Qui de Nabil Karoui, magnat des médias poursuivi pour fraude fiscale, ou de Kais Saied, professeur de droit constitutionnel et néophyte en politique, deviendra le deuxième président démocratiquement élu au suffrage universel de l’histoire du pays ?
Même si M. Saied a viré en tête le 15 septembre et enregistré depuis des ralliements, le suspense plane sur ce second tour. Les sept millions d’électeurs sont appelés à se rendre aux urnes jusqu’à 18H00 (17H00 GMT), pour la troisième fois en un mois.
Comme lors du premier tour de la présidentielle, puis à l’occasion des législatives de dimanche dernier, des sondages devraient circuler dès le début de soirée. Et les deux camps pourraient proclamer la victoire bien avant la publication des résultats officiels, attendus d’ici mardi.
Avec des personnalités aux antipodes, MM. Karoui et Saied, respectivement 56 et 61 ans, présentent au moins un point commun: ils ont tous deux créé la surprise il y a un mois en parvenant à s’extraire du peloton des 26 candidats, au détriment notamment des dirigeants sortants, sanctionnés par une population exaspérée par les chamailleries politiciennes et l’horizon économique invariablement bouché depuis la révolution de 2011.
La mort en juillet du premier président élu démocratiquement au suffrage universel, Béji Caïd Essebsi, a accéléré cette élection de quelques mois, précipitant le pays dans une saga politique. Le dernier rebondissement en a été la libération in-extremis mercredi, après plusieurs rejets de la justice, de Nabil Karoui. « Que ce derby se termine en faveur de la Tunisie », lance Najoua Nahali, 53 ans, montrant son doigt taché d’encre après avoir voté dans le centre de Tunis. « Rendez-vous avec l’Histoire », titre le journal La Presse tandis que Le Temps estime que « les absents seront dans leur tort ».
Au premier tour le 15 septembre, seul un électeur sur deux s’était déplacé, les Tunisiens reprochant à la classe politique de ne pas répondre à leurs difficultés économiques.
Si la sécurité s’est nettement améliorée ces dernières années, après une série d’attentats jihadistes en 2015, le chômage continue de ronger les rêves, notamment des jeunes, et l’inflation grignote un pouvoir d’achat déjà faible. Mais l’instance chargée des élections espère un taux plus élevé pour ce duel atypique. La campagne menée dans une ambiance fébrile s’est achevée vendredi par un duel télévisé sans précédent, et très suivi.
Candidat sans parti, M. Saied, qui fait sienne les valeurs de la révolution et assume son conservatisme sociétal, avait obtenu 18,4% des voix au premier tour. Plusieurs formations ont appelé à voter pour lui, dont le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, arrivé en tête des législatives avec 52 sièges sur 217.
Face à lui, l’homme d’affaires M. Karoui, est le fondateur d’une des principales chaînes de télévision du pays, Nessma, en partie détenue par Berlusconi. C’est via cette chaîne, et ses opérations de charité largement médiatisées, que Nabil Karoui a bâti sa popularité. Il se présente sous les couleurs de Qalb Tounes, un parti qu’il a fondé en juin, et avait engrangé 15,6% de voix le 15 septembre, depuis sa cellule de prison. Il a martelé que son arrestation fin août, à quelques jours du début de la campagne du 1er tour, était « politique ». Il a aussi tenté de se présenter en rempart contre l’islamisme, mais peu de formations ont appelé clairement à voter pour lui, y compris au sein de la famille dite progressiste.
Alors que la Constitution de 2014 fait la part belle au Parlement, les regards se tourneront après ce second tour vers Ennahdha, parti qui sera chargé de former le nouveau gouvernement, une tâche ardue. La formation de Rached Ghannouchi devra en effet rallier de nombreux autres blocs pour atteindre la majorité de 109 sièges.
Qalb Tounes, qui a exclu toute alliance avec les islamistes, constitue le deuxième groupe au Parlement (32 députés). La troisième force, Attayar, mouvement social-démocrate (22 sièges), soutient M. Saied.
Quel qu’il soit, le prochain président tunisien « affrontera des oppositions au sein du gouvernement et du Parlement », avertit le politologue Slaheddine Jourchi.
Afp