Une lente asphyxie de la croissance mondiale, sous l’effet de la numérisation et du changement climatique, au risque d’attiser les colères sociales : voilà le scénario que redoutent les économistes pour 2020 et au-delà, à moins qu’une franche détente commerciale n’intervienne.
L’OCDE prévoit que la croissance mondiale plafonne l’an prochain à 2,9%, son plus bas niveau depuis la récession mondiale de 2009. « Nous sommes dans une période inquiétante », selon la cheffe économiste de l’OCDE, Laurence Boone.
Le FMI entrevoit pour l’heure un rebond à 3,4% en 2020, mais cette reprise « reste précaire », a mis en garde sa cheffe économiste Gita Gopinath.
Fin d’une ère : Le rythme de croissance mondial l’an prochain dépendra en grande partie du bras de fer commercial engagé par le président américain Donald Trump avec la Chine. Les deux mastodontes sont convenus en décembre d’une trêve dans leur surenchère de taxes douanières, en attendant la signature d’un accord préliminaire. Ce qui ne règle pas pour l’instant les griefs de fond, portant notamment sur la montée en puissance technologique chinoise.
Au-delà de cette inconnue de court terme, à plus longue échéance, l’économie mondialisée n’arrive pas seulement à la fin d’un cycle, mais approche la fin d’une ère, celle de l’envolée des échanges marchands et de l’industrialisation à grande vitesse des pays émergents.
Difficile d’imaginer un retour au consensus diplomatique mondial autour du libre-échange, dynamité par Donald Trump. Le président, soucieux de préserver l’insolente santé économique américaine au moment où il bataille contre une procédure de destitution, a calmé le jeu récemment avec la Chine. Mais il a ouvert des fronts avec bien d’autres partenaires économiques, dont les Européens.
Des Européens par ailleurs confrontés à l’échéance du Brexit, après la victoire de Boris Johnson aux législatives, un test de plus pour le multilatéralisme.
La finance mondiale est elle aussi chamboulée après des années de largesses des grandes banques centrales. Ces dernières peinent à sevrer les marchés, dont certains, comme Wall Street, volent de record en record.
Le phénomène à première vue absurde des taux d’intérêt « négatifs » s’étend, comprimant la rentabilité des banques et faisant enfler la dette privée. Steve Eisman est pourtant catégorique : « Nous n’aurons pas de crise systémique » comme celle déclenchée par la faillite de Lehman Brothers en 2008, assure à l’AFP cet investisseur célèbre pour avoir prédit le l’effondrement du système financier américain.
Pour le financier, dont l’histoire a inspiré le film « The Big Short », l’économie pourrait continuer à croître mollement ou entrer dans « une récession typique avec une économie qui ralentit et des gens qui perdent de l’argent. Ce sera bien assez douloureux comme ça ».
Ludovic Subran, économiste en chef du géant de l’assurance Allianz, entrevoit un « purgatoire de croissance » mondial. S’il y en a un, « le prochain choc systémique ne naîtra sans doute pas dans la finance, mais sera exogène. Par exemple un gros choc de régulation sur les données personnelles, ou en lien avec le climat ».
Elections américaines : A surveiller également, selon lui : la présidentielle américaine. Elizabeth Warren, qui brigue la nomination démocrate, entend taxer davantage les riches, engager un virage économique « vert », et démanteler les géants numériques, au grand dam de Wall Street.
Le gestionnaire de fonds et milliardaire Leon Cooperman l’a élégamment accusée de « chier sur le putain de rêve américain ». A moins que Donald Trump ne soit réélu. « Soit il fait un deuxième mandat à l’américaine, c’est-à-dire qu’il ne fait rien. Soit il double la mise contre la Chine », redoute M. Subran. Tensions géopolitiques, partage des revenus, numérisation, climat : ces enjeux domineront l’économie mondiale bien au-delà des Etats-Unis, et bien après 2020.
La montée en puissance de géants technologiques assis sur des montagnes de données remet en cause la distribution des richesses et remodèle l’emploi. Face au changement climatique, industriels et investisseurs corrigent leurs stratégies. « Surmonter une crise conjoncturelle, nous n’en avons pas peur, nous savons faire », confie à l’AFP Ingo Kübler, représentant du personnel chez Mahle. Cet équipementier automobile allemand, souffrant de la désaffection du diesel, supprime des emplois.
Colère sociale : « Le grand sujet, c’est la transformation, la numérisation, la mobilité électrique. Nous redoutons (…) la perte de beaucoup d’emplois », s’inquiète-t-il, au moment où la première économie européenne vient de voir reculer sa main d’œuvre industrielle pour la première fois depuis fin 2010. Dans d’autres pays (Liban, Chili, Colombie, ou encore en France avec les « gilets jaunes »), l’inquiétude sociale et économique s’est déjà traduite par des flambées de colère.
Dans un monde à faible croissance où, selon l’ONG Oxfam, 26 milliardaires possédaient en 2018 autant d’argent que la moitié la plus pauvre de la planète, la question de la répartition des richesses se posera avec toujours plus d’acuité, y compris dans les pays développés. « Même quand les gens semblent bénéficier d’un confort matériel de base, ils peuvent connaître le même niveau de misère et de mal-être que les plus pauvres », a mis en garde Esther Duflo, spécialiste des questions de développement, et lauréate du prix Nobel d’Economie.
Afp