La Banque mondiale a dressé un tableau peu reluisant de l’économie algérienne. Dans son dernier rapport de suivi de la situation économique du pays, la Banque mondiale a mis en exergue les points faibles de l’économie algérienne : une inflation croissante, une diminution de l’investissement public, la dépendance aux hydrocarbures et une hausse des dépenses publiques.
Le rebond de la production d’hydrocarbures masque une reprise économique fragile
Concernant le secteur des hydrocarbures, la Banque mondiale a indiqué que « le rebond de la production d’hydrocarbures masque une reprise économique fragile ».
Le secteur des hydrocarbures en Algérie a connu un net redressement en 2021, les quotas de production de pétrole brut de l’OPEP+ ayant augmenté et la demande européenne de gaz algérien ayant bondi.
La reprise mondiale de la demande de pétrole a permis à l’OPEP+ d’augmenter les quotas de production de ses membres et, en octobre 2021, la production algérienne mensuelle de pétrole brut avait progressé de 10,4 % par rapport à décembre 2020, et de 16,7 % par rapport à juin 2020. Néanmoins, à l’issue des 10 premiers mois de 2021, la production de pétrole brut restait inférieure de 12 % à son niveau de la même période en 2019, selon le même rapport.
La Banque mondiale a estimé que « dans le même temps, la production de gaz s’est envolée, dans le contexte d’un rebond de la demande de gaz européenne et d’une augmentation significative de la part de marché de l’Algérie sur le continent européen, les contrats d’approvisionnement de gaz algérien, indexés sur les cours du pétrole, étant devenus plus attractifs que l’approvisionnement aux prix du marché, devant l’envolée des cours du gaz ».
Au cours des huit premiers mois de 2021, la production de gaz naturel et de gaz naturel liquéfié (GNL) a bondi de 25,4 % et 12,1 %, respectivement, en glissement annuel.
À l’inverse, précise la Banque mondiale « la reprise dans le segment hors hydrocarbures de l’économie s’est essoufflée au 1er semestre 2021, demeurant largement incomplète ».
Bien que certaines composantes du PIB réel aient affiché des augmentations considérables en glissement annuel au 2 ème trimestre 2021 par rapport au 2ème trimestre 2020, celles-ci n’ont pas permis un retour au niveau d’activité antérieur à la pandémie.
Après une forte croissance du PIB hors-hydrocabures (HH) au 2ème semestre 2020, porté par le rebond de l’investissement et de la construction, le PIB HH a diminué de 3,2 % et de 4,8 % en glissement trimestriel aux 1 er et 2ème trimestres 2021, pour s’établir au 1 er semestre 2021 à un niveau de 3,9 % inférieur à son niveau du 1er semestre 2019 (niveau de référence pré-pandémie).
Selon le même rapport, « au 1er semestre 2021, la consommation réelle privée et publique est restée inférieure à son niveau pré-pandémie et, bien que l’investissement soit supérieur de 1,3% à ce niveau, les stocks ont chuté parallèlement, et l’accumulation brute est ainsi restée inférieure de 22 % à son niveau pré-pandémie ».
La production agricole a stagné au 1er semestre 2021 (+0,1 % en glissement annuel) dans le contexte d’un épisode de sécheresse, tandis que l’activité industrielle a connu un rétablissement vigoureux, dépassant son niveau prépandémie (+2.6 pp). En revanche, l’activité dans les secteurs de la construction et des services marchands s’est essoufflée au 1 er semestre 2021, demeurant 1,4% et 4,9 % en dessous de leur niveau antérieur à la pandémie, respectivement.
Les indicateurs du marché du travail sur les deuxième et troisième trimestres indiquent une sortie progressive de la récession induite par la COVID-19. Après que le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’Agence nationale de l’emploi (ANEM) a augmenté pendant 6 trimestres consécutifs dans toutes les catégories de compétences, il s’est contracté aux 2 e et 3e trimestres 2021, explique la Banque mondiale dans le même rapport.
D’autre part, à l’issue des 8 premiers mois de 2021, le nombre d’offres d’emploi publiées par l’ANEM en 2021 restait inférieur de 9,9 % au niveau du 8 premiers mois de 2019, avec les plus forts écarts enregistrés dans les secteurs de l’agriculture (–21,8 %) et de la construction (–17,7 %).
Néanmoins, le nombre d’offres d’emploi par demandeur d’emploi inscrit s’améliore, même s’il reste nettement inférieur à son niveau pré-pandémie, suggérant une reprise incomplète en 2021.
Les prix élevés des hydrocarbures allègent les besoins de financement extérieur
S’agissant du déficit du compte courant, la Banque mondiale a indiqué qu’il « s’est résorbé au 1er semestre de 2021, alors que les exportations ont grimpé en flèche et que la croissance des importations est restée atone, aidé par une amélioration des termes de l’échange en Algérie ».
Les exportations ont affiché un solide redressement, le fort rebond des cours mondiaux du pétrole s’ajoutant à l’essor des volumes d’exportation de gaz et hors hydrocarbures (+138% et +118%, respectivement).
Bien que le taux de change nominal du dinar algérien par rapport à l’euro soit resté stable en 2021, le dinar a poursuivi sa dépréciation par rapport au dollar des États-Unis, contribuant à une amélioration des termes de l’échange ainsi qu’à une nouvelle envolée des recettes d’exportation d’hydrocarbures.
Par ailleurs, les prix à la production en Europe et en Chine ainsi que les cours mondiaux des céréales et des produits laitiers ont fortement augmenté, exerçant une pression sur les prix à l’importation, au moment où les besoins d’importations de céréales ont augmenté. La hausse de 11,9 % en glissement annuel de l’indice de valeur unitaire à l’importation sur le 1 er trimestre de 2021 s’est donc étendue au 2 e trimestre.
La facture des importations de l’Algérie est restée toutefois relativement contenue, en lien avec la reprise modérée de l’investissement et les politiques soutenues de compression des importations, explique la même source.
L’envolée des recettes des hydrocarbures finance également un rebond significatif des dépenses
En 2021, le fort rebond des recettes des hydrocarbures compense la faiblesse des recettes fiscales et finance la relance de l’investissement public, explique le même rapport.
En 2020, les recettes ont chuté (–14,6 %) sous l’effet combiné d’un fort déclin des recettes des hydrocarbures (–28 %) et d’une baisse modérée des recettes fiscales, alors que les recettes des impôts sur les bénéfices et à l’importation ont fortement diminué, suivant respectivement l’activité économique11 et les importations.
Le manque à gagner a toutefois été partiellement compensé par une diminution sévère de l’investissement public (–33,5 %), malgré une hausse des autres catégories de dépenses publiques.12 En 2021, les recettes pétrolières revenant au budget se redressent nettement, sous l’effet combiné des cours internationaux élevés du pétrole et de la forte dépréciation du dinar par rapport au dollar des États-Unis depuis mars 2020.
La croissance des recettes fiscales reste cependant atone, la reprise des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de celles provenant de la taxe sur les produits pétroliers (TPP) étant compensées par une diminution des recettes issues de l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) et des taxes à l’importation. Néanmoins, l’augmentation des recettes est contrebalancée par la forte relance de l’investissement public et la croissance soutenue des dépenses courantes.
En conséquence, le déficit budgétaire global, qui a atteint 12 % du PIB en 2020, se réduit progressivement au cours du premier semestre 2021.
La dette publique explose en 2021, alors que le Trésor met en œuvre un programme massif de rachat de créances pour soutenir le secteur public. En 2020, le Trésor a financé un déficit budgétaire global considérable en utilisant les reliquats du financement monétaire du programme 2017–2019 15 et les liquidités des entités publiques.
De ce fait, la dette publique officielle du gouvernement central est restée stable, atteignant 49,8 % du PIB fin 2020. Au premier semestre 2021, les autorités ont commencé par demander des avances à la Banque d’Algérie (BdA), entraînant une augmentation temporaire des passifs envers la Banque d’Algérie, selon le même rapport.
En juillet 2021, elles ont lancé un vaste programme de rachat de créances d’une valeur excédant les 15,3 milliards USD, rachetant les dettes des entreprises publiques en difficulté envers les banques publiques, en échange d’obligations du Trésor.
Pour compenser les banques publiques, un Programme spécial de refinancement (PSR) a permis à la BdA de leur fournir un financement en échange de la remise en garantie des bons du Trésor acquis dans le cadre du programme de rachat de créances.
Ces banques ont ensuite réinvesti la majorité de ces fonds dans des obligations du Trésor. En conséquence, la dette publique interne a augmenté de 12,9 % entre fin 2020 et fin juillet 2021, explique la Banque mondiale qui a indiqué que « dans le même temps, les passifs publics envers les banques se sont accrus de 907 milliards DZD entre décembre 2020 et juillet 2021, et de 1 002 milliards DZD au seul mois d’août 2021 ».
En parallèle, et malgré une politique monétaire accommodante, la croissance du crédit reste atone. En réponse à la crise de la COVID-19, les autorités ont rapidement mis en œuvre des mesures politiques visant à alléger les contraintes de liquidité auxquelles font face les banques et les entreprises, gravement affectées par les restrictions d’activité induites par le confinement.
La Banque d’Algérie a abaissé les taux d’intérêt et assoupli les règles prudentielles, tout en donnant ordre aux banques de restructurer toutes les dettes existantes et de satisfaire toutes les demandes de refinancement, selon le même rapport.
En conséquence, les dépôts du secteur bancaire à la banque centrale ont fondu (–55 % entre avril et septembre 2020) mais, malgré cela, ce n’est que lorsque les prix du pétrole et les dépôts liés aux hydrocarbures ont rebondi que les liquidités des banques se sont relevées.
Néanmoins, ce redressement ne s’est pas traduit par une reprise marquée du crédit, les bilans des banques et des entreprises étant gravement touchés par la crise de la COVID-19 et celles-ci demeurant prudentes, et les produits du programme de rachat de créances étant canalisés vers les bons du Trésor.
Alors que le crédit au secteur privé a affiché un timide rebond, le crédit bancaire aux EPE a chuté au 3 e trimestre 2021 sous l’effet du rachat des créances des EPE par le Trésor.
L’inflation croissante détériore les conditions de vie
Une récolte décevante, les efforts de rationalisation des subventions et la dépréciation de la monnaie nationale contribuent à une hausse marquée de l’inflation, explique la Banque mondiale.
En octobre 2021, l’indice des prix à la consommation avait augmenté de 9,2 % en glissement annuel, un sommet depuis 2012. Une sécheresse précoce qui a freiné la production agricole et les efforts de rationalisation de subventions alimentaires et des importations ont contribué à une augmentation rapide des prix des produits alimentaires frais et industriels (+16,5% et +12,3 % en glissement annuel, respectivement). Dans le même temps, les prix des produits importés et des biens manufacturés ont continué de grimper à un rythme élevé et accéléré, alimentés par une dépréciation soutenue du taux de change.
L’amélioration des agrégats macroéconomiques devrait être de courte durée
Selon les prévisions de la Banque mondiale, « la croissance du PIB réel atteindra 4,1 % en 2021, puis diminuera progressivement à moyen terme. Dans le scénario de référence d’une campagne soutenue de vaccination contre la COVID-19, aucune restriction sanitaire ne devrait être réintroduite ».
Toutefois, les entreprises et les ménages ont été gravement touchés par la crise économique et, en l’absence d’un programme de réformes structurelles rapide et décisif pour relancer la croissance, les segments hors-hydrocarbures de l’économie ne se redresseront que progressivement, la reprise des investissements et du crédit étant retardée.
Par ailleurs, une augmentation temporaire de la consommation publique soutiendra la croissance à court terme. Du côté de la production, les rendements agricoles devraient rebondir et la levée des restrictions sanitaires liées à la COVID-19 devrait favoriser un rétablissement complet du secteur des services.
La hausse de la production et des investissements dans les hydrocarbures soutiendra la croissance, dans un contexte de rétablissement progressif des quotas de production de pétrole brut et de production soutenue de gaz naturel, alors que l’avantage tiré des contrats indexés sur les prix du pétrole devrait se maintenir à moyen terme.
Le solde du compte courant devrait s’améliorer nettement en 2021 et 2022 avec le pic des exportations d’hydrocarbures, mais se détériorer ensuite. Dans le scénario de référence, les prix mondiaux des hydrocarbures restent élevés et le volume des exportations se redresse, avant de repartir à la baisse avec la reprise de la consommation intérieure, selon lamême source.
Les efforts visant à comprimer les importations sont soutenus, mais ils sont en partie compensés par l’augmentation des importations d’intrants et d’équipements pour soutenir l’investissement, la production nationale et la reprise, et par la hausse des prix à l’importation.
La chute des réserves internationales devrait donc nettement ralentir en 2021 et 2022 avant de s’accélérer à nouveau, tout en restant à un niveau confortable sur la période de projection.
Le déficit budgétaire global devrait s’améliorer en 2021, mais il devrait se dégrader lentement par la suite dans un contexte de diminution attendue des recettes pétrolières et de rebond des dépenses publiques.
Les recettes pétrolières affectées au budget national devraient plafonner en 2022, alors que les exportations se redressent et que la dépréciation du taux de change par rapport au dollar américain se poursuit. Cependant, le rythme de cette dépréciation ne suffira pas à compenser la baisse des exportations par la suite.
La Banque mondiale a indiqué que « les recettes fiscales se redresseront, suivant la reprise de l’activité et de la valeur des importations. D’autre part, les dépenses publiques augmenteront en 2021 et 2022 dans le cadre d’une politique de dépenses expansionniste, alors que les investissements publics reprennent et que les coûts des projets continueront d’augmenter ».
La croissance des interventions spéciales du Trésor devrait être durable, dans un contexte de soutien public continu à la caisse nationale des retraites, aux EPE et aux banques publiques, selon le même rapport qui a précisé que « la dette publique continuera d’augmenter rapidement, tout en restant à des conditions favorables ».
La politique monétaire visera à équilibrer la nécessité de financer la reprise et le déficit public tout en maîtrisant la montée des pressions inflationnistes.
L’inflation restera élevée pendant la période de projection, détériorant ainsi le pouvoir d’achat des ménages dans la mesure où la dépréciation du taux de change et les politiques de compression des importations entraînent une raréfaction des produits importés, ainsi qu’une augmentation du coût de la consommation et de l’investissement.
Malgré l’amélioration des conditions de liquidité, les besoins élevés de financement budgétaire et les préoccupations liées à la préservation de la stabilité monétaire limiteront la disponibilité du crédit pour financer la reprise.
En l’absence de mise en oeuvre effective des réformes structurelles prévues, la vulnérabilité de l’économie algérienne s’aggravera
La mise en œuvre effective du vaste programme de réforme favorisera la transition vers une trajectoire de croissance durable. Le Plan d’Action du Gouvernement a pour ambition de favoriser la transition de l’économie vers un modèle de croissance durable, tiré par le secteur privé, et de rétablir les équilibres macroéconomiques.
À cet égard, il plaide en faveur de la poursuite des réformes de la gestion des finances publiques et de la rationalisation de dépenses, notamment en passant d’un système universel de subventions publiques coûteuses à un système ciblé favorisant l’équité sociale.
Il préconise des améliorations transversales et significatives de l’environnement des affaires, notamment par la réforme de la loi sur les investissements ou de la loi bancaire ainsi que par des gains de productivité à travers la restructuration et l’ouverture à l’actionnariat privé du capital des banques et entreprises publiques, explique la Banque mondiale.
Dans le même temps, le pays reste toujours dépendant des recettes des hydrocarbures, et sa marge de manœuvre s’est réduite. Ces dernières années, les politiques de compression des importations et les vagues de dépréciation du taux de change ont permis de limiter en partie la hausse des déficits du compte courant et budgétaire, la dépréciation augmentant notamment la valeur en monnaie nationale des recettes d’exportation des hydrocarbures, malgré une baisse des volumes d’exportation, selon la Banque mondiale.
Néanmoins, les recettes budgétaires hors hydrocarbures couvrent une part décroissante des dépenses publiques (47 % en 2020) et les exportations hors hydrocarbures couvrent une part croissante mais marginale des importations (7 % en 2020). Dans un contexte d’inflation croissante des prix à la consommation et à la production, l’apport soutenu de liquidités par la Banque d’Algérie (BdA), la dépréciation du taux de change et la compression des importations auront un impact croissant sur la stabilité monétaire, la reprise économique et le niveau de vie des Algériens, a expliqué la Banque mondiale dans son rapport.