Les mauvais résultats financiers signalés par les compagnies de la chaine de valeur pétrolière depuis 2014 continuent de fragiliser les performances de l’industrie. En 2019, le secteur a été secoué par des faillites et des dépréciations records qui n’ont épargné personne, pas même les majors. La situation s’est aggravée avec une nouvelle chute des prix du pétrole début 2020. Le problème est devenu tellement alarmant que de nombreux analystes comme Moody’s s’attendent à une nouvelle ère où environ 30% des entreprises pétrolières mettront la clé sous la porte. Explication.
Fin mars 2020, un désaccord entre la Russie et l’Arabie saoudite sur les conditions de reconduite des réductions de la production, en vigueur depuis 2016, a plongé le marché dans une nouvelle spirale de dégringolade des cours mondiaux. Il y a deux semaines, en Amérique du Nord, le brut s’est même échangé à moins de 10 dollars le baril, son plus bas niveau dans la région depuis 31 ans. Au même moment, il s’échangeait à moins de 25 dollars en Europe. Pour l’ensemble de la chaine de valeur qui ne dégage déjà que très peu de marges lorsque le baril avoisine les 60 dollars, cette situation fragilise les bilans et met en péril les nouveaux investissements.
On en mesure les conséquences lorsque la grande majorité desdites entreprises annonce, dès début avril, des réductions importantes de leurs budgets d’investissements pour l’année.
La plus grande réduction des dépenses se fera dans le bassin émergent du Permien, aux Etats-Unis. En Afrique, l’amont va réduire ses dépenses d’investissements de 33%, selon le cabinet d’analyses sectorielles Wood Mackenzie.
Une dette insoutenable : Selon un bilan des producteurs, la dette globale du secteur nord-américain s’élève à environ 122 milliards de dollars, accumulée depuis 2016, date à laquelle les prix du pétrole ont commencé à baisser. D’après Moody’s, l’industrie pétrolière et gazière américaine a encore environ 86 milliards de dollars de dettes nominales à payer au cours des quatre prochaines années. C’est l’un des niveaux de dettes les plus élevés de tous les secteurs et le crash pétrolier actuel rend le remboursement particulièrement difficile pour ces entreprises. Par conséquent, l’agence de notation prévoit une nouvelle vague de faillites qui frappera l’industrie à partir des deux prochaines années. Selon une simulation, 9 à 10 compagnies pétrolières et gazières sur 35 feront faillite si les prix de l’énergie restent aussi bas.
Bien que la Russie et l’Arabie saoudite aient obtenu, la semaine dernière, un accord historique avec la réduction de près de leur offre de 10 millions de bpj, les stocks déjà constitués pourraient représenter un boulet pour la pleine reprise du marché. Et aux stocks, s’ajoutera la demande mondiale toujours aussi faible en raison des effets du COVID-19 sur l’économie mondiale. Donc sans une plus grande implication de l’ensemble de l’industrie pétrolière globale via davantage de réductions de la production, les prix du pétrole resteront faibles. A cet effet, lundi, le ministre russe de l’énergie, Alexander Novak a déclaré que les concertations se poursuivent afin d’obtenir entre 15 et 20 millions de réduction de l’offre pendant la période mai-juin. L’autre espoir est que les producteurs américains de schiste sont également disposés à une réduction de leur production. Lundi, la Railroad Commission of Texas (un régulateur américain du secteur) a annoncé que la production américaine d’environ 15 millions de barils par jour pourrait être immédiatement réduite de 20%. Ce serait la première fois que les Américains s’imposent une réduction de production depuis les années 1970.
Aujourd’hui, le panier de treize bruts de l’OPEP est d’environ 22 dollars. Pour rappel, le panier de référence de l’OPEP pour les bruts se compose des éléments suivants : Saharan Blend (Algérie), Girassol (Angola), Djeno (Congo), Zafiro (Guinée équatoriale), Rabi Light (Gabon), Iran Heavy (Iran), Basra Light (Irak), Kuwait Export (Koweït), Es Sider (Libye), Bonny Light (Nigeria), Arabie Saoudite, Murban (EAU) et Merey (Venezuela).
Le WTI américain s’échange actuellement contre 22,05 dollars et le Brent contre 31,66 dollars.
Plus rien ne sera comme avant : Selon le cabinet d’avocats américain Haynes and Boone, 50 entreprises du secteur de l’énergie ont déposé leur bilan l’année dernière. Il s’agit de 33 producteurs de pétrole et de gaz, 15 sociétés de services pétroliers et deux entreprises de taille moyenne. Parallèlement, Chevron, Schlumberger et Shell ont annoncé des dépréciations d’actifs de plusieurs milliards de dollars en invoquant des perspectives macroéconomiques défavorables.
Dans leur instabilité causée par la chute des programmes de forages, les sociétés de l’amont pétro-gazier ont entraîné celles en charge des services. Une étude du cabinet, centrée sur les firmes nord-américaines de services pétroliers qui sont les plus dynamiques du monde, indique qu’elles sont confrontées à une vague d’endettement de 32 milliards de dollars qui arrivera à échéance en 2024.
La question qui se pose alors avec acuité est celle du règlement de ces dettes avec un prix du baril toujours inférieur à 40 dollars. Les entreprises cotées en bourse représentent 65% des 32 milliards de dollars de dettes du secteur des services. Parmi celles-ci, on retrouve Transocean avec 4,3 milliards de dollars, Valaris (1,8 milliard $), Nabors Industries (1,4 milliard $) et Superior Energy Services (1,3 milliard $), selon des données fournies par Moody’s. Cela montre de toute évidence que le spectre actuel de morosité va planer bien plus longtemps sur les finances des entreprises. Car, même avec une reprise du baril au niveau de référence de 60 dollars, les déficits engendrés par la conjoncture ne seront pas comblés. Et avec les défauts de paiement, les mauvais résultats financiers qui se profilent à l’horizon n’augurent rien de bon pour l’ensemble de la chaine.
Le mauvais état des sociétés de services pétroliers se reflète clairement dans l’indice de référence favori du secteur. Il est en baisse de 72 % depuis le début de l’année et nettement inférieur à la chute de 30 % du S&P 500. Par ailleurs, Moody’s estime que les perspectives semblent particulièrement sombres pour les entreprises qui ont un besoin urgent de capitaux et celles dont la notation de crédit est faible, car les programmes de forages en cours à l’échelle mondiale ont diminué de plus de moitié. De nombreuses entreprises devront déclarer faillite ou continuer à tourner à perte jusqu’à l’asphyxie.
Moody’s fait aussi savoir que les plus grandes entreprises du secteur telles que Schlumberger, Halliburton, Baker Hughes ou encore la National Oilwell Varco sont mieux placées pour résister à la tempête qui s’annonce, car elles offrent d’autres services qui peuvent compenser la réduction des activités de forage.
En Afrique, l’hécatombe ? C’est connu. Les petites entreprises et les Etats africains sont particulièrement vulnérables à la chute des prix du pétrole. Les séquelles du choc de 2014 sont encore présentes dans l’économie des pays producteurs de la zone et dans le cadre de ce nouveau crash, les perspectives sont mauvaises pour la chaine de valeur locale. Selon une étude du cabinet Rystad Energy, la chute des prix du pétrole en dessous de leur seuil de rentabilité fera que de nombreux projets seront retardés en Afrique. Par conséquent, de nombreux pays producteurs devront réduire leurs budgets de finances. « La plupart des principaux projets pétroliers et gaziers prévus en Afrique s’attendaient à être affectés dans l’hypothèse d’un prix du pétrole compris entre 55 et 60 dollars le baril. Aujourd’hui, avec la chute des prix nous nous attendons à ce que de nombreux projets soient retardés, ce qui entraînera une baisse de la production de liquides prévue sur le continent pendant la majeure partie de cette décennie et des répercussions importantes sur les budgets des États dépendant de l’énergie », a précisé Siva Prasad, analyste en chef dans l’amont chez Rystad Energy.
Le Nigéria qui envisage de réajuster le budget 2020 travaille déjà sur un scénario catastrophe du baril à 30 dollars. Or, le pays n’a pas fini de se remettre des affres de la chute des prix du pétrole en 2014.
Parallèlement, des données macro-économiques de la CEMAC indiquent que les pertes cumulées des recettes pétrolières dans la zone CEMAC s’élèveront à un peu plus de 992 milliards FCFA. Ce niveau de pertes serait multiplié par trois en cas d’aggravation de la crise du Covid-19 et de la faiblesse de la demande.
Ecofin