Mis sous forte pression par la tempête économique, le Nigeria a fini par décréter la fin des subventions au carburant. Une mesure censée abolir un régime favorisant la corruption, et attendue de longue date par le secteur pétrolier, dubitatif face aux annonces d’Abuja.
Ce système décrié siphonnait des milliards de dollars des caisses publiques, car le premier producteur de brut africain dispose de seulement quatre raffineries, non fonctionnelles, et doit importer la quasi- totalité de ce que consomment ses 200 millions d’habitants.
Pour acheter la paix sociale, le gouvernement prend en charge une partie des coûts du carburant, permettant ainsi aux stations-services de vendre une essence à des prix très en-dessous du marché: 145 nairas (0,32 euro) le litre, deux fois moins que dans les pays voisins, comme le Bénin. Mais depuis trois mois, la pandémie de nouveau coronavirus a fait chuter les cours mondiaux du baril de brut et, du même coup les revenus du Nigeria qui devrait entrer en récession avant la fin de l’année.
Le gouvernement a donc annoncé la fin des subventions, promettant aux distributeurs ce qu’ils revendiquent de longue date: laisser le marché déterminer les prix à la pompe. « À l’avenir, il n’y aura plus de subventions (…) c’est fini », a martelé ces dernières semaines Mele Kyari, le patron de la compagnie pétrolière nationale NNPC, chargée depuis quelques années d’importer les produits raffinés pour le compte des distributeurs. Ces derniers n’ont pas crié victoire pour autant. Malgré ces annonces et la publication d’une circulaire officielle, le gouvernement continue d’imposer une fourchette de prix de vente, révisable chaque mois.
A charge pour les distributeurs de s’y plier, sous peine de voir leurs stations-services fermer. « Nous ne comprenons pas vraiment ce que fait le gouvernement », s’agace Tunji Oyebanji, président du Moman, principale association de distributeurs au Nigeria, qui regrette de ne pas avoir été consulté. « Où sont les forces du marché qui déterminent le prix dans tout cela? ». « Nous maintenons qu’une déréglementation et une libéralisation totale du secteur est la solution », dit-il à l’AFP.
Corruption massive : Les distributeurs ne sont pas les seuls à critiquer ouvertement ce système de subvention qui a facilité des années durant les pratiques d’enrichissement massif au Nigeria.
L’ancien secrétaire d’Etat au Pétrole, Emmanuel Kachikwu, avait dénoncé cette politique, affirmant qu’elle coûtait chaque année 3,9 milliards de dollars à l’Etat.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) n’ont eux aussi cessé de critiquer l’évaporation de sommes colossales qui auraient pu être dépensées dans des secteurs prioritaires en déliquescence, comme la santé et l’éducation.
Longtemps, les sociétés important des produits raffinés ont abusé de ce système, en surévaluant largement leur prix d’achat, facturé à l’Etat qui versait de sa poche la différence avec le prix à la pompe.
Après son élection en 2015, le président Muhammadu Buhari (photo), voulant assainir le secteur, a suspendu une grande partie des sociétés d’importation de carburant et fait de la NNPC le principal importateur de carburant. Mais selon plusieurs observateurs, cela rend la NNPC, historiquement connue pour être la caisse noire de l’Etat, encore plus puissante et perpétue une corruption déjà massive dans le secteur. « La corruption n’a pas disparu sous l’administration Buhari, même si elle était moins répandue qu’à l’époque de Goodluck Jonathan (2010-2015), où des traders sont devenus milliardaires en à peine cinq ans », estime Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
« Fin du système » : La compagnie nationale est elle aussi accusée de surévaluer de manière « astronomique » et injustifiée la quantité de carburant consommée au Nigeria. Les volumes non utilisés et facturés à l’Etat seraient convoyés illégalement vers les pays voisins où ils sont vendus beaucoup plus cher.
Vu l’ampleur des abus et les échecs des tentatives de réformes, plusieurs distributeurs du secteur disent craindre que les dernières annonces ne soient un écran de fumée. « Avec la crise, le cours du baril est tombé si bas qu’il n’y avait plus rien à gagner du système de subventions », explique un opérateur sous couvert d’anonymat. « Mais lorsque les prix vont augmenter, ne vont-ils pas retourner leur veste et rétablir les subventions si lucratives? ».
Pour Benjamin Augé, un retour en arrière semble toutefois difficile étant donné la situation financière catastrophique du Nigeria qui a appelé le FMI à l’aide.
La construction à Lagos (Sud-Ouest) d’une méga-raffinerie par le milliardaire nigérian Aliko Dangote, d’une capacité de 650.000 barils/jour, devrait aussi permettre de faire baisser significativement les importations, donc les coûts et le montant des subventions. « Cette fois, estime Benjamin Augé, l’Etat n’a plus le choix, c’est la fin du système ».
Afp