Deux premiers membres du gouvernement ont démissionné dimanche au Liban, où des heurts ont opposé pour le second jour consécutif les forces de l’ordre à des manifestants accablés et furieux contre les autorités, cinq jours après l’explosion meurtrière du port de Beyrouth.
Lors d’une visioconférence co-organisée par l’ONU et la France pour aider le Liban, 252,7 millions d’euros d’aide -immédiate ou mobilisable à brève échéance- ont été collectés pour porter secours aux victimes de l’énorme déflagration, selon la présidence française. La communauté internationale y a affirmé qu’elle n’allait « pas laisser tomber » le pays du Cèdre, mais exigé que son aide soit « directement » distribuée à la population et qu’une enquête « transparente » soit menée sur les causes de la catastrophe.
Face à l’ampleur du drame et l’ire de la population, qui réclame depuis des mois le départ de l’ensemble d’une classe dirigeante accusée de corruption, d’incompétence et de négligence, la ministre de l’Information a présenté sa démission. « Je m’excuse auprès des Libanais, nous n’avons pu répondre à leurs attentes », a déclaré Mme Manal Abdel Samad devant la presse. Quelques heures plus tard, le ministre de l’Environnement et du développement administratif, Damianos Kattar, annonçait lui aussi son départ du gouvernement « face à l’énorme catastrophe (…) et (…) un régime stérile qui a raté de nombreuses opportunités ».
Le chef du gouvernement, Hassan Diab, avait rencontré dans la journée plusieurs ministres, les médias locaux évoquant de possibles démissions.
La déflagration a fait mardi 158 morts et 6.000 blessés selon un bilan officiel. Une vingtaine de personnes sont toujours portées disparues mais l’espoir s’amenuise de retrouver des survivants, a souligné l’armée. Elle a été causée par 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées depuis six ans au port de Beyrouth « sans mesures de précaution », de l’aveu même de M. Diab.
Dans un pays déjà mis à genoux par une crise économique inédite aggravée par l’épidémie de Covid-19, des quartiers entiers de Beyrouth ont été dévastés par l’explosion, qui a provoqué un cratère de 43 mètres selon une source de sécurité. Et des centaines de milliers de Libanais se retrouvent sans abri.
Le président du Parlement, Nabih Berri, a convoqué une réunion du Parlement jeudi « pour interroger le gouvernement sur le crime qui a frappé la capitale », d’après l’agence de presse étatique ANI.
Cette tragédie a revigoré la contestation inédite déclenchée fin 2019, qui s’était essoufflée avec la pandémie. Chômage, services publics en déliquescence, difficiles conditions de vie: un soulèvement avait éclaté le 17 octobre pour réclamer le départ d’une classe politique quasi-inchangée depuis des décennies. La crise économique s’était encore aggravée les mois suivants, malgré l’avènement d’un nouveau gouvernement.
Dimanche, sur l’emblématique place des Martyrs, des centaines de manifestants se sont à nouveau rassemblés, brandissant des drapeaux libanais, sur fond de chants patriotiques. Des tentes ont été installées pour distribuer du pain, de l’eau et des repas chauds.
Trois jeunes femmes ont brandi des portraits de leur amie Rawan, 20 ans, qui se trouvait lors de l’explosion dans le quartier de Gemmayzé, aujourd’hui dévasté. Ses proches l’ont retrouvée mercredi dans un hôpital, décédée. « Mon gouvernement m’a tuée », pouvait-on lire sur son portrait. « Ceux qui sont morts payent le prix d’un Etat qui s’en fout, qui ne s’intéresse qu’au pouvoir et à l’argent », lâche Tamar, 23 ans. Plus tard, sur une avenue menant au Parlement, des manifestants ont jeté des pierres et tiré des feux d’artifice en direction de la police qui a répliqué avec des tirs de lacrymogène, a constaté un correspondant de l’AFP. Les manifestants scandaient « Révolution Révolution ! », certains tentant d’escalader les imposantes barricades de fer érigées par la police dans le secteur du Parlement.
Samedi, des milliers de manifestants avaient brièvement pris d’assaut les ministères des Affaires étrangères, de l’Economie, de l’Energie, ainsi que l’Association des banques. Quelque 250 personnes ont été blessées dans les heurts de samedi, dont 65 hospitalisées, d’après la Croix-Rouge libanaise.
Vingt personnes ont été interpellées, selon un comité d’avocats pour la défense des manifestants, qui a dénoncé la « violence excessive » des forces de l’ordre. Et un policier est mort d’une chute après avoir été agressé par des « émeutiers », selon la police.
Afp