Le projet de loi sur les hydrocarbures qui a déjà reçu l’approbation du conseil des ministres, devrait prochainement atterrir à l’Assemblée Nationale pour y recevoir une approbation acquise d’avance. Outre les nombreuses dispositions de nature à ôter au peuple la souveraineté sur ses ressources minières, cette loi qui sera promulguée sous forme d’ordonnance pour esquiver les débats sur cette question cruciale des hydrocarbures, c’est sans doute le feu vert qu’elle donnera à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels (gaz et pétrole de schiste) qui semble tourmenter davantage les Algériens.
Ils ont en effet de bonnes raisons de s’inquiéter des dégâts irréversibles que cette technique d’extraction extrêmement polluante, pourrait causer aux populations locales qui ont appris à maîtriser les équilibres fragiles de la nature et à l’immense nappe d’eau souterraine dont dépend leur existence. Les populations concernées ont très vite compris le danger que l’exploitation de pétrole et de gaz de schiste pouvait représenter pour eux, et l’ont fait savoir en manifestant une année durant leur hostilité aux premiers puits que la firme américaine avaient commencé à entreprendre du coté de In Salah. Au lieu de prendre fait et cause pour leurs revendications légitimes, les autorités algériennes avaient choisi de dépêcher sur les lieux des troupes de la gendarmerie, pour protéger les intérêts de la compagnie américaine.
Résolues à maintenir l’Algérie dans un état de pays rentier dépendant exclusivement des recettes d’hydrocarbures, les autorités algériennes n’envisagent en effet toujours pas d’issues de sortie de crise en dehors de la commercialisation de l’énergie fossile d’où qu’elle vienne. Les hydrocarbures conventionnels venant, dit-on, à expiration, c’est vers l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste dont l’Algérie regorgerait, selon des estimations jamais prouvées (3e réserve au monde), qu’elles comptent se tourner avec la bénédiction des grandes firmes étrangères, qui découvrent subitement le filon. Selon de nombreux médias algériens et étrangers, les États-Unis d’Amérique et la France exerceraient déjà des pressions sur certains dirigeants algériens acquis à leurs causes afin qu’ils facilitent à leurs firmes l’accès aux nouveaux champs de gaz et pétrole de schistes.
Méprisant comme à son habitude le peuple, le régime de Bouteflika maintiendra sans aucun état d’âme le cap sur l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels, qui représentait à ses yeux une manne financière providentielle. Les autorités « provisoires » encore à leurs postes aujourd’hui ont choisi la même voie, avec un surcroît de brutalité et d’opacité sciemment entretenu au tour de ce projet qui semble avoir la forme d’une vente concomitante visant à s’assurer le soutien des pays (USA, France et Émirats Arabes notamment) qui en tireraient profits.
Les convoitises personnelles sur de juteuses commissions à tirer des contrats d’exploitation, sans doute déjà promis à des firmes étrangères bien précises, ont emballé les cercles de décisions les plus corrompus du pays, qui s’emploient depuis quelques années déjà à faire avaler la pilule bien toxique de l’exploitation de pétrole et gaz de schiste dans les contrées fragiles du sud. Une campagne pour l’adhésion de l’opinion publique à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels avait, on s’en souvient, été lancée en 2017 par le ministre de l’Énergie de l’époque qui fit l’éloge de cette activité devant le parlement, au moment où la Sonatrach annonçait le début des opérations de forage et de compression de gaz de schiste à In Salah, plus précisément à Ahnet.
L’ex-premier ministre Ahmed Ouyahia entreprendra, quant à lui, d’alarmer directement dans leurs hémicycles, députés et sénateurs, sur l’enjeu capital des hydrocarbures non conventionnels, que l’Algérie aurait tort de ne pas faire fructifier, au moment où elle connait de graves problèmes financiers et trouve des difficultés à honorer ses contrats commerciaux, faute de réserves à exporter.
Il y a pourtant de bonnes raisons de s’interroger sur l’acharnement des autorités politiques actuelles à maintenir cette option très controversée, qu’elles veulent imposer par la ruse ou par la force, au lieu de choisir la voie du débat public et de la persuasion. La fiabilité d’un tel choix pris en vase clos et contre la volonté des populations locales, qui avaient exprimé bruyamment leur hostilité en janvier 2015, à In Salah, a du mal à passer auprès de l’opinion publique qui a commencé à manifester son hostilité lors du 34e vendredi de manifestation du hirak et qui l’a fait aujourd’hui devant le siège de l’Assemblée Nationale.
Les Algériens ne parviennent toujours pas à comprendre pourquoi les autorités politiques, n’ont jamais consenti à écouter les cris de détresses des populations du sud et entrepris avec eux des discussions rassurantes. Les autorités concernées savaient pourtant pertinemment que l’exploitation de pétrole et gaz de schiste se fait au moyen de fracturations hydrauliques, consistant à injecter de grandes quantités d’eau à haute pression (20.000 M3 par puits), pour ouvrir les roches réservoirs et en extraire les hydrocarbures.
À l’évidence, de telles quantités d’eau mêlées à des produits chimiques, constituent une réelle menace pour la nappe souterraine et tout l’écosystème environnant. Dans le contexte d’hyper aridité qui affecte particulièrement les régions où se trouvent les réserves d’hydrocarbures non conventionnelles, il paraît effectivement déraisonnable de mettre en danger les populations et leur milieu vital, uniquement pour des raisons mercantiles, auxquelles se mêlent, il est vrai, de sordides calculs politiciens consistant à monnayer le soutien de puissances étrangères au régime en place, intéressées par la manne des hydrocarbures non conventionnels, dont l’Algérie (3e réserve mondiale de gaz de schiste) regorge, notamment en cette période d’élection présidentielle fortement contestée par le peuple algérien.
On comprend alors que l’on s’inquiète de ce projet de loi qui, s’il venait à être promulgué dans ce contexte de totale illégitimité de la gouvernance, mettrait l’avenir du pays dans une situation très dangereuse. Il enlèverait au peuple algérien la souveraineté sur les principales ressources minières dont ils disposent, à savoir le pétrole et le gaz. Son unique compagnie pétrolière ne fera plus le poids face aux grandes firmes étrangères. Par le jeu des transferts d’actions, de véritables monopoles pourraient s’installer (c’est déjà le cas de Total qui a racheté les parts d’Anadarko) et dicter leurs lois dans ce secteur vital.
La manifestation populaire qui a eu lieu ce dimanche devant le siège de l’Assemblée Nationale, suffira-t-elle à convaincre les parlementaires qui n’ont pas l’habitude de dire non au pouvoir exécutif, de rejeter ou de différer l’approbation de ce projet à une date ultérieure ? Rien n’est moins sûr, mais dans ce contexte insurrectionnel que l’Algérie vit depuis le 22 février 2019, l’espoir d’un sursaut patriotique n’est pas du tout à écarter.