annoncé que l’opposition déposerait « une motion de censure » contre son gouvernement le 5 juillet.
La Nupes a réalisé le grand chelem en Seine-Saint-Denis (12 députés sur 12) et a salué l’élection de trois personnalités: la femme de ménage et syndicaliste Rachel Kéké, la chroniqueuse télé Raquel Garrido et l’ex-journaliste Aymeric Caron.
« Tsunami » du RN
Ensemble! devra aussi composer avec un Rassemblement national nettement renforcé qui, avec 89 sièges selon le décompte de l’AFP, constitue la grande surprise de ce second tour. Un « tsunami », s’est même félicité le président par intérim du RN Jordan Bardella, dont le parti ne comptait que huit élus en 2017.
Conséquence, le RN sera en mesure de former facilement un groupe parlementaire, ce qu’il n’avait réussi qu’une fois, de 1986 à 1988, du temps du Front national de Jean-Marie Le Pen, grâce à la proportionnelle.
« Nous incarnerons une opposition ferme, sans connivence, responsable », a annoncé Marine Le Pen, réélue dans le Pas-de-Calais.
LR en position centrale
Les Républicains, qui représentaient la deuxième force dans l’Assemblée sortante, obtiennent 64 députés avec leur alliés de l’UDI et des Centristes, un chiffre quasi inespéré vu leur score piteux à la présidentielle. Leur position sera centrale dans l’Assemblée puisque le camp Macron aura besoin de voix pour atteindre la majorité absolue.
Le maire LR de Meaux Jean-François Copé a ainsi appelé dimanche à un « pacte de gouvernement » avec Emmanuel Macron, estimant qu' »il appartient à la droite républicaine de sauver le pays ». Mais Christian Jacob, son président, a assuré que son parti resterait « dans l’opposition » et Eric Ciotti a laissé entendre qu’il ne serait pas « la roue de secours d’un macronisme en déroute.
Il faudra donc « beaucoup d’imagination » pour agir dans cette « situation inédite », a admis le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, en estimant que, malgré tout, la France n’était pas ingouvernable.
Pour Emmanuel Macron, « ce quinquennat sera un quinquennat de négociations, de compromis parlementaires. Ce n’est plus Jupiter qui gouvernera mais un président aux prises avec une absence de majorité à l’Assemblée », prévoit le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau.
Les prochains jours seront agités pour le chef de l’Etat, qui sera happé dans un tunnel d’obligations internationales (Conseil européen, G7, sommet de l’Otan) et devra manœuvrer sur le front intérieur avec un remaniement de son gouvernement.
AFP