Un flot de migrants, pour la plupart Marocains, a continué de rallier l’enclave espagnole de Ceuta dans la nuit de lundi à mardi, se joignant à la marée humaine qui a franchi la frontière sans entrave depuis l’aube, en pleines tensions entre Rabat et Madrid.
Lundi, les autorités espagnoles ont enregistré au moins 5.000 franchissements illégaux de frontière en provenance du Maroc, dont un millier de mineurs, un « record » selon le dernier bilan de la préfecture de Ceuta.
Côté marocain, des centaines d’hommes et femmes de tous âges, beaucoup de jeunes et des mineurs, ont afflué pour tenter leur chance au niveau du poste-frontière de Fnideq (nord), surveillé par une poigne de policiers marocains.
Les candidats à l’émigration, hommes et des femmes de tout âge, certains très jeunes, descendaient par dizaines vers la plage par un sentier, avant de courir vers la ville de Ceuta, le long de la mer, sous les yeux des forces auxiliaires marocaines qui les regardaient sans intervenir. « J’ai appris par Facebook qu’il était possible de passer, j’ai pris un taxi avec une amie car je n’arrive plus à nourrir ma famille », explique parmi eux à l’AFP Ouarda, 26 ans, une mère deux enfants divorcée et au chômage. « Je n’ai pas peur : ou je meurs ou je passe », lance la jeune femme venue de la ville voisine de Tétouan.
Dans la journée, un homme a trouvé la mort en se noyant alors qu’il tentait de rallier l’enclave par la mer, selon la préfecture de Ceuta.
Certains ont aussi essayé de passer par la montagne qui surplombe la plage. « On nous a empêché de passer, mais je vais réessayer », confie un chômeur marocain de 26 ans.
Des vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent de jeunes migrants, en maillot de bain ou tout habillés, débarquant sur les plages de rochers. Certains passent sous le regard des forces de l’ordre marocaines, qui ne réagissent pas dans un premier temps puis finissent par repousser la foule de curieux.
Depuis la petite ville d’Assilah, à une centaine de kilomètres plus au sud, l’AFP a vu des groupes de jeunes piétons marocains ou subsahariens marcher vers le nord sur les bas-côtés de l’autoroute. Certains s’accrochaient à l’arrière des camions, comme le font traditionnellement ceux qui tentent de passer clandestinement la frontière.
Les arrivées illégales vers le territoire espagnol situé au nord du Maghreb ont commencé lundi dès les premières lueurs du jour, a indiqué un porte-parole de la préfecture de Ceuta à l’AFP. A l’aube, ils n’étaient encore qu’une centaine, mais au fil des heures, le flot n’a cessé de gonfler, certains arrivant à pied par la plage, d’autre par la mer, avec parfois des bouées gonflables ou des canots pneumatiques.
Interrogée sur leur hébergement, la préfecture, confrontée à une situation sans précédent, a précisé qu’un accueil était prévu dans des hangars sur la plage d’El Tarajal.
Le ministère espagnol de l’Intérieur a annoncé lundi soir dans un communiqué le « renforcement immédiat des effectifs de la garde civile et de la police nationale dans la zone » avec 200 agents supplémentaires.
Rappelant que « les autorités espagnoles et marocaines ont conclu récemment un accord concernant le retour vers leur pays des citoyens marocains qui arrivent à la nage » à Ceuta, le document assure que « les contacts avec les autorités marocaines ont été maintenus » de façon « permanente ».
Pour Mohamed Benaïssa, président de l’Observatoire du nord pour les droits de l’Homme basé à Fnideq, cette nouvelle vague de migrations concerne avant tout « des mineurs, mais également des familles, tous marocains ».
Pour lui, cette vague « pourrait être en lien avec la crise diplomatique entre le Maroc et l’Espagne ».
Rabat est un allié clef de Madrid pour la lutte contre l’immigration clandestine. Mais entre le début de l’année et le 15 mai, 475 migrants sont arrivés à Ceuta, soit plus du double par rapport à la même période l’an passé, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.
Les relations diplomatiques entre les deux pays voisins se sont tendues depuis l’accueil, fin avril, en Espagne du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali, venu pour des soins.
Le Maroc a convoqué l’ambassadeur espagnol pour lui signifier son « exaspération ». « La préservation du partenariat bilatéral est une responsabilité partagée, qui se nourrit d’un engagement permanent pour sauvegarder la confiance mutuelle (….) et sauvegarder les intérêts stratégiques de deux pays », a ensuite averti un communiqué des Affaires étrangères marocaines.
Le conflit au Sahara occidental, ancienne colonie espagnole classée « territoire non autonome » par les Nations unies en l’absence d’un règlement définitif, oppose depuis plus de 45 ans le Maroc au Polisario, soutenu par l’Algérie.
Le Polisario réclame un référendum d’autodétermination alors que Rabat propose une autonomie sous sa souveraineté.
Les tensions autour du Sahara occidental entraînent « immédiatement » une hausse des arrivées de migrants, constate Isaias Barreñada, professeur de relations internationales à l’Université Complutense de Madrid.
Contactées par l’AFP, les autorités marocaines n’avaient pas réagi lundi soir.
Ceuta et Melilla, l’autre enclave espagnole située sur la côte marocaine, constituent les seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique.
Afp