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Mourad El Besseghi : « La séparation de l’économique du politique devait permettre d’instaurer une économie viable »

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Dans cet entretien, l’expert financier, Mourad El Besseghi s’exprime sur différents sujets d’actualité financière. Il commence par donner son avis sur la révision prochaine de la loi sur la Monnaie et le Crédit 90-10, sur l’ouverture des banques au Sud du Sahara pour son expansion régionale, sans oublier la planche à billets et l’ouverture des banques privées.

Algérie-Eco : Le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a annoncé, dernièrement la révision prochaine de la loi sur la Monnaie et le Crédit 90-10 et l’engagement d’une réflexion sur la création de mécanismes pour couvrir les risques de change encourus par les opérateurs économiques en raison de la dépréciation de la monnaie nationale. Quel commentaire faites-vous dans ce sens ?

MEl Besseghi : La loi 90-10 sur la monnaie et le crédit a été promulguée dans les années quatre-vingt dans un contexte politico-économique particulier d’ouverture du marché et de libéralisation de l’économie. Le corolaire « séparation de l’économique du politique » devait permettre d’instaurer une économie viable sans les interférences des politiques. On garde en mémoire les audacieuses réformes introduites au début des années 90, qui ont consacré l’ouverture du marché, et, entres autres, une réforme du système bancaire avec l’autonomie totale de la banque centrale.

Or, au fil du temps, on se rend compte que le socle de la loi 90-10 sur la monnaie et le crédit a été souvent ébranlé et la dernière révision de cette loi qui est intervenue fin 2017, a mis en exergue le lien de dépendance de la Banque Centrale de l’exécutif et les risques énormes de dérapage. En effet, contre l’avis de nombreux experts, et celui de la banque centrale elle-même, le gouvernement de l’époque a eu recours au « Quantativing Easing» avec le financement non conventionnel communément appelé « planche à billets » pour un montant de 6556 milliards de dinars, soit l’équivalent de 50 milliards de dollars en monnaie locale. Cette masse d’argent a été injectée pour faire face à des engagements incompressibles du Trésor. Ce dernier s’est endetté sur la Banque d’Algérie pour une période de cinq ans pour permettre de concrétiser des réformes structurelles importantes de l’économie, susceptibles de générer des ressources stables. Ceci n’a pas été le cas malheureusement. Il était question également de mécanismes de suivi et de surveillance, mais qui n’ont pratiquement jamais vu le jour. 

La récente crise de liquidité qui a émaillé l’actualité brulante a donné des signaux forts sur les risques de replonger le pays dans une situation financière très précaire similaire à celle de 2016-2017. L’asséchement des liquidités au niveau des établissements financiers, malgré quelques mesures de replâtrage de la BA, a montré les limites du système financier actuel.

C’est pourquoi, le système bancaire mais aussi fiscal doivent être profondément revus afin de répondre aux préoccupations actuelles des opérateurs économiques.

Il est donc nécessaire à la banque centrale à la faveur de cette révision de la loi de la monnaie et du crédit de recouvrer son autonomie par rapport à l’exécutif pour mener une politique monétaire efficiente et une politique des changes en harmonie avec les objectifs stratégiques du pays.

Les investisseurs ont une peur bleue de revivre la dérive importante du dinar du début des années quatre-vingt, qui a mis à plat ventre de nombreuses entreprises publiques et privées à l’occasion des transactions avec l’étranger. Au cours de cette période, les dégâts occasionnés par les pertes de change sur les opérations avec l’étranger, ont dû être compensés et réparés sur le budget de l’Etat sur plusieurs années consécutives, sans efficacité réelle.

Les dispositifs de compensation que l’on a tenté de mettre en place avec le marché interbancaire des changes à terme n’a pas eu les effets escomptés.

Il est donc tout à fait approprié de reconsidérer ces aspects par le biais d’un arsenal juridique approprié qui va stimuler les exportations, encourager l’investissement local et rassurer l’investisseur étranger.

Disposant d’une Agence de coopération internationale et de nouvelles réformes pour son marché bancaire national, l’Algérie juge « impératif » d’ouvrir des banques au Sud du Sahara pour son expansion régionale. Le cahier des charges y afférant est « fin prêt », selon le ministre des Finances. Est-ce une bonne décision à votre avis ?

Certainement, et il était temps de prendre une telle décision pour s’investir plus intensément dans le continent africain, qui constituera selon toutes les prédictions un fort potentiel de croissance sur une longue période.

En février dernier, à Addis-Abeba, au sommet des pays africains, l’Algérie a officiellement annoncé sa volonté de s’impliquer davantage économiquement en Afrique Subsaharienne et d’installer des établissements bancaires pour densifier les échanges commerciaux.  

Grace à l’Agence de Coopération Internationale pour la Solidarité et le Développement, qui a été créée et dont le directeur général est installé, l’Algérie dispose désormais d’un outil de veille essentiel en vue de la concrétisation sur le terrain de cette volonté de renforcer l’aide, l’assistance et la solidarité avec les pays voisins, notamment avec les pays frères au Sahel. Cette agence sera résolument tournée sur le continent africain pour créer une meilleure visibilité économique sur l’état des économies africaines et sur les opportunités concrètes à exploiter.

Il est annoncé l’installation des établissements bancaires en commençant probablement par le Mali et le Niger, en raison de leur proximité et du fort potentiel de croissance qu’ils offrent. Ceci est d’ores et déjà envisagé et le secteur privé est invité à y prendre part par la création d’établissements mixtes.

Le ministre des finances, Aymen Benabderrahmane écarte toujours tout recours à la planche à billets (financement non conventionnel) dans la conjoncture actuelle ou à l’avenir. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?

L’expérience récente du recours au financement non conventionnel, par l’injection d’une masse monétaire tirée de la planche à billets sans contrepartie productive n’a évidemment pas du tout procuré les changements structurels attendus, dans l’économie.

Dans la loi de finances 2020, il est clairement stipulé que le recours à ce mode de financement est à écarter. Selon le ministre des finances, les ressources financières actuelles sont suffisantes.

Ceci est donc une voie qui n’est pas retenue pour le moment, mais rien ne peut prédire encore une fois qu’il s’agit d’un abandon définitif. Si la situation de déséquilibre entre les ressources financières et les emplois persiste, le recours à ce mode de financement n’est pas à exclure. Il ne faut pas dire « fontaine, je ne boirais jamais de ton eau »       

Le ministre des Finances, a également indiqué que l’ouverture de banques privées en Algérie s’inscrivait dans le cadre des réformes bancaires envisagées qui seront connues la semaine prochaine. Est-ce possible ?

Non c’est impératif, si on s’installe à l’Etranger, et en particulier en Afrique, il est évident que nous devrions également, par souci de réciprocité, donner la possibilité à ces pays d’installer des établissements bancaires, d’effectuer des opérations et des transactions commerciales et autres. 

En Algérie, le système bancaire est composé d’une vingtaine de banques dont quatorze sont de statut privé. Ceci est insuffisant pour créer une dynamique de relance par la diversification de son industrie, par la modernisation de son agriculture et par un développement accru de ses services.

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