Derrière les dromadaires qui broutent l’herbe sèche à la lisière du désert de Thar, une oasis de panneaux photovoltaïques bleu cobalt s’étend à perte de vue. La ferme solaire géante de Bhadla est la pièce maîtresse du plan de l’Inde pour devenir un champion de l’énergie propre.
Pour l’heure, l’Inde est le troisième plus gros émetteur de carbone du monde. Environ 70% de son électricité provient de centrales à charbon. Mais le Premier ministre Narendra Modi a annoncé lundi que le pays allait porter, d’ici 2030, sa part d’énergies renouvelables de 100 gigawatts (GW) actuellement à 500 GW, soit plus que toute sa production électrique actuelle. A cette date, 50% de l’énergie du pays devra être propre, a-t-il promis, tout en affirmant que l’Inde visait la neutralité carbone à l’horizon 2070.
D’une surface équivalente à la République de Saint-Marin, la ferme de Bhadla est située dans l’État désertique du Rajasthan. Avec ses 325 jours d’ensoleillement par an, c’est l’endroit idéal pour entamer cette révolution énergétique indienne. Le projet est présenté par ses promoteurs comme un modèle de haute technologie, d’innovation et de collaboration public-privé. Au Rajasthan, « nous disposons d’énormes espaces où aucune herbe ne pousse. Maintenant on n’y voit plus le sol : on ne voit plus que des panneaux solaires. C’est une transformation gigantesque », se félicite Subodh Agarwal, un des responsables de la politique énergétique de « l’État-désert », tel que le Rajasthan est surnommé.
« État solaire » : Au cours de la prochaine décennie, « ce sera un Rajasthan différent. Ce sera l’État solaire du Rajasthan », s’enthousiasme-t-il.
La construction de Bhadla, en plein désert, a eu un impact minimal sur l’habitat humain et l’agriculture. Quelques centaines de personnes veillent sur les installations mais ce sont des robots qui enlèvent la poussière et le sable sur les 10 millions de panneaux photovoltaïques. D’autres méga-projets sont en cours. Au Gujarat, Narendra Modi a lancé l’an dernier, dans un autre désert, la construction d’un parc d’énergies renouvelables de la taille de Singapour. Plusieurs des plus grandes fortunes d’Inde, comme Mukesh Ambani et Gautam Adani, les deux hommes les plus riches d’Asie, commencent à investir lourdement dans le secteur.
Il y a urgence : selon un rapport publié en 2019, 21 des 30 villes à l’air le plus pollué du monde se trouvent en Inde. Et le pays de 1,3 milliard d’habitants à l’urbanisation effrénée est de plus en plus vorace en énergie.
Au cours des 20 prochaines années, l’Inde devra ajouter à son système de production électrique actuel des capacités équivalentes à celles de l’Europe pour répondre à la hausse vertigineuse de sa demande nationale, estime l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Et si les capacités indiennes en énergies renouvelables ont été multipliées par cinq au cours de la dernière décennie, elles devront encore être quintuplées pour atteindre l’objectif de 500 GW en 2030.
Vinay Rustagi, directeur du cabinet de consultants en énergie renouvelable Bridge to India, est sceptique. Selon lui, le gouvernement indien cherche surtout « à montrer au monde que nous sommes sur la bonne voie ». « Malheureusement, je crois qu’il n’existe aucune façon pour nous d’atteindre cet objectif », regrette-t-il.
Remodeler le système énergétique : Car même si installer des panneaux solaires est relativement bon marché, remodeler de fond en comble le système énergétique indien nécessitera encore beaucoup de temps et d’efforts, préviennent les experts. Ainsi, pour l’heure, environ 80% des panneaux sont importés de Chine, les capacités de production nationales étant très insuffisantes.
Et si les projets d’énergie solaire géants comme celui de Bhadla sont présentés comme des succès, ils pourraient se heurter à terme à des problèmes d’acquisition de terres, et à la multiplication des procès intentés par des propriétaires expropriés.
Certains experts estiment donc que l’avenir de l’énergie solaire en Inde passera plutôt par la multiplication des petites unités de production.
Comme celles que le médecin et agriculteur Amit Singh a installé dans son village de Bhaloji, au Rajasthan. Alors que le village était frappé par des coupures de courant à répétition et par les pénuries d’eau, le Dr Singh a eu une idée. « Depuis toujours je voyais le soleil et ses rayons, et je me suis demandé : pourquoi ne pas le maîtriser pour générer de l’électricité ? » raconte-t-il à l’AFP. Il a commencé par installer des panneaux photovoltaïques sur le toit de son dispensaire, ce qui a permis de couvrir la moitié des besoins en électricité de l’établissement. Il a ensuite dépensé ses économies pour installer une centrale d’un mégawatt dans sa petite exploitation agricole familiale.
Cette mini-centrale solaire a coûté 35 millions de roupies (400.000 euros). Un investissement qui s’avérera rentable dans un délai raisonnable puisque chaque mois, elle rapporte 400.000 roupies (4.600 euros) en ventes au réseau électrique indien. « J’ai l’impression de contribuer au développement de mon village », se félicite M. Singh.
Arunabha Ghosh, expert en politique climatique auprès du Conseil de l’énergie, de l’environnement et de l’eau, estime essentiel de faire baisser les coûts de ce type de petite installation. « Quand un paysan est capable de générer de l’électricité à l’aide d’une centrale solaire près de sa ferme et de pomper de l’eau, quand un habitant de la campagne peut faire tourner une usine textile grâce à des panneaux solaires placés sur le toit, alors nous pouvons amener la transition énergétique au plus près des gens », estime-t-il.
Afp