Remis au goût du jour dans un contexte politique franchement hostile, le projet de loi sur les hydrocarbures avec lequel Abdelaziz Bouteflika voulait monnayer le soutien des grandes puissances à son 5e mandat, refait surface avec les mêmes arrière-pensées, sous la houlette du régime en place. Il a du mal à passer auprès d’une opinion publique qui a trouvé dans la révolution du 22 février, la force de contester les dérives d’un pouvoir qui tend à perpétuer les réflexes de corrompu et de corrupteur du clan des Bouteflika, auquel il prétend avoir mis fin.
En effet, si les Algériens soupçonnaient déjà Chakib Khellil, ex-ministre de l’Énergie, P-dg de la Sonatrach et ami proche des Bouteflika, de rouler franchement pour les Américains, auxquels il avait accordé d’énormes faveurs, aujourd’hui les soupçons de malversations pèsent beaucoup plus sur les détenteurs actuels du pouvoir, qui ont remis au goût du jour ce projet qu’on croyait mort et enterré depuis la déchéance du clan Bouteflika qui en fut le mentor. Pour tous les observateurs de la scène politique algérienne, il parait en effet bien évident, qu’à cours de soutiens de capitales étrangères, le clan qui lui a succédé a exhumé ce projet dans le but de s’attirer les faveurs des puissances de ce monde.
Moyennant des avantages colossaux allant jusqu’au retrait de la souveraineté du pays sur ses ressources pétrolières, ce pouvoir dénué de la légitimité constitutionnelle et en proie à une insurrection populaire sans précédent, pense pouvoir obtenir le soutien des grandes puissances pour notamment l’aider à sortir indemne de cette puissante fronde populaire qui menace les fondements mêmes du système qu’il incarne. C’est ce qui explique l’empressement de ce régime, qui n’a pourtant ni légitimité ni la légalité constitutionnelle, à promulguer cette très controversée loi. Et ce, avant l’échéance électorale que l’état major militaire a autoritairement fixée au 12 décembre prochain. Un projet et une échéance qu’à l’évidence le peuple algérien ne peut que rejeter, mais que le haut-commandement de l’armée veut imposer en achetant le soutien ou, au minimum, le silence complice, des puissances étrangères qui convoitent nos ressources minières.
La procédure de promulgation de ce projet de loi, qui prendra sans doute la forme d’une ordonnance présidentielle pour éviter le débat parlementaire, est à un stade avancé. Il a déjà franchi le cap du Conseil du Gouvernement qui l’a endossé sans problème pour très probablement passer cette fin de semaine devant le Conseil des ministres. Les deux chambres du parlement l’adopteront comme d’habitude juste après. Il restera la signature de la loi qui pourrait être confiée au chef de l’État par intérim, Abdelkader Bensalah, même si la Constitution ne lui accorde pas expressément le droit, ou au président de la République fraîchement élu si évidemment le pouvoir parvient à organiser avec un minimum de dégâts (rien n’est moins sûr !) le scrutin présidentiel du 12 décembre prochain.
Un appât pour les puissances étrangères
Pour éviter toutes probables remises en cause de la conformité de cette loi si elle venait à être signée par le chef d’État par intérim, les partenaires étrangères souhaiteraient, évidemment, qu’elle le soit par un chef d’État élu au suffrage universel. D’où l’intérêt qu’ils semblent accorder au scrutin du 12 décembre auquel ils n’ont, pour l’instant, dressé aucun obstacle. Et ce, malgré les vices à peine voilés de ce scrutin que le pouvoir persiste à imposer en dépit du refus massif que lui adresse le peuple algérien à l’occasion des grandes manifestations du hirak.
Ce projet de loi sur les hydrocarbures contient en effet des dispositions susceptibles d’aiguiser l’appétit des grandes firmes pétrolières qui possèdent un grand pouvoir d’influence sur leurs dirigeants politiques. Dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, corroboré par un certain nombre de dispositions législatives est en effet clairement affirmée la nécessité de donner davantage d’attractivité au secteur des hydrocarbures en le débarrassant de tous les obstacles bureaucratiques. Que ce soit en allégeant au maximum la fiscalité, en augmentant sensiblement la durée des permis d’exploitation et en réduisant au minimum les droits de préemption de l’État au cas où des firmes étrangères venaient à décider de vendre les actifs détenus en territoire algérien à des sociétés étrangères. Anadarko qui a cédé ses actifs au groupe Total, sans que l’État algérien ne fasse valoir son droit de préemption, peut être interprété comme un geste de bonne volonté d’un gouvernement qui accepte de céder sur des prérogatives relevant de sa souveraineté, pourvu qu’on l’aide à rester au pouvoir.
C’est précisément l’objectif de cette loi que l’on a exhumée, avec l’arrière-pensée d’en faire un appât pour les puissances étrangères, à l’heure où le régime algérien, qui commence à vaciller sous l’effet d’une massive contestation populaire, a besoin de leur soutien. Rien ne justifie en effet cet empressement à ressortir ce projet de loi, dans un contexte politique et social aussi tendu, puisque, de l’avis des experts, la loi actuellement en vigueur n’est pas plus contraignante que celles d’autres pays pétro-gaziers, qui continuent pourtant à attirer les plus gros investisseurs du monde.
On feint d’ignorer que le manque d’attractivité est essentiellement à notre instabilité juridique, ainsi qu’à l’incompétence et la corruptibilité, d’une nouvelle classe de dirigeants qui ont, pour la plupart, émergé durant l’ère Bouteflika. Si tel n’était pas le cas, les deux précédentes lois promulguées pour les mêmes motifs fallacieux auraient largement amélioré l’attractivité du secteur ; ce qui n’a malheureusement pas été le cas. De très nombreux appels d’offres internationaux lancés par l’Agence de Régulation, pour confier des gisements d’hydrocarbures à des firmes étrangères, sont en effet restés infructueux pour les motifs essentiels de mauvaise gouvernance et d’instabilité juridique qui caractérisent, aujourd’hui encore, la gestion de ce secteur.
Le tournant libéral de Khelil
Trois importantes lois marqueront l’essor du secteur des hydrocarbures. Celle promulguée le 4 décembre 1991 par l’ex-Premier ministre (1991-93) et fort connaisseur en matière d’hydrocarbures, Sid Ahmed Ghozali, qui avait géré la Sonatrach longtemps durant. La clarté juridique du principe de la société mixte qu’il imposa après un long débat au Parlement va effectivement booster l’investissement étranger et, en dépit de la mauvaise situation sécuritaire qui affectait le pays, l’Algérie deviendra l’un des plus importants découvreurs de pétrole et de gaz au monde. C’était, reconnait un ex-haut cadre de Sonatrach, le plus grand boom de l’Histoire des hydrocarbures en Algérie. En à peine une année, environ 130 firmes pétrolières ont manifesté leur désir d’investir dans les gisements sahariens avec, à la clé, la conclusion d’un nombre impressionnant de contrats de recherche et d’exploitation qui donneront des résultats remarquables, à l’instar des grands champs de Berkine et d’Ourhoud qui compenseront les ressources en déclin de Hassi Messaoud et Hassi R’Rmel.
Après une injuste campagne de dénigrement contre la loi promulguée en 1991 par Sid Ahmed Ghozali et mise en application au pas de charge par son successeur Belaid Benabdeslemn, celle-ci finira par être remise en cause le 28 avril 2005 par une nouvelle ordonnance (05-07) beaucoup plus libérale, qui aura du mal à passer, tant elle avait occasionnée une levée de boucliers au sein de la centrale syndicale UGTA et de certains hauts cadres de la Sonatrach que Chakib Khellil se dépêcha, du reste, à liquider juste après la promulgation de la loi, en prenant la double casquette de ministre de l’Énergie et de P-dg de la Sonatrach. Après avoir pris l’initiative d’amender cette loi en 2006, devenue loi 06-10 du 26 juillet 2006, il entamera une campagne de nettoyage de tous les cadres de son secteur susceptibles de le gêner. Il désignera à leurs places des cadres dirigeants dociles, comme ce fut le cas pour les agences stratégiques Alnaft et Arh.
Mais l’accaparement de tous les leviers du pouvoir au sein du secteur des hydrocarbures, n’aidera pas Chakib Khelil à donner une nouvelle dynamique à la Sonatrach ni même aux firmes étrangères, effrayées par la déliquescence de la gouvernance politique algérienne et l’excès de pouvoir dont disposait cet homme proche d’Abdelaziz Bouteflika et de certains magnats américains du pétrole. Les décrets et les règlements aussi nombreux que contradictoires qu’il promulguera finiront par faire fuir de nombreuses compagnies et convaincre les firmes pétrolières internationales de ne pas répondre aux appels d’offres lancés par l’Alnaft. Restés infructueux, ces appels à développer de nouveaux champs pétroliers et gaziers causeront de très graves préjudices à l’Algérie, qui ne trouve plus les quantités d’hydrocarbures nécessaires à ses engagements commerciaux et à la satisfaction d’une demande intérieure en constante progression.
Youcef Yousfi qui lui succédera en 2013, promulguera à son tour une nouvelle loi (13-01) qui sera encore plus catastrophique pour le pays, parce qu’elle avait mis en spectacle le côté versatile des autorités algériennes qui remettent en cause, sans aucun état d’âme, et souvent avec effet rétro actif, des lois à la faveur desquelles des étrangers s’étaient engagés à investir des milliards de dollars. L’instabilité juridique étant tout particulièrement redoutée par les investisseurs, notamment étrangers, les firmes pétrolières éviteront tout particulièrement l’Algérie, malgré son très fort potentiel minier.
On ne trouve malheureusement dans la nouvelle loi sur les hydrocarbures aucune disposition claire de nature à stabiliser cet environnement juridique à l’origine du manque d’attractivité du secteur algérien des hydrocarbures. C’est sur cet aspect qu’il aurait fallu agir pour séduire les grandes firmes pétrolières, plutôt que sur des cadeaux fiscaux et la longévité des contrats d’exploration et d’exploitation. Et pour preuve, les meilleurs résultats en matière d’investissements étrangers dans les domaines pétroliers et gaziers remontent à l’époque de Sid Ahmed Ghozali et son successeur Belaid Abdeslam à qui on doit reconnaître le mérite d’avoir attiré durant la décennie 90, au minimum, une vingtaine de compagnies qui produisent aujourd’hui encore un peu plus du tiers des hydrocarbures extraits du sous sol saharien. Les lois de Chakib Khellil (05-07) et de Youcef Yousfi (13-01) ont, par contre, été catastrophiques pour le pays, en terme de réponses aux appels d’offres restés pour la plupart infructueux, de surcroît de découvertes et de production, mais aussi et surtout en termes de contentieux ayant finis à l’arbitrage international au détriment de l’Algérie.
La nouvelle loi sur les hydrocarbures, que le pouvoir s’empresse de promulguer en période de gouvernance transitoire, est-elle de nature à améliorer le climat des affaires qui prévaut dans ce secteur boudé par les firmes étrangères ? On ne voit vraiment par quel miracle cela pourrait advenir dans ce contexte de relâchement de la gouvernance et de dérives mafieuses à divers niveaux de la décision. Promulguer cette loi qui effectivement accorde aux firmes étrangères de gros cadeaux fiscaux et d’importants retraits de souveraineté sur notre riche sous-sol, en échange d’un soutien à un pouvoir fragilisé par une tenace insurrection citoyenne, comporte quelque chose de malsain qui la prédestine nécessairement à l’échec. Comme ce fut le cas lorsque le clan Bouteflika avait tenté de promulguer la même loi pour obtenir le soutien des grandes puissances à son 5e mandat, il n’est pas évident que l’actuel pouvoir puisse facilement imposer ce projet décrié par de larges pans de la société algérienne.