Nous reproduisons ici une excellente analyse sur les enjeux financiers de la course au vaccin anti-Covid 19 du professeur Jérôme Caby parue sur le site« The Conversation ».
La course au vaccin fait rage dans le monde et deux sociétés américaines, la société pharmaceutique Pfizer et la société de biotechnologies Moderna, ont annoncé qu’elles pourraient être prêtes pour la fin du mois de novembre 2020.
Le processus de développement d’un vaccin est long et aléatoire. De nombreuses sociétés pharmaceutiques se sont lancées sur cette piste à partir de techniques variées. Plusieurs gouvernements comme celui des États-Unis, de l’Union européenne ou du Japon ont passé de volumineuses précommandes à la fois pour s’assurer de la disponibilité de doses en quantités importantes – dès lors que leur efficacité serait prouvée – et pour en financer le développement et la production accélérés.
Si de grandes entreprises pharmaceutiques se sont logiquement positionnées dans la course comme AstraZeneca, Sanofi, GlaxoSmithKline (GSK), Johnson & Johnson ou encore des établissements publics en Chine ou en Russie, certains vaccins sont développés par des sociétés de taille plus réduites s’apparentant à des start-up de biotechnologies, seules ou en collaboration avec des institutions publiques comme des centres de recherche universitaires ou des sociétés pharmaceutiques traditionnelles.
Notre attention s’est portée sur des entreprises de biotechnologies cotées en bourse avec des vaccins en phase 2 ou 3 d’essais cliniques pour apprécier leur situation financière actuelle et les prévisions des analystes. Nous avons retenu à ce titre : Moderna (États-Unis, en collaboration avec le National Institute of Allergy and Infectious Diseases), Novavax (États-Unis), BioNTech (Allemagne, en collaboration avec Pfizer) CanSino Biologics (Chine en collaboration avec l’École militaire des sciences médicales), Inovio Pharmaceuticals (États-Unis, la seule en phase 2, les autres étant en phase 3).
Une croissance exponentielle : Même si ces entreprises existaient avant la pandémie et développaient d’autres activités pharmaceutiques, force est de constater que les analystes prévoient des croissances impressionnantes pour les années à venir et que la Covid-19 leur a offert une opportunité exceptionnelle.
Figure 1 : Prévisions du chiffre d’affaires (en millions d’euros) des différents entreprises de biotechnologies. Simply Wall Street
Pour toutes, leur activité était balbutiante avant qu’elles ne se lancent dans la course avec des chiffres d’affaires très réduits. On remarque également que les deux qui semblent le plus proches d’aboutir (Moderna et BioNTech) et les trois qui ont reçu le support du gouvernement américain (les deux précédentes plus Novavax) sont également celles qui ont les prévisions de croissance les plus soutenues.
Des bénéfices prévisionnels qui explosent : Alors que toutes ces sociétés perdaient de l’argent avant d’entreprendre leur recherche d’un vaccin, leurs prévisions de résultat sont beaucoup plus optimistes. Elles sont attendues comme bénéficiaires en 2020 pour Novavax, en 2021 pour Moderna, BioN Tech et CanSino et seulement en 2023 pour Inovio (mais avec un vaccin seulement en phase 2 aujourd’hui, ce qui démontre qu’il s’agit bien d’une course).
Figure 2 : Prévisions du résultat net (en millions d’euros) des différentes entreprises de biotechnologies. Simply Wall Street
Les montants de ces bénéfices prévisionnels restent par ailleurs impressionnants, avec par exemple pour Novavax en 2021 un résultat net prévu de 1,5 milliard de dollars pour un chiffre d’affaires de 2,7 milliards (à comparer pour 2019 à un résultat net négatif de 132,7 millions de dollars pour un chiffre d’affaires de 18,7 millions).
Des cours boursiers au sommet
Figure 3 : Variation du cours boursier du 1ᵉʳ janvier 2020 au 21 octobre 2020. Boursorama
De façon logique, les cours boursiers de ces sociétés ont intégré les prévisions et se distinguent par des hausses extrêmement élevées notamment au regard de l’indice S&P 500.
On pourrait certes considérer que cette bonne fortune est malvenue au regard de la situation sanitaire actuelle et des difficultés économiques généralisées à la plupart des pays. Pour autant, c’est grâce à ces perspectives de gain que la recherche peut se développer avec autant d’intensité à travers le monde et que nous pouvons entrevoir une issue favorable et relativement rapide à la crise qui nous frappe. Cela demeure la force du système capitaliste et il n’est guère étonnant que 3 entreprises de notre échantillon soient américaines (voire 4 si l’on prend en compte que la société allemande BioNTech collabore avec la société américaine Pfizer).
Si l’on se place au niveau des entreprises, toutes n’auront sans doute pas la chance de parvenir à développer à temps un vaccin efficace et la désillusion sera à la hauteur des attentes de ces sociétés et de leurs actionnaires. Mais en finance comme dans beaucoup d’autres domaines, la réussite va de pair avec la prise de risque. Comme le disait Robert Fitzgerald Kennedy « Seuls ceux qui prennent le risque d’échouer spectaculairement réussiront brillamment ».
Jérôme Caby est professeur des universités à l’IAE Paris – Sorbonne Business School et délégué général de la FNEGE (Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises)