Il y a trop de pétrole et de gaz sur le marché mondial. L’excédent est tel, que les producteurs et traders éprouvent de grosses difficultés à les vendre, ni même, à les stocker. En a résulté un effondrement spectaculaire des prix aggravé par un bradage des excédents qu’on préfère solder plutôt que stocker à des prix qui ne cessent de grimper faute d’infrastructures de stockage. La surproduction de pétrole est si abondante que la réduction de 9,7 millions de barils/jour récemment décidée par l’OPEP et la Russie, n’est pas arrivée à inverser la tendance baissière des cours. hier 22 avril 2020 le baril de Brent mer du nord ne valait plus que 19,49 dollars à New York et le WTI à peine 11,02 dollars. Certaines firmes, notamment celles qui commercialisent les hydrocarbures de schistes, consentent à vendre à perte uniquement pour éviter les frais de stockage de plus en plus onéreux. C’est dire à quel point les difficultés de l’industrie pétro gazière sont grandes et sans issue, du moins à court terme, tant les facteurs défavorables se sont, non seulement accumulés, mais plus grave, tendent à s’inscrire dans la durée.
C’est en effet toute l’économie mondiale qui s’est subitement rétractée sous l’effet d’une pandémie qui a grippé tous ses rouages. Les États ayant choisi la prudence pour protéger leurs citoyens, ont usé de leurs prérogatives pour arrêter les activités de transport (avions, trains, navires, transports terrestres etc.) qui constituent les plus gros consommateurs d’hydrocarbures. Si les États ont pu arrêter ces activités énergivores, ils n’ont par contre pas ordonné aux producteurs de brut et de carburant, de réduire en conséquence leurs productions, d’où cette subite rupture d’équilibre entre l’offre et la demande mondiale d’hydrocarbures bruts et raffinés. L’offre étant beaucoup plus forte que la demande, la casse des prix n’a pas tardé à se manifester et à prendre le dessus en tant que principal déterminant de formation des prix. Les cours pétro-gaziers sont aujourd’hui si bas, qu’aucun investisseur au monde ne s’aventurera à ouvrir de nouvelles exploitations d’hydrocarbures, ni même, à améliorer les performances productives des gisements en activité, sachant que, non seulement, il vendra à perte, mais qu’il aura des difficultés à stocker les parts qu’ils ne parviendront pas à écouler.
L’Algérie qui avait tout misé sur la re-dynamisation de la production d’hydrocarbures avec l’aide des grandes compagnies pétrolières auxquelles elle avait promulgué une législation sur mesure, va hélas déchanter du fait que ce secteur frappé par un subit effondrement des prix, n’attire plus les investisseurs étrangers sur lesquels le gouvernement avait misé en promulguant sa très controversée législation sur les hydrocarbures. Pour ces firmes, l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements pétro gaziers sont des aventures qu’il est en effet déconseillé de tenter en pareille conjoncture ! Dans l’expectative, ces investisseurs auront bien entendu les yeux rivés sur les statistiques économiques et n’agiront que lorsqu’ils auront la certitude que les prix seront repartis à la hausse de façon substantielle et durable.
La crise de surproduction actuelle a par ailleurs mis en évidence une extrême fragilité en matière d’infrastructures de stockage dont on découvre subitement l’insuffisance. Alors que les prix auraient pu remonter par le truchement des rétentions de stocks, les excédents de production générés par les méventes n’ont pu être emmagasinés faute de cuves et autres moyens de stockages. De nombreux tankers chargés ont dû rester à quais avec tous les frais exorbitants que cela suppose. L’industrie pétrolière qui n’a jamais été confrontée à un aussi gigantesque problème d’excédent a en effet, très peu investi dans les moyens de stockage, si bien que les coûts d’emmagasinages ont dans certains cas dépassé les cours des hydrocarbures. Pour stocker un baril de pétrole coté, comme aujourd’hui à 19,5 dollars, les producteurs doivent débourser l’équivalent de 15 dollars en moyenne en frais de stockage, soit près de 90% de ce qu’il est censé rapporter. C’est à la fois énorme et inédit pour ces firmes qui n’avaient jusque-là jamais rencontré de difficulté à écouler leurs produits. D’où leur empressement à les brader à des prix qui défient l’entendement. Les médias rapportent des cas d’acheteurs qui ont pris possession de cargaisons de pétrole sans pratiquement rien payer, les vendeurs étant pressés de se débarrasser de leurs produits avant que la facture de stockage n’atteigne des sommes colossales.
Les problèmes de stockage ne sont pas prêts de prendre rapidement fin, car les firmes pétrolières ne peuvent pas réagir en fermant les puits de pétrole et de gaz en activité. En effet, on ne ferme pas du jour au lendemain un puits de gaz ou de pétrole. Cela requiert des moyens techniques et matériels très coûteux et la reprise des activités est de nature à coûter tout aussi cher. D’où la tendance à laisser ces exploitations en activité, quand bien même, le marché serait saturé. Mis à part les exploitations de gaz naturel dont une partie des excédents peut être brûlée dans les torchères, celles qui produisent du pétrole sont obligées de continuer à extraire du brut à perte et sans certitude de débouchés.
S’agissant des hydrocarbures de schistes les pertes sont encore grandes du fait que les coûts de production sont plus élevés. Un baril reviendrait à environ 36 dollars en moyenne, soit environ 16 dollars de plus que son cours du 22 avril 2020. Pas du tout rentables à ce prix, les puits de pétrole et de gaz de schistes sont en train de fermer les uns après les autres aux USA et au Canada. De nombreuses faillites sont signalées au point d’inquiéter l’administration américaine qui a poussé le cartel OPEP et la Russie à diminuer leurs productions, mais la réduction pourtant substantielle de 9,7 millions de barils jours obtenus, n’est pas parvenue à mettre fin à la dégringolade des prix qui a même viré au cauchemar cette semaine avec un effondrement brutal des cours aggravé par une formation de stocks d’invendus sans précédent.
L’Algérie qui a beaucoup misé sur l’investissement étranger dans le domaine de l’exploration et l’exploitation hydrocarbures et, notamment les gaz de schiste, est frappée de plains fouets par cette grave crise de surproduction. Même si la nouvelle loi sur les hydrocarbures a nettement amélioré les mesures incitatives au profit des firmes pétrolières, une conjoncture aussi défavorable à l’investissement pétrolier n’est pas nature à susciter l’engouement immédiat des investisseurs étrangers. Il faudra sans doute attendre une embellie qui résulterait de la fin de la pandémie de Coronavirus et d’une reprise significative de l’économie mondiale, pour que ces derniers soient tentés par l’aventure algérienne. Comme on ne perçoit aucun signe encourageant dans ce sens, on ne peut que recommander au gouvernement de chercher d’autres voies de développement dans des activités à fortes valeurs ajoutées et tout à fait à notre portée, comme l’Agriculture, les TIC, les énergies renouvelables, la Santé et autres. Mais pour ce faire, il devra commencer par libérer les initiatives et, notamment, celles du secteur privé qui recèle des capacités financières et entrepreneuriales extra ordinaires, pour peu que les bureaucrates n’entravent pas leurs initiatives.