AccueilAfriqueCEDEAO : 45 ans après, le bilan

CEDEAO : 45 ans après, le bilan

Date:

- Advertisement -

Lancée le 28 mai 1975, dans l’objectif de créer une union économique et monétaire sous-régionale, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est aujourd’hui présentée comme l’une des pierres angulaires du futur projet de l’intégration africaine. Tant sur le plan politique, économique que sécuritaire, l’organisation a réalisé d’importants progrès, ces dernières années, au point de faire de l’Afrique de l’Ouest l’une des régions les mieux intégrées du continent. Mais près d’un demi-siècle après sa création, ce regroupement est encore loin d’avoir atteint tous les objectifs fixés par ses fondateurs.

Une organisation d’inspiration purement économique…

L’idée de la création de la Cedeao est née d’une initiative des présidents nigérian Yakubu Gowon et togolais Gnassingbé Eyadéma, qui proposent dès 1972 la création d’une zone d’intégration économique régionale. A l’époque, l’objectif était de créer un véritable bloc économique régional, bien plus large que l’Union douanière de l’Ouest africain formée en 1959 par les pays du Conseil de l’Entente et le Mali.

Avant l’avènement de la Cedeao, plusieurs efforts d’intégration avaient déjà été menés par les pays ouest-africains. Malheureusement, la création du franc CFA en 1945 ou encore le lancement en 1965 d’une Union économique de l’Afrique de l’Ouest, à l’initiative du Liberia, n’ont pas abouti à la création d’une véritable communauté, jusqu’à la signature du traité de Lagos en 1975. Celui-ci, considéré comme l’acte de naissance de la Cedeao, cantonne alors l’organisation à un rôle purement économique, l’objectif étant de promouvoir la coopération économique entre les Etats membres.

… devenue politique et sécuritaire

Les nombreuses crises politiques sévissant dans les pays ouest-africains poussent la Cedeao à élargir ses champs de compétence tout en contribuant à augmenter sa crédibilité dans la région. Après la signature d’un protocole de non-agression entre les pays membres en 1978 et d’une déclaration des principes politiques, quelques années plus tard, la Cedeao inaugure une nouvelle force au cours des années 1990 : l’Ecomog. Cette dernière est devenue au fil du temps l’un des principaux instruments utilisés par l’organisation pour résoudre les crises politiques dans la région. Ainsi, l’Ecomog a servi de force d’interposition dans les guerres civiles au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée-Bissau, notamment. En 2017, suite au refus de l’ancien dirigeant gambien Yahya Jammeh de respecter le verdict des urnes qui ont déclaré l’opposant Adama Barrow vainqueur de l’élection présidentielle, la Cedeao décide de l’envoi de troupes sur le terrain en mobilisant « l’ensemble des moyens, terre, air et mer ». Le départ « sans effusion de sang » de l’ancien dictateur qui a permis de remettre le pays sur le chemin de la démocratie est considéré comme étant l’un des plus grands succès de la Cedeao, à ce jour. Cependant l’Ecomog n’est pas le seul levier d’intervention de la communauté. En 2010, par exemple, après le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître la victoire à la présidentielle d’Alassane Ouattara, la Cedeao n’hésite pas à suspendre la Côte d’Ivoire de ses instances afin de faire pression pour un règlement rapide du conflit. Ce n’est qu’en avril 2011, après la victoire des forces pro-Ouattara qu’elle fut réintégrée.

Une union économique et monétaire disparate

Avec plus de 628 milliards de dollars de PIB et une population de plus de 350 millions d’habitants, la Cedeao était partie pour être l’un des blocs économiques les plus puissants de l’Afrique et une locomotive pour faire avancer la machine de l’intégration économique africaine. Hélas, les pays membres de l’organisation semblent plus prompts à signer des accords d’harmonisation de leurs politiques économiques et monétaires qu’à les mettre en œuvre. A titre d’exemple, les chefs d’Etat de la Cedeao ont adopté le 12 janvier 2006 la mise en place d’un Tarif extérieur commun (TEC). Entré en vigueur le 1er janvier 2015, cet instrument vise à harmoniser les politiques douanières de la région, en imposant notamment un droit de douane entre 0% et 35%, selon la catégorie à laquelle appartient la marchandise. Hélas, plus de cinq ans après son entrée en vigueur, le TEC n’est pas ou peu appliqué, alors qu’il est présenté comme l’une des clés de voûte de la future union douanière souhaitée pour la région. Cependant, c’est surtout concernant l’adoption d’une monnaie unique que la Cedeao a affiché sa désunion, ces dernières années. Alors que la question est sur la table des négociations depuis des décennies, les récents revirements au sujet de l’adoption de l’ECO ont été au cœur de l’actualité en 2019. 

Réunis à Abuja, dans le cadre de la Zone monétaire ouest-africaine (ZMAO), le Nigeria et cinq autres pays de la Cedeao ont condamné, en janvier dernier, la décision de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) de renommer « unilatéralement » le franc CFA en ECO. Si pour le président ivoirien Alassane Ouattara, les pays de la zone CFA doivent profiter de leur politique monétaire commune pour conduire la marche vers l’ECO, il n’en est pas de même pour le géant nigérian pour qui cette décision n’est pas conforme « aux décisions de l’Autorité des chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao pour l’adoption de l’ECO comme nom d’une monnaie unique indépendante de la Cedeao ».

En réalité, au-delà de ces frictions, la communauté n’a jamais vraiment pu réussir à mettre en œuvre sa politique de convergence monétaire, pourtant amorcée depuis une trentaine d’années. Celle-ci prévoit, entre autres, que tous les pays de la zone doivent avoir un déficit en dessous de 3% du PIB, une inflation en dessous de 10% et une dette inférieure à 70% du PIB. A ce jour, on estime que seulement quatre ou cinq pays du regroupement, sur les 15, remplissent certains de ces critères. Une situation qui devrait une nouvelle fois faire repousser l’échéance pour l’adoption de la monnaie unique, initialement prévue pour 2020.

Une intégration commerciale « informelle »

45 ans après sa création et près de soixante années après l’indépendance de ses pays, de nombreuses études estiment aujourd’hui que les pays de la Cedeao commercent plus avec les autres continents, qu’entre eux. 

Selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), « la part des échanges intracommunautaires dans le commerce mondial des pays membres […] diminue même avec le temps (8,1 % en 2012 contre 16,2 % en 2001 pour ce qui concerne les importations des Etats membres ; de 9,6 % à 7,8 % pour ce qui concerne les exportations sur la même période) ». Selon les données de la Commission de la Cedeao, la valeur globale des échanges intra-régionaux s’élève à 42,2 milliards $ (exportations + importations) soit une proportion de 17 % des échanges extérieurs des pays de la Communauté en 2014. A titre comparatif, l’Europe représente environ 28% des exportations de la Cedeao (dont 23% pour l’Union européenne) alors que les Amériques représentent 40%. Quant aux importations de la région, elles proviennent pour 40% d’Europe, dont environ 30% de l’UE, et à peu près 30% de l’Asie-Océanie (CNUCED, 2010). Ainsi, les statistiques officielles semblent toutes unanimes sur le fait que la Cedeao est une organisation très peu intégrée commercialement. Mais dans les faits, la situation est loin d’être aussi simple. En réalité, si les chiffres du commerce intra-régional de l’Afrique de l’Ouest sont si faibles, c’est principalement parce que la Cedeao a développé au fil des ans un tissu commercial informel entre ses frontières. Certaines études considèrent même que les flux réels ne sont captés par les statistiques officielles qu’à hauteur de 25 à 50 %.

Dans une interview accordée au Magazine Forbes, Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) explique : « La réalité est que l’économie régionale ouest-africaine est infiniment plus intégrée qu’on le croit […] Nous faisons face à un double biais statistique. Le premier est lié aux énormes exportations de pétrole brut du Nigeria vers le reste du monde qui font mécaniquement baisser la part du commerce régional dans l’ensemble de la Cédéao. Regardez les chiffres du commerce extérieur des pays qui exportent peu de matières premières vers le reste du monde, vous verrez que l’essentiel de leur commerce extérieur se fait avec leurs voisins ouest-africains. Le deuxième biais est beaucoup plus important. Il réside dans le fait qu’on est tout simplement incapable de mesurer l’immense majorité des échanges qui ne sont pas déclarés. Nous avons la fâcheuse habitude de considérer que ce qui n’est pas recensé n’existe pas. Or nous savons que le maïs cultivé dans les pays sahéliens est principalement consommé sur la côte, que les oignons du Niger inondent les marchés d’Abidjan, que le poisson séché consommé à Accra vient du Mali, qu’on trouve l’huile de palme de Guinée dans les échoppes de Dakar… On pourrait multiplier les exemples à l’infini ». Et d’ajouter : « Les indicateurs s’appuient sur des statistiques officielles incapables d’appréhender la réalité de l’économie populaire qui occupe 80 % de la population ouest-africaine ». Ainsi, l’intégration commerciale de l’Afrique de l’Ouest pourrait être bien plus avancée qu’on ne le pense. Malheureusement, elle ne profite pas aux Etats membres de la Cedeao, car avec la non-déclaration des marchandises qui transitent de part et d’autre des frontières, ce sont autant de fonds qui échappent aux caisses publiques.

Des perspectives intéressantes pour l’avenir ?

45 ans après son lancement, on peut dire que le bilan de la Cedeao est assez mitigé. Cependant, malgré toutes ses tares, les perspectives d’avenir de l’organisation sont loin d’être sombres. De nombreux projets d’intégration restent à mettre en œuvre et malgré les divergences d’opinions, les gouvernements de la région ont toujours affirmé leur intention de les mener à leur terme.

Aujourd’hui, l’organisation peut compter sur les progrès réalisés depuis quatre décennies notamment dans le domaine de la libre circulation des personnes. Selon la CEA, « la Cedeao est la seule région en Afrique où il n’existe pas de visa entre les Etats depuis 1980 », bien avant l’entrée en vigueur de l’Accord de Schengen de l’UE en 2005.  En effet au sein de l’espace de la Cedeao, les différents protocoles en vigueur donnent au citoyen communautaire la faculté de se déplacer librement d’un Etat à un autre, avec la seule condition de présenter un passeport (carte d’identité dans l’Uemoa) ou un carnet de voyage Cedeao, ou encore une carte biométrique Cedeao. 

De plus, il est prévu la délivrance d’un droit de résidence et l’attribution, au bout de trois mois, d’une carte de résidence ou de séjour avec la possibilité pour le citoyen communautaire de créer une entreprise ou d’accéder à un emploi. Hormis cela, les dirigeants de la région se sont très souvent montrés très unis pour fournir des réponses communes aux défis qui menacent la sous-région.

Si ces actions valent à l’espace d’être cité en exemple comme modèle de réussite d’intégration, de nombreux défis restent à relever pour faire de cette intégration une véritable union. La menace sécuritaire de plus en plus importante avec l’expansion du djihadisme dans la région, le non-respect des critères de convergence macroéconomique, les divergences en matière de politique monétaire et la poursuite des programmes infrastructurels d’intégration sont d’énormes chantiers qui attendent les pays de la région. 

Ecofin

- Advertisement -
Articles associés

Derniers articles