Le candidat à la Présidentielle Ali Benflis a détaillé les dispositions de son projet de présidence, dans une émission diffusée lundi par la Télévision Algérienne.
Fayrouz Benyakoub et Karim Boussalem, deux présentateurs iconiques du JT de 20h, ont animé un débat, diffusé hier sur la chaîne 3 de l’EPTV, avec le candidat indépendant. Indépendant, commence-t-il par préciser, car « tous les candidats aux présidentielles le sont », quand même bien il serait lui-même le chef d’un parti (Talaie El Hourriyet).
Rappelé à ses échecs aux présidentielles de 2004 et 2014, Benflis a exprimé sa confiance quant aux conditions de la tenue du prochain scrutin qui, « passables » sans être « exemplaires », sont assurées par la promulgation de nouvelles lois (notamment celle complétant le code électoral), ainsi que la mobilisation populaire du Hirak.
« L’Algérie brûle », enchaîne-t-il en faisant référence aux soulèvement qui ont mis en échec le projet de reconduction du président Bouteflika à un 5e mandat, mais aussi en raison de la situation socio-économique « catastrophique » du pays. Un dilemme qu’il a tranché, se résignant presque à présenter sa candidature à l’élection programmée pour le 12 décembre.
Quant à son exercice de la fonction de chef du Gouvernement lors du premier mandat de Bouteflika, Benflis l’estime comme une « erreur de parcours ». Il s’est vite rendu compte, révèle-t-il, que l’ancien président de la République était « un homme de pouvoir, non un homme d’État », dans sa volonté, entre autres, de mettre la Justice au pas. Un des points de désaccord avec l’ancien magistrat qui avait occupé le poste de ministère de la Justice sous la présidence de Chadli Bendjedid. La goutte qui avait fait déborder le vase était, poursuit-il, la loi sur les hydrocarbures, dont le contenu (proposé par l’ex-ministre de Chakib Khelil) ne correspondait pas à sa vision des réformes à apporter.
Séparation des pouvoirs
Au volet de la refonte politique qu’il mènera, s’il est élu, le candidat compte instaurer un système semi-présidentiel (ou semi-parlementaire). En vertu de ce système, le chef de l’État et le chef du Gouvernement ont des responsabilités distinctes, et la majorité parlementaire sert de gouvernail.
Dans la Constitution qu’il proposera, en effet, « le Parlement est souverain et représente le peuple », et le Gouvernement en sera issu. Ce Gouvernement se prêtera à une séance hebdomadaire de questions-réponses diffusée en direct. L’ex-Premier ministre consacrera également la pratique de l’enquête par les élus du peuple, de même qu’il consacrera le statut de l’opposition.
Au même titre, la séparation entre les pouvoirs exécutive et judiciaire sera assurée en soustrayant des missions du ministre de la Justice celle de désigner, de promouvoir et de limoger des juges. La gestion du secteur reviendra à un conseil de magistrats élus, présidé par le premier président de la Cour suprême. De même que le juriste de formation encouragera, pour une Justice performante, l’honorariat et la spécialisation (délits économiques, cybercriminalité, etc.).
Propositions économiques
Revenant à la loi sur les hydrocarbures, Ali Benflis a indiqué que la version qui vient d’être adopté à l’APN, ne diffère pas beaucoup de la version proposée jadis par Chakib Khelil. « Aucun texte n’est immuable sinon le Livre d’Allah », a-t-il proclamé, précisant qu’il consultera les experts pour apporter les modifications dictées par l’intérêt économique de l’Algérie.
Pour ce qui est de la pression exercée par le budget de la consommation sur les fonds en dinars et en devises du Trésor, le candidat propose de s’attaquer à des niches de dépenses inutiles. Il évoque notamment le « train de vie de l’État », qu’il estime pouvoir réduire de 20%. 20%, c’est aussi le pourcentage des impôts collectés par les pouvoirs publics par rapport à la somme due à l’État. Prudent, il promet de doubler ce chiffre, en réclamant la taxation des « grands contribuables » et des privilégiés de l’ancien régime.
Le prétendant à la Présidence n’a pas manqué d’énumérer, aux côtés des sources de financement intérieures, les fonds et les banques régionales et internationales à laquelle l’Algérie est membre. Le financement extérieur « n’est pas un tabou » pour lui, tant qu’il participe au développement du capital productif et infrastructurel du pays.
Au rang des changements qu’il escompte mener de front dans le tissu même de l’économie algérienne : la dépolitisation de l’acte économique, la numérisation de la gestion des activités et la débureaucratisation dans l’investissement et la création d’entreprises.
Propositions sociales
S’agissant du niveau de vie des citoyens, Ali Benflis reconnaît que « 18.000 Da [le salaire minimum] n’est pas suffisant », citant les catégories socio-professionnelles qui ne sont plus à considérer dans la classe dite moyenne. Le constat d’une misère sociale qui ne pousse pas néanmoins le candidat à tomber dans la litanie de promesses électoralistes énonçant des augmentations tous azimuts.
Gardant « les pieds sur terre », l’ex-chef du Gouvernement a ciblé les moyens d’action en la disposition de la fonction qu’il occupera, s’il y est élu. Benflis s’engage à améliorer le pouvoir d’achat, à titulariser les bénéficiaires de contrats pré-emploi (si le gouvernement actuel manque de le faire dans le délai qu’il s’est donné) et à réorienter les subventions vers « ceux qui en ont vraiment besoin ».
Pour le dossier du logement, qu’il connaît bien étant donné que le projet AADL a été lancé sous sa gouvernance, il procédera de même en sélectionnant les bénéficiaires les plus nécessiteux. Pour ce faire, il compte sur la numérisation, afin de cibler au mieux cette population ainsi que de prévenir les cas de fraude (location, revente, acquisition sous prête-nom, etc.).
Au phénomène des « harragas », ces exilés qui fuient la misère sur des embarcations de fortune, Benflis souhaite se démarquer en rejetant la solution pénale. Il préconise, pour sa part, la création d’un « climat des affaires » favorisant l’investissement et assaini de la corruption – par, là encore, la numérisation. Loin des recettes miracles, sa proposition pour les jeunes est cette offre d’emplois qu’il assurera via la concrétisation de son projet économique.
S’agissant de l’Éducation et de la Santé, le candidat prend acte de la liberté de créer des établissements privés. Cependant, il accordera toujours la priorité, dans les mesures de sa présidence, au secteur public, qu’il tâchera de rendre « modèle ». Aucune abrogation du service civil assuré par le corps soignant n’est toutefois au programme, mais une reconsidération des moyens de vie offerts dans les régions reculées ainsi que des moyens de pratiquer la médecine.
Politique étrangère
« La politique étrangère est née des valeurs de la Guerre de Libération », proclame l’ex-chef du Gouvernement, citant la souveraineté des peuples et la non-ingérence dans les affaires internes des États. Autre point important pour Benflis, qui dénote avec le président déchu : la non-personnification des relations diplomatiques. « L’Algérie traitera avec les autres nations en tant qu’État », énonce-t-il.
Évidemment, l’homme d’État maintiendra les positions immuables de l’Algérie vis-à-vis de la cause palestinienne, ainsi que son soutien au Sahara occidental, une « affaire de décolonisation », précise-t-il. « Une affaire qui est l’objet d’un consensus national en Algérie et qui est devant les instances des Nations Unis et de l’Organisation de l’Unité Africain ». Ainsi, « nous assistons les Marocains et les Sahraouis à arriver à une solution politique », poursuit Benflis.
Priorités des 100 premiers jours
La priorité d’Ali Benflis président de la République sera d’ouvrir un dialogue public avec la classe politique sans distinction. « En Algérie, il y en a qui auront participé aux élections, et il y en a qui les auront boycottées », reconnaît-il, affirmant que le boycott est « un droit sacré » en ce qui le concerne. D’ailleurs, il procédera plus tard, à la lumière de ces consultations, à des révisions du code électoral et la loi relative aux partis politiques qui font consensus.
Il formera, par la suite, un gouvernement d’« ouverture nationale », regroupant les acteurs politiques et associatifs qui ont soutenu sa candidature, ainsi que de compétences nationales sans appartenance politique. Benflis évoque également la société civile : personnalités publiques, syndicalistes, …