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Crise du coronavirus : pour les pays les plus pauvres, le pire est à venir

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Trois mois après le début de l’épidémie de coronavirus, cet événement nous apparaît clairement pour ce qu’il est : une tragédie humaine qui porte à l’économie planétaire un coup d’une gravité sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale . Dans les économies développées comme dans les pays en développement, la vague de la pandémie a rapidement submergé les systèmes de santé, avec des répercussions sociales et économiques qui s’annoncent d’une ampleur inégalée.

Pour les pays les plus pauvres cependant, le pire est à venir. Car ils sont profondément défavorisés pour affronter la crise : leurs systèmes sanitaires sont fragiles et leur accès à des fournitures médicales indispensables précaire, tandis que leur économie est moins résiliente aux chocs et fortement tributaire des échanges commerciaux. Les pays les plus pauvres risquent d’être bientôt touchés sur tous les fronts, et la catastrophe économique et sociale qui les frappera aura des effets qui se propageront dans l’ensemble du monde, en favorisant la diffusion du virus et en mettant en péril le redressement de l’économie mondiale.

La coopération pour aider ces pays à éviter le pire n’est pas seulement un impératif moral : elle est dans l’intérêt de tous. Les choix que nous faisons aujourd’hui auront des effets durables sur la capacité des pays en développement à faire face à la crise sanitaire et économique. Trop de pays prennent actuellement des mesures de nature à compromettre l’accès aux produits médicaux et à déstabiliser les marchés alimentaires. Pourtant, le passé récent nous a appris que ces politiques, outre le fait qu’elles sont inefficaces, ont en réalité pour effet d’aggraver le mal qu’elles prétendent combattre. Il serait au contraire plus judicieux d’adopter une approche coordonnée afin d’accroître la production et de répondre aux besoins des plus vulnérables.

Si la grande majorité des cas d’infections au coronavirus signalés jusqu’à présent ont concerné des pays développés, le nombre de contaminations dans les pays en développement pourrait augmenter considérablement dans les prochains mois. Quoi qu’il en soit, les ravages économiques de la pandémie se propagent déjà : les chocs d’offre et de demande se conjuguent et se répercutent d’un pays à l’autre à travers leurs effets sur les voyages, le commerce, la finance, les marchés des produits de base et la confiance des investisseurs. Parmi les pays les plus touchés par le coronavirus, dix-sept sont des plaques tournantes essentielles dans les réseaux du commerce mondial, ce qui contribue à amplifier les répercussions économiques pour les pays en développement.

La pandémie est déjà à l’origine d’une pénurie mondiale de fournitures médicales. Or la hausse des restrictions à l’exportation exacerbe les tensions sur l’offre et fait augmenter les prix. Le Groupe de la Banque mondiale a récemment lancé une nouvelle base de données (a) afin de suivre l’évolution des effets de ces politiques commerciales. Nos travaux mettent en lumière la grande vulnérabilité des pays en développement en ce qui concerne l’approvisionnement en fournitures médicales : dans les 20 pays en développement les plus touchés par la pandémie, cinq partenaires commerciaux seulement assurent l’importation de 80 % des produits indispensables à la lutte contre le coronavirus. Selon notre analyse (a), les restrictions déjà imposées sur les exportations de masques de protection vont probablement entraîner une hausse des prix de plus de 20 % ; en cas d’escalade des restrictions, les prix pourraient même flamber de plus de 40 %.

Après les pénuries de fournitures médicales, les denrées alimentaires pourraient venir à manquer, alors même que les niveaux de production devraient atteindre des sommets en 2020. En cause, la désorganisation des chaînes d’approvisionnement, le manque de main-d’œuvre causé par une morbidité accrue et la chute de l’activité dans les petites et moyennes entreprises (PME), dont un grand nombre risquerait de devoir mettre la clé sous la porte. Les exportations chinoises de produits agricoles ont par exemple reculé de 12 % au cours des deux premiers mois de 2020.

Et, là encore, on voit un petit nombre de pays (a) faire cavalier seul. Limiter les exportations alimentaires pour renforcer la disponibilité des produits sur le marché extérieur : c’est précisément ce qu’il ne faut pas faire dans les circonstances actuelles. Si l’on se réfère aux enseignements (a) de la crise alimentaire de 2008-2011, de telles mesures ont fait grimper les cours mondiaux de 13 % en moyenne et de 45 % pour le riz. Et ce sont les pays les plus pauvres qui en paieront le tribut le plus lourd parce qu’ils sont fortement tributaires des importations de denrées alimentaires : 80 % en moyenne des importations alimentaires des pays en développement proviennent de trois pays seulement, et cette proportion grimpe même à plus de 90 % dans les pays fragiles et en situation de conflit, ce qui les rend extrêmement vulnérables aux changements de politique commerciale dans les pays exportateurs.

Il sera par conséquent crucial de promouvoir une approche mondiale cohérente — axée sur la coopération internationale et la préservation d’un système commercial ouvert et fondé sur des règles — afin de garantir une réponse rapide face à la progression des infections et à la propagation, dans le monde en développement, des souffrances économiques causées par la pandémie dans les économies développées. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé les ministres du commerce du G20 à prendre des mesures concrètes dans ce sens, tout en préconisant une initiative parallèle de tous les membres de l’Organisation mondiale du commerce :

  • s’abstenir d’imposer, ou limiter, de nouvelles restrictions à l’exportation sur les fournitures médicales essentielles, les aliments ou autres produits clés ;
  • éliminer ou réduire les tarifs et les barrières non essentielles sur les importations de produits liés à la lutte contre la pandémie de Covid-19, les denrées alimentaires et autres produits de base ;
  • veiller à ce que les produits essentiels puissent traverser les frontières en toute sécurité ;
  • assurer un accès continu aux capitaux et au financement commercial aux PME.

Tous les gouvernements devraient agir sans tarder pour contrer la menace d’une pénurie de produits essentiels. Les achats de fournitures indispensables devront être coordonnés afin d’assurer une hausse de la production qui réponde aux exigences de coût-efficacité et de permettre l’acheminement rapide des marchandises des zones excédentaires vers des zones en demande.

Dans ce domaine, la Banque mondiale a plus particulièrement pris les devants en offrant à ses pays clients des services gratuits de facilitation des achats afin qu’ils puissent se procurer des produits et équipements médicaux indispensables. Nous les aiderons à identifier les fournisseurs disposant de stocks et à négocier les prix et conditions d’achat. Les emprunteurs concluront eux-mêmes les contrats, y compris en ce qui concerne la logistique. Parallèlement, dans le cadre de nos programmes de financement en faveur des PME, nous aidons également, dans la mesure du possible, à réorienter les capacités de production vers des produits médicaux.

Toute notre action est guidée par une priorité : apporter des réponses rapides et modulables pour atténuer l’impact de la pandémie de Covid-19 tout en renforçant la coopération internationale. Dès le mois dernier, nous avons mis sur pied un mécanisme de financement accéléré de 14 milliards de dollars afin d’accompagner les efforts déployés par les pays et les entreprises pour prévenir, détecter et faire face à la propagation du coronavirus, en mobilisant notamment les dispositifs de financement commercial et de lignes de crédit de la Société financière internationale (IFC).

L’importance de la coopération internationale et de mesures adaptées est encore plus grande au moment où nous entamons la prochaine phase de notre riposte pour consacrer nos efforts sur la reprise, avec la détermination de sortir plus fort de la crise. Le Groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont appelé à la suspension des paiements au titre du service de la dette pour les pays IDA sollicitant un délai de grâce, afin de leur permettre de disposer d’une plus grande marge de manœuvre budgétaire. En outre, nous nous tenons prêts à déployer, au cours des 15 prochains mois, un soutien financier de 160 milliards de dollars dans le but de continuer à aider les pays à faire face à la crise, améliorer leur résilience et favoriser leur redressement.

La vitesse et l’ampleur avec laquelle s’est répandu ce virus meurtrier ces trois derniers mois ne laissent plus planer aucun doute sur le danger majeur qu’il représente. Faire cavalier seul n’est plus une option. Les pays qui restent intégrés dans l’économie mondiale seront les mieux placés pour faire face efficacement à la crise à court terme et se relever plus rapidement à moyen terme. Nous sortirons beaucoup plus forts si nous travaillons tous ensemble en nous concentrant résolument sur l’avenir.

L’auteur de cet article est Mari Elka Pangestu, directrice générale de la Banque mondiale pour les politiques de développement et les partenariats

Source WBANK

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