L’avocat et militant des droits de l’Homme, Me Mokrane Ait Larbi, a adressé, ce mardi 29 octobre 2019, aux magistrats en grève depuis trois jours, pour protester contre le mouvement dans le corps des juges opéré la semaine dernière par le ministère de la Justice. Les magistrats réclament à travers leur mouvement de grève le gel de ce mouvement et l’indépendance réelle de la Justice.
« Pour la première fois dans votre histoire, vous avez décidé d’une grève qui a été suivie par 98% des magistrats. Ce taux de suivi est la prouve incontestable de la souffrance et des pressions exercées par le pouvoir politique par le biais du ministère de la Justice », écrit Me Ait Larbi dans sa lettre adressée aux magistrats.
« Comme d’habitude, je vous soutiens dans vos revendications socio-professionnelles, et particulièrement, celles en lien avec l’indépendance de la Justice », a indiqué l’avocat, ajoutant que « je pense que le peuple, au nom duquel vous exercez, vous soutiendra dans toutes vos revendications, si votre premier et dernier objectif est d’établir la justice entre le citoyens, sans discrimination aucune, et de rejeter les instructions illégales, quelle que soit leur émanation ».
La justice du téléphone due à des ambitions personnelles
Me Ait Larbi a tenu à rappeler quelques vérités aux magistrats. Selon lui les problèmes socio-professionnels des magistrats et l’absence d’indépendance ne sont pas dus au pouvoir exécutif mais « à la faiblesse du pouvoir judiciaire. »
Il leur rappelle également que, « la justice de Allah Ghaleb, la justice de la nuit et la justice du téléphone » est le produits de certains d’entre eux (les magistrats), en raison des ambitions personnelles de certains. « Jusqu’à récemment, votre syndicat défendait le ministère (de la Justice) plus que les juges, afin de préserver les intérêts personnels et immédiats », ajoute Me Ait Larbi.
« Les chambres d’accusation de la Cour de Tipaza et du tribunal d’Annaba ont décidé d’appliquer la loi et non des instructions. Le premier a libéré un prisonnier d’opinion et le second a acquitté un autre détenu pour avoir brandi le drapeau Amazigh », rappelle l’avocat.
Et d »interroger les magistrats : « Pourquoi certains d’entre vous rejettent les instructions et d’autres les acceptent? Comment expliquez-vous la libération du détenu d’opinion Karim Tabbou par un juge et sa remise en détention le lendemain par une ordonnance d’un autre juge pour les mêmes faits, et pourtant les deux juges appartiennent au même ministère et sont soumis à la même pression? N’est-t-elle pas une question résistance et de soumission ».
« Quelle est la différence entre le juge du tribunal d’Annaba, qui a déclaré un détenu innocent pour port du drapeau Amazigh et le juge du tribunal de Bordj Bou Arreridj, qui a condamné un médecin à 18 mois de prison pour la même raison? N’est-ce pas là une question de personnes plus qu’une question de pressions et d’instructions? », se demande encore Me Ait Larbi, s’adressant aux magistrats.
« Comment justifiez-vous l’incarcération d’un héros de la révolution de libération, le Moudjahid Lakhdar Bouregaâ, à l’âge de 86 ans à cause d’un mot? interroge encore Me Ait Larbi les magistrats, en rappelant également l’exemple des dizaines de jeunes manifestants jetés arbitrairement en prison.
« L’indépendance de la Justice ne viendra pas par décret… elle nécessite des sacrifices »
« Aujourd’hui, au lieu de demander l’indépendance de la justice auprès du pouvoir exécutif, qu’est-ce qui vous empêche de proclamer officiellement l’indépendance de la justice au nom de tous les magistrats, en rejetant les instructions dans le domaine de l’action judiciaire et, ne se soumettre qu’à la loi et la conscience? Et pourquoi ne demandez-vous pas dès maintenant l’abrogation de toutes les lois qui entravent l’indépendance de la justice? Si vous faites cela unis et solidaires, que pourrait bien faire le ministère de la Justice face à tous les magistrats de la République? » ajoute l’avocat.
« Vous êtes une autorité judiciaire et vous n’avez d’autorité que la primauté de la loi. Vous devez exercer votre autorité conformément aux principes d’indépendance et de responsabilité », a-t-il dit.
Et d’ajouter : « Je sais, après avoir exercé pendant longtemps la profession d’avocat, que contrairement à ce qui se dit, la plupart des juges sont justes et compétents. Malgré les circonstances difficiles, ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour s’acquitter de leurs tâches. Je sais aussi que certains d’entre vous préfèrent appliquer les instructions au détriment de la loi et des principes de justice pour des raisons que je ne comprends pas. »
Me Ait Larbi estime que « l’indépendance de la Justice ne viendra pas par décret, mais elle nécessite une culture d’indépendance, de résistance et de sacrifice. »
« Quoi qu’il en soit, je suis solidaire avec vous dans vos revendications, en particulier en ce qui concerne l’indépendance de la justice, car c’est le fondement de la garantie des libertés et des droits pour lesquels je me bats depuis des décennies », insiste-t-il en conclusion.