Des obligations et des interdictions, assorties de sanctions dissuasives en cas de non-respect: l’UE a présenté mardi son plan pour tenter de mettre fin aux dérives des géants du numérique accusés d’abuser de leur pouvoir, suscitant l’inquiétude de Google.
La nouvelle législation va « remettre de l’ordre dans le chaos », a affirmé mardi la vice-présidente de la Commission en charge de la Concurrence, Margrethe Vestager.
Le projet représente un changement complet de philosophie. Après des années à courir en vain après les infractions de Google, Facebook ou Amazon dans les procédures interminables du droit européen de la concurrence, Bruxelles veut agir en amont, avant que des infractions soient constatées. « Tout le monde est bienvenu en Europe. Mais notre responsabilité est de décider des règles afin de protéger ce qui est important pour nous », a déclaré le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, lors d’une conférence de presse commune avec Mme Vestager.
Télétravail et visioconférences, achats sur internet, cours en ligne… La pandémie de coronavirus a accru la place du numérique dans la vie des Européens. Il est devenu d’autant plus urgent d’en contrôler les effets nocifs : discours de haine diffusés à grande échelle, manipulation de l’information, mort du petit commerce, limitation de la concurrence…
L’exécutif européen a proposé deux législations complémentaires pour combler les failles juridiques dans lesquelles s’engouffrent les entreprises.
Premier volet: le Règlement sur les services numériques (« Digital Services Act », DSA) doit responsabiliser l’ensemble des intermédiaires, mais davantage encore les plus grandes plateformes qui devront disposer des moyens pour modérer les contenus qu’elles accueillent et coopérer avec les autorités.
Algorithmes et fausses informations : Il leur sera désormais interdit d’utiliser des algorithmes pour mettre en avant de fausses informations et des discours dangereux. Elles étaient soupçonnées de le faire pour augmenter leurs revenus publicitaires grâce aux nombreuses réactions engendrées par de tels contenus.
Le DSA représente une mise à jour de la directive e-commerce, née il y a 20 ans quand les plateformes géantes d’aujourd’hui étaient encore embryonnaires.
Deuxième volet: le Règlement sur les marchés numériques (« Digital Markets Act », DMA) imposera des contraintes spécifiques aux seuls acteurs dit « systémiques », une dizaine d’entreprises dont la toute-puissance menace le libre-jeu de la concurrence. Parmi eux, les cinq « Gafam » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
D’après les critères fournis par l’exécutif européen, seront également ciblés le réseau social américain Snapchat, le groupe néerlandais Booking (réservation d’hôtels), les chinois Alibaba (vente à distance) et Bytedance (maison mère du réseau social TikTok), ainsi que le coréen Samsung (téléphonie mobile). Ces entreprises dépassent les seuils de nombre d’utilisateurs, de chiffre d’affaires ou de valorisation boursière fixés par Bruxelles. Elles se verront imposer des règles augmentant la transparence de leurs algorithmes et limitant leur usage des données privées, au coeur de leur modèle économique. Elles devront aussi notifier à la Commission tout projet d’acquisition de firme en Europe.
Ces plateformes devront « changer significativement leur façon de procéder », a affirmé M. Breton, estimant que l’espace numérique doit profiter à toutes les entreprises, même les plus petites.
Facebook tacle Apple : Ces règles sont assorties de sanctions. Elles iront jusqu’à 10% du chiffre d’affaires pour de graves infractions à la concurrence, et dans les cas extrêmes, pourront déboucher sur un démantèlement de leurs activités dans l’UE.
En matière de contenus illégaux en ligne, les amendes pourront atteindre 6% du chiffre d’affaires. Une interdiction de poursuivre son activité en Europe pourra être imposée « en cas de manquement grave et répété ayant pour conséquences la mise en danger de la sécurité des citoyens ». « C’est une avancée audacieuse et courageuse », a salué Avaaz, mouvement citoyen de lutte contre la désinformation.
Le projet sera encore négocié pendant au moins un an avec le Parlement européen et les Etats membres. Il intervient alors qu’aux Etats-Unis des procédures ont été lancées contre Google et Facebook, accusés d’avoir abusé de leur position dominante dans les moteurs de recherche et les réseaux sociaux.
Google s’est déclaré « inquiet » d’une législation qui viserait « une poignée d’entreprises » et rendrait « plus difficile le développement de nouveaux produits afin de soutenir les PME en Europe ».
La Computer and Communications Industry Association (CCIA), qui représente de grandes entreprises du secteur, a réagi prudemment, disant « espérer que la législation finale ciblera les comportements problématiques plutôt que la taille des entreprises ». « Nous pensons que le Digital Services Act et le Digital Markets Act sont sur la bonne voie pour aider à préserver ce qui est bon sur Internet », a réagi un porte-parole de Facebook, tout en appelant à sévir contre Apple qu’il a accusé d’utiliser son « pouvoir pour nuire aux développeurs et aux consommateurs, ainsi qu’aux grandes plateformes comme Facebook ».
Afp