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Présidentielle : Tebboune peut-il gouverner sans base sociale ?

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Très mal élu et sans base sociale, Abdelmadjid Tebboune aura bien du mal à assumer les lourdes charges de chef de l’État qui l’attendent.

Trop peu nombreux et sans homogénéité sociale, les quatre millions d’électeurs qui l’ont plébiscité ne pèsent pas lourd sur l’échiquier politique, fortement dominé par les dizaines de millions d’Algériens insurgés pour précisément contester son mandat présidentiel. Le seul soutien sur lequel il peut compter est l’état-major de l’Armée dont le composant pourrait changer dans le court-terme en emportant probablement les généraux qui l’ont aidé à briquer son mandat.

L’adversité politique matérialisée par un mouvement révolutionnaire au summum de sa mobilisation va certainement contraindre Tebboune à puiser dans les rangs des partis et organisations satellites du pouvoir (FLN, RND, UGTA, UNFA, anciens Moudjahidines, fonctionnaires, cadres des entreprises publiques, affairistes et opportunistes de tous bords), cette base sociale qui lui fait tant défaut. Il n’a pas d’autre choix car il n’a pas ni n’aura rien d’un intellectuel charismatique, ni le poids d’un leader d’un grand parti politique, et encore moins celui d’un opposant ayant un profond ancrage dans la société algérienne. Le seul soutien de taille dont il bénéficie, pour débuter la pénible carrière de président de la république, est une frange du haut-commandement de l’Armée. Une frange seulement, puisqu’il s’avère que les généraux de l’état-major n’étaient pas tous d’accord sur ce choix, certains ayant, nous apprend-on, ouvertement penché pour Azzedine Mihoubi ou Ali Benflis.

Les chantiers qui attendent Abdelmadjid Tebboune sont nombreux, multiformes et, bien souvent, périlleux. Il doit d’abord gérer la crise politique provoquée par l’entêtement du chef d’état-major qui refuse de répondre positivement aux légitimes doléances exprimées lors de très nombreuses manifestations, drainant des dizaines de millions d’algériens à travers tout le territoire national. Des manifestants qui ne réclamaient que leur droit constitutionnel de prendre eux-mêmes en charge leur destin politique en organisant notamment une élection présidentielle sur des bases saines à la faveur d’une période de transition.

Si Ahmed Gaid Salah avait répondu favorablement à cette demande populaire dès l’enclenchement du Hirak en février dernier, l’Algérie aurait certainement fait l’économie de cette crise politique exacerbée par des arrestations et des condamnations arbitraires ainsi qu’un recul sans précédent des libertés publiques et individuelles. La formule de l’élection forcée imposée par l’état major avec l’arrière-pensée d’imposer, par la ruse et par la force, un chef de l’État qui lui soit docile a certes fonctionné, mais comme toute action contre-nature, et à certains égards immorale, elle laisse un goût amer et un insupportable sentiment d’injustice porteur d’incertitudes et de périls à venir.

Il doit aussi réussir à se faire admettre comme le président de tous à des dizaines de millions d’Algériens qui le rejettent ouvertement et l’ont massivement exprimés à travers tout le territoire national, et ce, dès l’annonce des résultats du scrutin. C’est une mission qui paraît impossible, même si le chef d’état-major lui a laissé pas mal de bourdes qu’il pourrait réparer en guise de signe de bonne volonté. Il pourrait à titre d’exemple relâcher tous les prisonniers d’opinion en leur promettant de les reconnaître comme tels et de s’engager, en conséquence, à réparer les préjudices de leurs injustes incarcérations. Il peut également réparer l’affront porté par ce même vieux général à l’emblème en proclamant officiellement le droit à tout Algérien de le porter en tant qu’emblème identitaire à toute occasion.

Les Algériens le jugeront en outre sur la qualité du premier ministre qu’il choisira et bien entendu, la composante de son gouvernement. Mais là aussi, la tache sera bien difficile pour lui, car le déroulé très contestable de son élection va certainement provoquer un effet repoussoir qui le contraindra à puiser dans les vieux cercles discrédités de l’ex-alliance présidentielle qui avaient soutenu vingt ans durant Bouteflika et, plus largement, dans les rangs prolifiques des opportunistes. S’il en advenait ainsi, l’hostilité du peuple envers le nouveau locataire d’El Mouradia serait encore plus forte au point de devenir un très lourd obstacle pour sa gouvernance.

Mais la plus grosse difficulté que Tebboune devra affronter consistera à convaincre son mentor Ahmed Gaïd Salah d’arrêter la répression qui semble redoubler de férocité au lendemain de son élection. Les arrestations massives et les exactions commises par les forces de police et de gendarmerie, à Oran, Sidi Bel Abbès ainsi qu’en Kabylie, ont très certainement été ordonnées par le chef d’état-major, pressé de « siffler fin de la récréation » après qu’il ait réussi à faire élire le président de son choix. À défaut de l’instabilité politique et sociale demeurera avec parfois même des risques de dérapage suffisamment graves qui risquent d’embraser des localités, voire même le pays tout entier.

L’ouverture des grands chantiers de réformes comme la refonte de  la constitution et de la loi électorale, que Tebboune s’est dépêché d’annoncer, devront attendre, car ils ne pourront à l’évidence pas démarrer qu’une fois la stabilité politique et sociale retrouvée. Le traumatisme du passage en force opéré dans les bureaux de vote le 12 décembre dernier est en effet encore trop frais dans les esprits, pour qu’on puisse espérer un retour au calme résigné à brève échéance.

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