Le 8 novembre 2016, le paysage politique américain subissait un véritable séisme politique avec l’élection de Donald Trump, candidat républicain donné perdant par la plupart des sondages. Près de quatre ans après son élection, les effets de la nouvelle politique étrangère promue par le chef de file du « America First » se sont fait ressentir dans tous les pays, en particulier ceux du continent africain.
Des échanges commerciaux faibles : Avant l’arrivée de Donald Trump, les relations commerciales américano-africaines étaient déjà à un niveau jugé assez faible par rapport à d’autres pays. Depuis le pic de 141,8 milliards $ atteint en 2008, les échanges de biens entre l’Afrique et les Etats-Unis n’ont franchi la barre des 100 milliards $ que deux fois (113,3 milliards $ en 2010 et 125 milliards $ en 2011) sous le premier mandat du président Barack Obama, selon les chiffres du Bureau américain des recensements. Depuis lors, ils ont continué à chuter. Alors que la résilience de la croissance africaine et son futur marché unique ont poussé les plus grandes puissances mondiales à booster leurs échanges commerciaux avec le continent, cette tendance ne semble pas être partagée par les Etats-Unis. En 2019, les échanges de biens entre Washington et les pays africains étaient estimés à 56,8 milliards $, soit une baisse de 8,07% par rapport aux 61,8 milliards $ estimés en 2018. A titre comparatif, les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ont grimpé de 2,2% en 2019 pour atteindre 208,7 milliards $.
D’après le ministère américain du Commerce, en 2018, tous les pays d’Afrique subsaharienne réunis ne pesaient que 1% des exportations américaines, et également 1% des importations. Même si l’Afrique occupe une part marginale dans les échanges commerciaux américains, de nombreuses initiatives telles que l’African Growth Opportunity Act (AGOA) ont permis d’enregistrer des progrès sensibles depuis 2001. Toutefois, la récente utilisation par Donald Trump de cet accord comme moyen de pression sur des Etats africains ne semble pas propice au développement des échanges commerciaux entre les deux parties. En 2015 par exemple, le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie, dans une logique de protection de leur marché intérieur, se sont mis d’accord pour augmenter les taxes sur les fripes en provenance des États-Unis. Cette décision avait poussé l’administration Trump, sous l’influence de l’Association américaine de textiles d’occasion et recyclés (Smart), qui dénonçait l’imposition de droits de douane sur les exportations américaines, à exercer des pressions sur ces pays pour la réouverture de leurs marchés. Seul le Rwanda avait maintenu jusqu’au bout sa décision ; ce qui avait entraîné une suspension de ses avantages commerciaux relatifs aux exportations de vêtements vers les États-Unis. Plus récemment, c’est le Cameroun qui était exclu de l’AGOA, Washington accusant les forces armées camerounaises d’atteintes aux droits humains.
Une coopération sécuritaire de moins en moins certaine… Si les relations commerciales USA-Afrique n’ont pas atteint un niveau assez suffisant pour faire de Washington un partenaire incontournable du continent noir, il n’en est pas de même en matière de coopération sécuritaire.
Au cours des dernières années, les Etats-Unis sont devenus un acteur important en matière de fourniture d’armement aux Etats et de lutte contre le terrorisme en Afrique. D’ailleurs, à son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump indiquait que l’un des axes prioritaires de sa politique étrangère serait la lutte contre le « terrorisme islamique radical ». Pourtant les déclarations faites ces derniers mois semblent remettre en question cette stratégie, au point de représenter, pour certains observateurs, une menace à terme pour la coopération sécuritaire américano-africaine sur le continent.
Fin décembre 2019, les autorités américaines annonçaient leur intention de réduire leurs effectifs en Afrique pour renforcer leurs positions en Asie, pendant que certains responsables américains reprochaient déjà aux pays africains de ne pas être assez impliqués dans la lutte contre le terrorisme. Cette annonce, intervenant à quelques mois de la prochaine présidentielle, cadre bien avec l’une des promesses de campagne de Donald Trump en 2016 ; celle de retirer les USA de ce qu’il appelle les « guerres sans fin ». Il faut noter qu’entre 6000 et 7000 soldats américains sont actuellement présents en Afrique. Si ce nombre reste modeste, le rôle de ces hommes est assez crucial, notamment en Afrique de l’Ouest où le terrorisme et les violences intercommunautaires ne cessent de croître depuis 2013. Par exemple, l’US Air Force dispose à Agadez (Niger) d’une importante base de drones, utilisés par les soldats français de la force Barkhane pour désigner des cibles, et récolter du renseignement. Dans le Sahel, les soldats américains comblent également d’autres lacunes de l’armée française et des soldats ouest-africains, en matière de ravitaillement en vol et de transport logistique aérien. Avec son intervention dans la formation, l’équipement et le financement des armées locales, en particulier nigérienne et mauritanienne, l’armée américaine occupe donc une place importante dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb Islamique, Boko-Haram ou encore la menace grandissante de l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS).
Un retrait américain de la région pourrait pousser les pays africains, principalement ceux du G5 Sahel ainsi que leur partenaire français, à repositionner leurs pions sur l’échiquier ouest-africain de la guerre contre le terrorisme. Une réorganisation qui, en plus de nécessiter plus de temps et de moyens, pourrait réduire leur efficacité sur le terrain et les exposer à une plus grande résurgence des attaques terroristes.
… sur fond de tensions diplomatiques : Le mandat de Donald Trump aura également été marqué par de nombreuses tensions diplomatiques avec les Etats africains. Celles-ci ont été aussi bien alimentées par les décisions prises dans le cadre de la politique d’immigration du pays que par les déclarations publiques du patron de la Maison-Blanche. En effet, dès son arrivée au pouvoir, l’un des premiers décrets que prend le nouveau président est d’interdire l’accès au sol américain aux ressortissants de plusieurs pays du monde musulman, dont la Libye et le Soudan. En janvier dernier, le chef d’Etat a fait savoir que de nouvelles mesures de restriction de visa s’étendraient à d’autres pays du continent, dont le Nigeria, l’Erythrée, le Soudan et la Tanzanie. Ces décisions ont été dénoncées par de nombreux Africains et par des autorités étatiques, notamment le gouvernement érythréen qui condamne un « acte inamical qui va à l’encontre de la politique d’engagement constructif affichée par l’administration Trump pour réparer les torts du passé ». En plus des nombreuses décisions politiques démontrant le peu d’intérêt de l’administration Trump pour l’Afrique, le discours du président américain généralement qualifié de « politiquement incorrect » n’a pas manqué de susciter de nombreuses controverses. Début 2018, le milliardaire président qualifiait les pays africains de « pays de merde », lors d’une entrevue avec plusieurs sénateurs, dont le républicain Lindsey Graham et le démocrate Richard Durbin, dans le Bureau ovale. « Pourquoi est-ce que toutes ces personnes issues de pays de merde viennent ici ? », avait-il alors déclaré selon des sources citées par le Washington Post. Une déclaration qui avait alors enflammé les réseaux sociaux et suscité l’indignation sur le continent.
La dernière des priorités : Malgré ces relations tumultueuses, certains points positifs sont à souligner. Des programmes adoptés sous le mandat du président Barack Obama en faveur du continent ont été perpétués par son successeur. C’est le cas de l’initiative Power Africa, lancée en 2013 pour appuyer la croissance économique et le développement sur le continent grâce à un meilleur accès à une énergie fiable, abordable et durable. D’après le gouvernement, en 2018, l’USAID et le Département d’État américain ont fourni une aide de 8,5 milliards de dollars à 47 pays et 8 programmes régionaux en Afrique subsaharienne. Malgré cette aide, ainsi que les récentes intentions de conclure des accords de libre-échange avec le continent, l’Afrique semble être la dernière des priorités du président Donald Trump. Même si les différents secrétaires d’Etat qui se sont succédé dans son gouvernement ont déjà visité le continent (Rex Tillerson en 2018, Mike Pompeo en 2020), le président Trump n’a encore effectué aucun déplacement dans une Afrique qui est presque annuellement à l’agenda de son homologue chinois, et de plus en plus de ses homologues français, allemand et même israélien. Si la situation perdure jusqu’à la fin de l’année, le chef d’Etat deviendrait d’ailleurs le premier président américain à ne pas visiter l’Afrique pendant son premier mandat, depuis 1990.
La plupart des nouveaux programmes de coopération de l’administration Trump semblent davantage destinés à contrer l’influence jugée « néfaste » de la Chine sur le continent, qu’à accompagner l’Afrique dans sa transition vers le développement.
L’initiative « Prosper Africa », lancée en juin 2019 à Maputo (Mozambique) pour permettre aux USA d’investir 50 milliards $ en Afrique au cours des prochaines années semblait d’ailleurs s’inscrire dans ce registre. Les entreprises américaines offrent une « valeur inégalée », avait alors déclaré la secrétaire d’État au Commerce, Karen Dunn Kelley, lors de la présentation du projet. « Pourtant, nous avons perdu du terrain face aux pratiques commerciales de plus en plus sophistiquées – mais trop souvent opaques – des concurrents étrangers », avait-elle ajouté, en référence aux méthodes chinoises de financement en Afrique.
A quelques mois de la prochaine présidentielle, tous les regards sont désormais tournés vers le Parti démocrate qui devrait bientôt désigner son champion pour affronter Donald Trump. En cas de réélection du sortant, il semble peu probable que l’Afrique devienne une « priorité », même si l’ancien magnat de l’immobilier a annoncé vouloir doubler les échanges commerciaux USA-Afrique au cours des prochaines années.
Ecofin