L’idée de création de la Banque africaine de développement (BAD) est née en 1958, dans le village de Saniquelle, petite ville au nord-est du Libéria, à l’occasion d’une rencontre entre les présidents William Tubman (Liberia), Kwame Nkrumah (Ghana) et Sékou Touré (Guinée).
Durant quatre jours, les trois chefs d’Etats discutent de la situation du continent et s’engagent à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour accélérer l’indépendance de l’Afrique et développer des institutions fondées sur le principe de la solidarité continentale. À la suite de trois autres conférences – à Accra en décembre 1958, à Tunis en janvier 1960 et au Caire en mars 1961, le gouvernement du Libéria propose la création d’une Banque africaine de développement. Il mandate Romeo Horton, un Libérien, pour engranger des appuis en ce sens. Son périple le mène auprès de 16 chefs d’État africains. Tous soutiennent, sans hésitation, la création de la Banque. Le 4 août 1963, soit deux mois après la création de l’organisation de l’unité africaine (OUA), 23 pays africains nouvellement indépendants signent à Khartoum (Soudan) l’Accord portant création de la Banque africaine de développement (BAD). La session inaugurale du Conseil des gouverneurs de la Banque se tient en novembre 1964 à Lagos, au Nigeria. A la suite de quoi, la Banque installe son siège à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en mars 1965. Le nombre d’Etats membres est alors à 26 pour une population africaine qui compte 300 millions de personnes et un PIB continental estimé à 39,2 milliards de dollars. A sa création, la Banque ne compte que 10 collaborateurs, alors que ses effectifs se chiffrent aujourd’hui à plus de 2000.
Expansion : A la création de la BAD, seuls les pays africains indépendants pouvaient devenir actionnaires. Ainsi, pendant près de 20 ans, l’institution a toujours dépendu des pays africains pour ses ressources en capital. Mais à partir des années 1970, ce système commence à être mis à rude épreuve. Deux chocs pétroliers, en 1973 et en 1979, fragilisent les économies africaines dont la plupart dépendent des exportations de matières premières. Les pays africains qui empruntent à la Banque rencontrent des difficultés économiques et se voient contraints de trouver des ressources hors du continent.
En vue de satisfaire les besoins financiers des pays africains, la Banque décide alors d’ouvrir son capital à des membres non africains. En 1982, le capital est ainsi porté à 1,6 milliard de dollars. L’ouverture du capital aux pays non régionaux améliore l’assise financière de la Banque, et, partant, sa notation sur les marchés financiers internationaux. Entre temps, l’institution s’adjoint de nouveaux mécanismes pour élargir son champ d’action. En 1972, le Fonds africain de développement (FAD), premier guichet concessionnel de la banque, est créé. Il démarre ses opérations deux ans plus tard, en 1974. Le Fonds spécial du Nigeria (FSN), le deuxième guichet concessionnel de la Banque, est lancé en 1976. A ces deux organismes s’ajoutent d’autres structures telles que le fonds pétrolier arabe ; le fonds spécial d’urgence pour la sécheresse et la famine en Afrique ; et le fonds spécial de secours.
Premier organisme de financement du développement en Afrique : C’est en 1967, que le Conseil d’administration approuve ses deux premiers projets, à travers notamment une prise de participation au capital de la National Development Bank of Sierra Leone et un prêt de 2,3 millions de dollars au Kenya pour financer un chantier routier. 50 ans plus tard, soit en 2017, l’institution annonce avoir octroyé un total cumulé de 5528 prêts, pour un montant global de 102,20 milliards d’UC.
Au fil des années, la BAD s’attèle à financer le développement en Afrique, conformément aux objectifs fixés par ses créateurs. De nombreux prêts accordés, alimentent ainsi des projets infrastructurels, agricoles, financiers, énergétiques et sociaux entre autres.
Si ces financements occupent une large part du programme d’investissement du groupe de la BAD dès le début de ses activités, c’est dans les années 2000 que cette situation s’intensifie particulièrement. Sous l’impulsion du rwandais Donald Kaberuka qui préside l’institution au cours de deux mandats successifs entre 2005 et 2015, la BAD augmente considérablement ses investissements.
La stratégie de l’ancien ministre des finances de Paul Kagame est alors de renforcer le secteur privé et d’investir dans les infrastructures, notamment de transport et d’énergie, pour accroître l’intégration régionale. En 2005, par exemple, l’institution approuve 102 opérations d’un montant total de 2,29 milliards UC, parmi lesquelles 39,4% sont consacrés uniquement au secteur infrastructurel.
En 2009 alors que le monde entier est secoué par une crise financière, la BAD réussi à accorder un montant record de prêts et de dons estimés à près de 10 milliards $. La Banque s’impose alors en leader africain de financement du développement. Cette impulsion sera poursuivie et amplifiée par son successeur Akinwumi Adesina. A la tête de la Banque depuis 2015, le Nigérian lance un ambitieux chantier pour la transformation structurelle de l’Afrique en s’appuyant sur une stratégie décennale pour la période 2013-2022.
Sous la présidence d’Akinwumi Adesina, la Banque décide de relever le défi visant à soutenir la croissance inclusive et la transition vers une croissance verte, en intensifiant l’investissement et en mettant l’accent sur cinq grandes priorités, appelées « High-5 » à savoir : éclairer l’Afrique ; nourrir l’Afrique ; industrialiser l’Afrique ; intégrer l’Afrique ; et améliorer la qualité de vie des populations en Afrique.
Plusieurs mégaprojets financés par l’institution illustrent cette stratégie. On peut citer entre autres l’initiative « Desert to power », lancé en 2017 par la BAD et visant à éclairer et alimenter le Sahel en construisant une capacité de production d’électricité de 10 GW grâce à des systèmes solaires photovoltaïques (PV) et la multiplication de projets publics, privés, en réseau et hors réseau, d’ici 2025. Grâce à ce projet, la BAD espère fournir de l’énergie à plus de 250 millions de personnes, tout en faisant du Sahel la plus grande zone de production solaire au monde.
Plus récemment, c’est la construction d’un pont entre Brazzaville (Congo) et Kinshasa (RDC), projet phare d’intégration en Afrique centrale, devenu un serpent de mer pendant plusieurs décennies, qui a été relancée par la BAD. Le projet, prévu pour démarrer en août 2020 est financé à hauteur de 210 millions $ par la Banque pour un coût total de 550 millions $.
De plus, grâce au lancement de l’Africa Investment Forum qui réunit chaque année depuis 2018, des centaines d’investisseurs, la BAD facilite le financement privé de projets structurants en Afrique.
Par ailleurs, dans sa mission de participer à l’intégration du continent, la Banque a également joué un rôle essentiel dans la mise en place et la promotion d’autres institutions africaines de développement parmi lesquelles on compte la Société africaine de réassurance (AFRICA RE), la Société pour l’habitat et le logement territorial en Afrique (Shelter Afrique), le Fonds d’aide à l’élaboration de projet en Afrique (FDPA), la Banque africaine d’import-export (AFREXIMBANK), etc. La BAD constitue en outre un acteur majeur de la mise en place de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Des ressources solides : Face aux besoins croissants exprimés par les Etats africains, et conformément à sa mission, la BAD va considérablement augmenter ses ressources au fil des ans. L’ouverture de son capital à des pays comme les Etats-Unis (deuxième actionnaire derrière le Nigeria), le Japon (troisième actionnaire) ou l’Inde, élargissent les perspectives de financement de l’institution.
En 1974, la Banque réalise sa première augmentation de capital, le portant à 206 millions $. Après l’introduction de pays membres non régionaux, ce capital est porté à 1,6 milliards $ en 1982. Mais c’est en 1987, sous l’impulsion de son président de l’époque Babacar Ndiaye, dont la gestion avait déjà valu à la Banque son premier triple A en 1984, que la BAD réussit à faire bondir de près de 300% son capital, le faisant passer de 6 milliards à 22 milliards UC (unité de comptes équivalent à 1,38 USD).
C’est le début d’une stratégie d’accroissement de capital qui contribue également à augmenter la crédibilité de l’institution malgré les crises qui secouent épisodiquement les économies mondiales. Ainsi, en octobre 2019, les actionnaires de la banque approuvent sa septième augmentation générale de capital (AGC-VII) le faisant bondir de 125%. La base de capital de la banque s’accroît donc de 115 milliards de dollars, passant à un total de 208 milliards de dollars.
Cette stratégie d’amélioration de ses ressources, couplée à une diversification du portefeuille d’investissement, a permis à la BAD d’être très favorablement perçue par les investisseurs. Auréolée de son triple A attribué par les plus grandes agences de notation financière, la BAD est aujourd’hui considérée comme l’un des émetteurs de référence sur le marché financier international.
Récemment, l’institution a d’ailleurs réalisé une levée de 3 milliards $ sur le marché international des capitaux, dans le cadre de sa stratégie de lutte contre la pandémie de COVID-19. « Nous considérons la gestion de la BAD comme robuste, compte tenu de ses antécédents de mise en œuvre stratégique, d’une solide politique de gestion des risques et de sa capacité à résister à la perte de personnel clé sans perturber les opérations », indique l’agence de notation S&P Global Ratings dans un rapport sur l’institution.
Des perspectives stables pour l’avenir : Malgré les crises économiques et financières qui auraient pu la fragiliser, la BAD s’est montrée résiliente. Elle a même amélioré sa performante. La Banque connaît une croissance régulière au fil des ans, l’encours total des prêts ayant augmenté en moyenne de 8 % pour atteindre 19,3 milliards UC à la fin de l’année 2018.
Pour les agences de notation, cette situation devrait perdurer au cours des prochaines années. Dans sa plus récente note sur la BAD, l’agence S&P Global Ratings explique : « Ces perspectives stables reflètent notre attente selon laquelle, au cours des deux prochaines années, la Banque africaine de développement (BAD) gérera prudemment son capital tout en maintenant des niveaux solides d’actifs de liquidité de haute qualité et de financement solide. Nous nous attendons à ce que les actionnaires continuent de soutenir la Banque en versant le capital en temps voulu ; que la banque continue à bénéficier du traitement de créancier privilégié (PCT) ; et également à ce que la banque gère avec prudence la croissance des prêts au secteur privé d’une manière conforme à son mandat. » Et d’ajouter : « Nous supposons également que le soutien extraordinaire des actionnaires à la banque restera inchangé ».
A quelques mois de la prochaine désignation de son nouveau président, et malgré le lancement d’une enquête sur des faits présumés de mauvaise gouvernance, les perspectives d’avenir de l’institution sont prometteuses.
Cependant, si son bilan est élogieux, avec des avancées remarquables, la BAD est encore loin d’avoir rempli toutes les missions qui lui ont été assignées par ses pères fondateurs. Sa contribution à la réalisation des Objectifs de développement durable, le financement du gap infrastructurel de l’Afrique et de l’agenda 2063 de l’Union Africaine, ou encore sa contribution à la mise en œuvre effective de la ZLECAf, sont les chantiers majeurs sur lesquels l’institution panafricaine sera attendue au cours des prochaines années.
Ecofin