Si sa part dans la production énergétique africaine est restée marginale au cours des vingt dernières années, le gaz naturel liquéfié (GNL) devrait connaître un essor considérable sur le continent au cours de la décennie qui s’ouvre. La capacité de production sera décuplée, de nouveaux acteurs feront leur entrée en jeu, mais surtout, le visage de la production énergétique en Afrique, essentiellement marquée par l’offre pétrolière, subira une profonde mutation.
Le GNL : une chance pour l’Afrique : Le gaz naturel liquéfié se présente désormais comme une opportunité en or pour l’Afrique, car la demande globale va exploser dans les prochaines années, notamment en Asie. Ailleurs dans le monde, la volonté des Etats de consommer moins d’énergies fossiles pour limiter les rejets de gaz à effet de serre a permis de se tourner progressivement vers le gaz, plus propre et plus abordable.
Il faut dire que sa transformation en combustible liquide est venue révolutionner le mode traditionnel de commerce du gaz via pipelines et multiplier les options, tant pour les acheteurs que pour les producteurs. Les acheteurs ne sont plus obligés d’acheter le combustible à terme et peuvent changer de fournisseur au gré de leurs intérêts.
Selon la Chambre africaine de l’énergie (CAE), l’Afrique subsaharienne représentait 9,1 % des exportations mondiales de GNL en 2018. Au total, quatre unités de production assurent ces chiffres : Nigeria LNG avec 22 Mtpa (millions de tonnes par an), Angola LNG avec 5,2 Mtpa, le Hilli Episeyo FLNG au Cameroun avec 2,4 Mtpa et la Guinée équatoriale qui a une unité de 3,7 Mtpa.
La demande globale de GNL devrait passer de 245 Mtpa en 2015 à 375 Mpta en 2020 et à 470 Mtpa en 2030. L’Asie, à elle seule, devrait en absorber plus de 70%. Ces prévisions offrent une marge de manœuvre intéressante pour l’Afrique.
Dans ses perspectives énergétiques publiées en novembre, la CAE a indiqué qu’au cours de la dernière décennie, les découvertes au Mozambique, en Tanzanie, au Sénégal et en Mauritanie ont permis de répertorier d’immenses réserves de gaz naturel sur le continent. « Ces volumes sont suffisants pour fournir les deux tiers de l’approvisionnement mondial actuel pendant environ 20 ans […] Actuellement, l’Afrique subsaharienne a la capacité de produire 34 millions de tonnes de GNL par an », a laissé entendre la Chambre. Et, faut-il le reconnaître, les pays africains nantis de réserves gazières travaillent à arracher leur part du gâteau.
Un secteur en pleine ébullition : Fin décembre, Nigeria LNG, le seul producteur de GNL du Nigeria, a annoncé la prise de la décision finale d’investissement relative à son septième train de liquéfaction. Cette unité portera la capacité de production du consortium composé, entre autres, de Chevron, Total et de la société d’Etat du pétrole (NNPC) de 22 à 30 Mtpa. Au total, l’investissement nécessaire à sa mise en œuvre sera de 10 milliards de dollars. Ce nouveau train entrera en production en 2024.
Toutefois, l’amélioration de la capacité de production devrait se poursuivre au cours de la décennie, à en croire Dr Osobonye LongJohn, le président du Conseil d’administration de la société. « Nous allons construire plus de trains et augmenter la capacité de GNL du Nigeria pour égaler celle de nos pairs dans le monde entier », a commenté le responsable, après la prise de la décision.
Le pays est le premier producteur africain de GNL mais un bon nombre d’autres pays, sur le continent, développent des projets de monétisation de leur gaz, qui les placeront, avant la fin de la décennie, dans une position de concurrents sérieux vis-à-vis du Nigeria.
Au nombre de ceux-ci, on compte le Mozambique qui lancera d’ici 2024 deux projets de liquéfaction. Il s’agit en premier lieu de Mozambique LNG piloté par Total et qui nécessitera un investissement de 15 milliards de dollars pour une capacité de production de 12,88 Mtpa, extensible à 50. Le second projet est contrôlé par un consortium composé d’Exxon-Eni-CNPC qui, avec une participation de 70%, détient le statut d’opérateur. Galp, KOGAS et ENH possèdent chacun un intérêt de 10%. Cette installation produira 3,4 Mtpa de GNL. Un niveau de production qui va très vite grimper. « Ces projets permettront au Mozambique d’atteindre une capacité d’exportation de GNL de 30 Mtpa, d’ici 2025, avec un investissement total de plus de 50 milliards de dollars », a indiqué la CAE.
Au Sénégal et en Mauritanie, BP et Kosmos ont sanctionné le projet Tortue FLNG en décembre 2018, moins de quatre ans après la découverte de plusieurs gisements de gaz naturel de part et d’autre de la frontière maritime des deux pays. La phase initiale du développement de ces ressources via des installations de liquéfaction, comprendra la mise en place d’une installation de 2,5 Mtpa. Elle entrera en service en 2023 et la capacité globale de production devrait grimper à 10 Mtpa avant la fin de la décennie.
En Ethiopie, un projet flottant de liquéfaction devrait entrer en service courant 2020 ou début 2021. En Tanzanie, pays déjà producteur de gaz naturel pour le compte du marché interne, les négociations se poursuivent, en ce qui concerne la construction de l’usine de liquéfaction de gaz naturel de Lindi. La mise en œuvre de cette installation, qui aura une capacité de 10 Mtpa, stagne en raison de divergences, concernant les taxes notamment. Récemment, le ministre tanzanien de l’Energie, Medard Kalemani, a déclaré que les pourparlers avancent et que de nouvelles mises à jour seront bientôt publiées à ce propos. Le projet tanzanien de GNL sera le plus efficace au monde, en matière d’émissions de carbone, car le gaz à monétiser est doté de l’intensité en carbone la plus faible de l’ensemble du portefeuille mondial de GNL en activité actuellement. « La Tanzanie a un énorme potentiel de ressources avec quelque 50 tcf de gaz découvert au large des côtes du pays par des majors comme Exxon, Shell et Equinor, mais la mauvaise gestion politique a ralenti le développement de ces projets », a regretté la CAE.
Un réel besoin sur le continent : Si au cours de cette nouvelle décennie, de nouvelles unités de production entreront en service et feront gagner davantage de parts de marché aux pays africains, le marché local exprime de plus en plus un réel besoin pour le gaz naturel liquéfié, notamment pour la consommation électrique. Le GNL s’est, en fait, révélé être un combustible plus propre que les combustibles traditionnels (charbon, pétrole, etc.) et aussi plus abordable. Ainsi, le GNL pourrait constituer une alternative sérieuse face aux difficultés auxquelles font face les pays africains pour produire de l’électricité. Ces cinq dernières années, plusieurs pays de la région ont mis au point des plans pour accroitre leurs capacités de production d’électricité à partir du GNL. C’est le cas de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Bénin, du Burkina-Faso, du Ghana, le Sénégal, la Guinée Equatoriale ou encore l’Egypte.
En Côte d’Ivoire, le projet qui consiste en l’importation et la regazéification du GNL, avant son introduction dans les centrales, est actuellement au point mort. Initialement prévu pour entrer en production en 2017, le projet a été confié par le gouvernement au consortium CI-GNL composé de Total, l’opérateur qui possède 34% des parts du projet, de l’Azerbaïdjanais SOCAR (26%), de Shell (13%), de Petroci, la société pétrolière d’Etat (11%), de Golar (6%), de CI Energies et d’Endeavour Energy avec chacun 5%.
Le Togo, le Burkina et le Ghana envisagent d’importer le GNL de Guinée Equatoriale dans le cadre du projet LNG2Africa initié par le gouvernement équato-guinéen. Le GNL devrait, en amont, être produit par le projet Fortuna FLNG dont la mise en œuvre a échoué l’année dernière. Malabo travaille actuellement à la remettre en selle.
Au Bénin, une unité d’importation et de regazéification (FSRU) de GNL sera installée en 2021 et opérée par la société française Total. Elle aura une capacité de production de 500 000 tonnes par an. Selon les termes de l’accord, Total construira et exploitera l’usine qui sera située au large, pendant une durée de 15 ans. Le FSRU fournira le GNL transformé en gaz via un gazoduc, à la centrale thermique de Maria Gléta (120 MW) qui, jusqu’à présent, fonctionne au fioul. Il faut souligner que l’utilisation du fioul pour les centrales thermiques est jugée plus onéreuse que celle du gaz naturel. Les économies peuvent atteindre plus de 20 %, selon les cours du marché.
Le Sénégal quant à lui, va installer une unité de production offshore d’électricité via selon la technologie LNG-to-powership. L’usine flottante bénéficiera du GNL qui sera produit à partir de 2023 et aura une capacité de 235 MW. Les 235 MW de capacité électrique que produira la centrale flottante viendront satisfaire 15 % de la demande électrique du Sénégal.
Ecofin