L’Algérie a vécu au lendemain de l’indépendance un «baby boom» semblable à celui qu’elle subit aujourd’hui, mais elle avait réussi à le conjurer à coups de politiques maternelles et infantiles qui avaient notamment consisté à convaincre les femmes à espacer les naissances au moyen de contraceptif mis gratuitement à leur disposition. Le taux de natalité qui était l’un des plus élevé au monde (3,2%) a pu être ainsi ramené à, à peine 1,2 % au bout d’une dizaine d’année. Cet effort de planification des naissances couplé à une action massive d’éducation des femmes en âge de procréer s’est malheureusement estompé à la fin de la décennie noire en raison du relâchement du dispositif étatique d’espacement des naissances et de la propagation d’un discours religieux qui lui est franchement hostile. Le résultat est alarmant et les derniers chiffres de l’ONS confirment un retour à des records de natalité semblables à ceux des premières années de l’indépendance. Il naît en effet depuis ces quatre dernières années consécutives plus d’un millions d’enfants par an (1,12 millions en 2019) et le taux de croissance démographique, redevenu l’un des plus forts au monde n’est pas loin de 2%. La population algérienne qui s’accroît très vite sous les effets conjugués du «baby boom» et de l’allongement de l’espérance de vie, est passée de 32 millions d’habitants au début des années 2000 à 43,9 millions à la fin de l’année 2019, soit près de 12 millions de personnes de plus en l’espace d’à peine quinze années. C’est l’équivalent de deux fois la population d’Alger qui est ainsi venue s’ajouter à la démographie d’un pays mal préparé à accueillir cette déferlante de naissances.
Mal à l’aise pour dicter des politiques contraceptives et d’espacement des naissances fortement combattues par le discours religieux ambiant, les autorités ont, par calcul ou seulement par lâcheté, choisi de laisser faire, laissant le terrain idéologique aux islamistes qui sont parvenus à mettre une véritable chape de plomb sur cet épineux problème qui mine l’avenir du pays. C’est le pire des cadeaux empoisonnés que qu’Abdelaziz Bouteflika lègue à l’Algérie déjà fortement affaiblie par la corruption à grande échelle et la gouvernance hasardeuse qu’il a laissé se développer. Véritable bombe à retardement, le péril démographique en phase de bloquer tout espoir de développement du pays qui, comme on le sait, repose sur la seule rente pétrolière qui s’amenuise chaque année un peu plus alors que la population n’arrête pas de battre des records de croissance. La rente pétrolière dont une bonne partie est consommée sur place ne suffit pas répondre à la demande sociale de ces surcroîts constants de population. Plus grave encore, ce nouveau boom des naissances qui correspond à la fin de la décennie noire (2001), a déstructuré l’état des lieux de la démographie algérienne qui se trouve désormais avec beaucoup plus de bouches à nourrir, que de bras qui produisent.
Selon l’Office National des Statistiques (ONS) le bond prodigieux du taux de fécondité serait en grande partie dû à l’envolée de la croissance démographique (1,9%) qui tend à redevenir, comme au temps des décennies 60 et 70, l’une des plus fortes au monde. Ces statistiques n’ont évidemment pas de quoi réjouir puisqu’à ces millions de nouveaux nés que la collectivité doit prendre en charge jusqu’à leur majorité, s’ajoutent, trois millions de retraités, 12 millions de femmes au foyer et environ 5 millions de chômeurs tous écartés de la sphère de production. De ce fait seuls 8 millions d’actifs, dont plus de la moitié est employée dans l’administration publique et les services, font vivre par leur labeur cette population qui croît à un rythme exponentiel. Cette dangereuse tendance devrait de surcroît s’exacerber dans les prochaines années à en croire cet Office qui prévoit une hausse importante de la population dépendante (enfants, hommes et femmes inactifs, retraités, handicapés) en raison de la poursuite des records de nouvelles naissances et d’une espérance de vie plus longue. Les systèmes de retraite et de sécurité sociale basés sur le nombre d’actifs cotisants risquent de subir de bien fâcheuses conséquences. Le trésor public a du reste déjà commencé à voler à leur secours. A elle seule la Caisse Nationale de Retraite a reçu cette année une contribution du trésor public d’environ 500 milliards de dinars mais son équilibre demeure encore fragile. Ce constat alarmant de l’Office National des Statistiques aurait dû susciter l’inquiétude des plus hautes autorités algériennes de l’époque, mais ce ne fut malheureusement pas le cas. Bien au contraire le discours politique ambiant était largement favorable à cette dérive démographique que certains cercles du pouvoir s’étaient même dépêchés de présenter comme une bénédiction.
Le boum des naissances a effectivement de quoi inquiéter car l’économie algérienne tourne, pour des raisons structurelles, à un rythme insuffisant avec un faible taux de croissance économique voisin de celui de la croissance démographique (1,99%). Cette année le taux de croissance économique pourrait même être au-dessous de celui de la démographie, ce qui compliquera encore davantage la situation sociale d’un pays empêtré déjà dans d’inextricables problèmes de chômage, de logements, d’insuffisance de places pédagogiques, de santé publique, de désertifications industrielles et agricoles. Ce boum démographique qui se produit au moment où les recettes d’hydrocarbures sont en net déclin et le pays en pleine crise politique, a vraiment de quoi inquiéter.
Si la crise de gouvernance et ce déclin des recettes d’hydrocarbures venaient à perdurer, il est effectivement à craindre que les quelques rattrapages réalisés à la faveur de l’aisance financière (infrastructures routières et logements notamment), soient dépassés en à peine quelques années eu égard à la très forte demande sociale que vont générer le «Baby boom» avec son millions et demi de nouveaux nés par an et le «papy boom» avec ses 150.000 à 200.000 nouveaux retraités supplémentaires qui émargeront à la Caisse Nationale de Retraite. C’est pourquoi les économistes considèrent à juste raison que l’économie algérienne évoluera dans une échéance proche dans un contexte de plus en plus contraint. L’État qui tient à garder, sans doute pour des raisons historiques, son rôle de promoteur exclusif du développement et de soutien aux populations pauvres, devra pour ce faire assurer, à la fois, le «pain quotidien» à une population en constante augmentation et la prise en charge d’une demande sociale qui explose.