L’Algérie fait face à un stress hydrique qui est devenu apparent ces dernières années. Cette situation « préoccupante » et « inquiétante » n’est pas sans impact sur le secteur agricole dont la production sera affectée à l’avenir si aucune stratégie efficiente n’est mise en place pour garantir la disponibilité pérenne de la ressource en eau. Dans cet entretien, l’Ingénieur agronome, Consultant indépendant et militant pour les droits à l’alimentation, M. Sofiane Benadjila, répond aux questions d’Algérie-Eco concernant le stress hydrique en Algérie et son impact notamment sur le secteur agricole et la sécurité alimentaire de l’Algérie.
Algérie-Eco : L’Algérie fait face à un stress hydrique qui est devenu apparent particulièrement durant les trois dernières années, avec un déficit pluviométrique de 30% par rapport aux années précédentes. Quel impact aura cette situation « préoccupante » sur la production agricole et la sécurité alimentaire du pays?
Sofiane Benadjila : La question aurait eu tout son sens si le pays n’était pas rentier. Pour remettre la question dans son contexte réel, il est utile de rappeler que la sécurité alimentaire s’est découplée des conditions environnementales des temps actuels depuis plusieurs décennies. Il y a peut-être à noter qu’avec 45 millions d’habitants, le pays importe le tiers des produits alimentaires de l’Afrique qui compte près de 1,3 milliard d’habitants. Le secteur agricole ne couvre que le quart des besoins alimentaires de la population. Depuis fort longtemps, la sécurité alimentaire est assurée par les exportations des hydrocarbures. Contrairement au bon sens, ce n’est donc pas le déficit pluviométrique qui menace la sécurité alimentaire mais la prévisible diminution de la rente pétrolière.
Cette confusion une fois levée et devant cet état de fait, on se retrouve évidemment en porte-à-faux face à l’urgence climatique qui aurait dû être une priorité nationale, puisqu’il est question de la survie de la population.
Sur l’image ci-dessous, le déficit pluviométrique est clairement perceptible, il s’est accentué depuis la moitié des années 70. Les climatologues estiment cette réduction à 20-30% pour la seule fin du siècle passé. Le stress hydrique s’est installé de façon permanente depuis donc près d’un demi-siècle. La recrudescence et l’intensification de ces épisodes dans les décennies à venir menaceront durablement la sécurité alimentaire nationale.
En voulant savoir ce qui a été mis en œuvre depuis tout ce temps, on réalise que l’urgence est bien derrière nous.
Par contre, on constate que la situation des agriculteurs est en train de devenir alarmante devant la chute de leurs revenus. Les plus vulnérables étant ceux qui tirent leur subsistance d’une agriculture pluviale. Ils sont violemment exposés à une nouvelle gestion de l’imprévisibilité des stress et des chocs qui s’accroîtront inexorablement. De plus, une pluviométrie faible (eau verte), augmente la forte pression existante sur l’eau mobilisée (eau bleue), diminue la recharge des aquifères déjà surexploitées…, donc même ceux qui irriguent sont en sursis.
Les appels de détresse des éleveurs et agriculteurs répercutés par la presse ces derniers jours, sont une alerte qui reflète un basculement vers la pauvreté ou la précipitation dans l’extrême pauvreté. En considérant qu’un emploi dans la sphère de production génère, au moins trois autres emplois ; transport-commerce-valorisation…..la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) estime (2015) que l’agriculture procure des emplois directs ou indirects à 13 millions d’algériens. Cette population est loin d’être marginale. Si on tient compte du fait, que les cours mondiaux des matières agricoles (soja, maïs, semences…) n’ont pas connu une telle flambée depuis 2011, amplifiés par la dévaluation de la monnaie nationale. On imagine donc le désastre qui est en train de s’abattre sur une agriculture fortement dépendante des marchés internationaux.
Cet impact de la faible pluviométrie est déjà ressenti par le secteur agricole cette saison. Le directeur général de l’Institut technique des grandes cultures (ITGC), Mohamed El-Hadi Sakhri, a révélé que la production céréalière de la campagne moisson-battage 2020-2021 devrait enregistrer une baisse en raison des facteurs météorologiques. Partagez-vous ce constat ?
On voudrait bien partager ce constat, mais il semble que l’on s’obstine à assimiler les changements climatiques majeurs que vit la planète, à des aléas climatiques liés aux facteurs météorologiques.
La vulnérabilité du pays aux changements climatiques étant particulièrement élevée, on s’attend à d’importantes chutes de productions sachant que les rendements agricoles sont déjà en moyenne à des seuils….Il aurait fallu engager en urgence le développement de politiques d’adaptation au changement climatique, dans la voie de la transition, pour préserver l’habitabilité des territoires.
Il faut bien comprendre que la problématique n’est pas du tout la même, puisqu’il ne s’agit pas de raisonner sur des saisons ou sur des années plus ou moins pluvieuses, mais sur un emballement climatique global, irréversible à l’échelle humaine. Ce n’est pas de sécheresse dont il s’agit mais d’assèchement, et qu’il ne s’agit pas d’élévation de température mais de réchauffement.
Tous les scénarios prédisent que ses effets ne feront que prendre de l’ampleur. Les modèles climatiques montrent que la diminution de la pluviométrie aura des grandeurs comparables ou supérieures pour ce 21ème siècle. Exprimé plus clairement, il faut comprendre que progressivement les années à venir seront plus sèches et plus chaudes.
De plus, des phénomènes extrêmes plus fréquents, sécheresses et inondations, amèneront davantage de complexité à tous les échelons des mécanismes de gestion de la société. De nouveaux étages agroclimatiques sont en train de se définir, affectant les équilibres des agrosystèmes traditionnels. Nous pourrons observer l’apparition de nouvelles cartes agricoles qui vont entraîner des recompositions territoriales. Nous devrions être conscients que ce ne sont pas de simples épisodes climatiques que nous vivons, mais le début d’une nouvelle ère.
Les ressources en eau du pays sont soumises à plusieurs contraintes : impact du changement climatique, gaspillage, surexploitation des eaux souterraines, les pertes dans les réseaux d’eau potable, la pollution des ressources. Qu’en est-il de la consommation du secteur agricole?
L’eau étant le facteur clé de la sphère de la production agricole, la question de la sécurité hydrique prend un aspect aussi vaste que délicat.
Nous sommes dans un pays aride, avec un très faible capital naturel (18-19) km3 actuellement, avec une tendance à l’amenuisement irréversible pour les années à venir, les tensions sur l’usage de l’eau deviendront particulièrement aiguës.
Il est peut-être utile de rappeler que les besoins en eau pour les usages domestiques, ou tout simplement pour hydrater l’organisme, sont considérés négligeables (150L/personne/jour), le problème ne se pose pas à ce niveau. Les organisations internationales, tels que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), Plan Bleu, FAO, Hoekstra, BM…, estiment les besoins vitaux à un minimum de 1000m3/personne/an (soit 2.7m3/jour/personne). Ce sont les quantités d’eau nécessaire pour produire la nourriture dont une personne a besoin en une journée. En quelque sorte, c’est l’eau nécessaire pour produire les aliments que l’on mange dont il s’agit. On peut retenir qu’il faut globalement mobiliser pour 1kg de produit, les quantités d’eau suivantes, 3500L/œuf-700L/pomme de terre-1000L/Blé-150L/tasse de café… De cette manière on voit clairement que la question hydrique occupe une place prépondérante dans la sécurité alimentaire.
En Algérie l’enquête AQUASTAT ; « L’irrigation en Afrique en chiffres:– 2015 », révèle que les prélèvements attribués à chacun des secteurs économiques ne sont pas entièrement connus : la part de l’agriculture semble correspondre à 59 %, soit 4, 990 km3 (6 km3, Rapport MEWIN-2014). Pour une superficie totale équipée réellement irriguée de 1 228 111Ha (2014), qui représente 12.6 % des superficies cultivées. L’irrigation contribue à plus de 50 % de la production agricole nationale. Il faut retenir que la seule utilisation des eaux renouvelables plafonne le potentiel naturel d’irrigation à 510 300 ha (FAO, 1997). Ce qui donne une visibilité appréciable sur l’étendue et la durabilité de l’agriculture irriguée.
Afin d’alimenter en eau de nouvelles superficies, il est programmé d’augmenter les stockages d’eaux superficielles, construction de barrages, transférer… et d’accroître les ressources en eaux non conventionnelles par, dessalement, déminéralisation, épuration, (Schéma direction des grandes infrastructures hydrauliques 2006-2025). Ceci vise une augmentation de la mobilisation des eaux à 11 km3/an en 2025 contre 7,4 km3/an en 2014. Cependant il faut signaler, que des études (CNES, 2000) estiment qu’il aurait fallu mobiliser 15 à 20 km3 à l’horizon 2020, ce qui dépasse les potentialités naturelles.
Jusqu’à présent le pays a recours au transfert de plus de 19 km3 d’eau virtuelle, comprise dans la facture d’importation de denrées alimentaires, soit plus de 400 m3/hab./an.
Quelle stratégie et quelles solutions adéquates pour faire face à cette situation ?
Il aurait peut-être fallu commencer par réévaluer la source du problème et l’intégrer dans la réflexion. Étant donné que c’est l’aggravation significative des divers impacts du réchauffement climatique déjà observables, qui se traduisent en premier lieu par une chute de la pluviométrie, accompagnée d’une augmentation des températures qui sont à l’origine des perturbations météorologiques.
En théorie, la gouvernance a, depuis bien longtemps, pris conscience de la menace climatique, puisque l’Algérie a souscrit à une multitude de traités et de conventions internationaux. De nombreux travaux de recherche ont été élaborés par des spécialistes pour permettre d’améliorer la vision et d’engager des études prospectives avec modélisation. Mais jusqu’à présent à défaut de réaction stratégique, nous faisons face aux effets indésirables et irréversibles de notre inaction.
Face à l’urgence de la menace climatique, une démarche consisterait à trouver le chemin qui mène vers un nouvel équilibre entre la société et son environnement, en suivant impérativement des indicateurs de durabilité, de sobriété et de résilience, tout en se préparant à un sevrage difficile. Un réel effort sera nécessaire pour admettre l’inévitable transformation de notre modèle de société, tout en diminuant les inégalités sociales et territoriales…Ce qui mène à penser et agir de manière systémique et à inscrire des actions dans une logique multi échelle et multi-sectoriel.
Il apparaît avec évidence à quel point les enjeux sont complexes. Ils concernent tous les secteurs, tous les acteurs de la société, les citoyens, les services et les institutions de l’Etat, leurs infrastructures … Autrement, il n’est pas possible de mettre en cohérence des politiques économiques crédibles avec les objectifs d’adaptation aux changements climatiques.
A cet effet, le département des ressources en eau a annoncé un projet de la charte sur les économies d’eau. Qu’en pensez-vous ?
Toutes les intentions qui vont dans le sens de l’amélioration de la disponibilité de l’eau sont bien évidemment à encourager. C’est une réflexion amorcée dans le sens de l’économie circulaire, une alternative inévitable puisque nous sommes en train d’atteindre sinon de dépasser les limites physiques des ressources hydriques. Mais on ne pourra réellement évaluer de telles initiatives qu’à travers les mises en pratique.