La soudaine flambée des prix du baril de pétrole cette semaine a fait vaguement resurgir le spectre de la pénurie d’or noir. La probabilité d’un nouveau choc pétrolier forçant les automobilistes à faire la queue aux stations-essence reste toutefois ténue, selon plusieurs analystes.
Il a suffi, le 14 septembre, d’attaques contre des infrastructures pétrolières en Arabie saoudite ayant temporairement réduit de moitié la production du pays pour que le cours du Brent bondisse de 15% en une seule journée.
Il est depuis redescendu et évoluait vendredi autour de 65 dollars. Au vu du ralentissement de l’économie mondiale et de l’abondance de brut produit dans le monde, la perspective d’un baril à 100 dollars reste dans l’immédiat très hypothétique. Mais même si ce scénario se réalisait, « le monde est bien mieux équipé pour faire face aux chocs pétroliers qu’il ne l’était dans les années 1970« , assure Harry Tchilinguirian, spécialiste des matières premières chez BNP Paribas.
En 1973, à la suite d’un embargo de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) contre les alliés d’Israël en pleine guerre du Kippour, et en 1979, dans la foulée de la révolution iranienne, les prix du brut avaient bondi en quelques mois, mettant à genoux les économies développées. « Un choc pétrolier n’aurait pas les mêmes effets dévastateurs aujourd’hui » car les pays « se sont habitués » à de tels événements et que les banques centrales « ne réagiraient pas (…) en faisant bondir les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation« , assurent les économistes de Commerzbank. Surtout, les économies « ont réduit leur dépendance au pétrole« , ajoutent-ils.
La consommation aux États-Unis par exemple a augmenté, passant de 17,3 millions de barils par jour (mbj) en 1973 à 20,5 mbj en 2018, une hausse de 18% quand le produit intérieur brut réel du pays s’est envolé de 230%. En Allemagne, les ménages n’ont consacré en 2018 que 2,6% de leur budget aux carburants.
Les économies sont devenues moins gourmandes en pétrole, grâce aux transports et aux industries moins énergivores ainsi qu’aux sources alternatives comme le gaz ou les énergies renouvelables. Quand les prix du pétrole se sont installés durablement au-dessus des 100 dollars le baril entre 2011 et 2014, cela n’a pas conduit à un effondrement de l’économie.
Le monde est aussi devenu moins dépendant de quelques pays producteurs. Le premier choc pétrolier a conduit à la création, en 1974, de l’Agence internationale de l’Energie, qui exige des pays de l’OCDE qu’ils gardent en réserve l’équivalent d’au moins 90 jours de leurs importations nettes de brut. Les réserves françaises correspondaient en juin à 111 jours.
« Les sites de production vont bien au-delà du Moyen-Orient« , souligne Harry Tchilinguirian en mentionnant le pétrole de la Mer du Nord, exploité depuis les années 1980, l’exploitation en mer profonde au large des côtes d’Afrique de l’Ouest et du Brésil, ou les sables bitumineux du Canada.
Surtout les États-Unis, grâce au pétrole de schiste, sont devenus les premiers producteurs de brut au monde et commencent à exporter massivement leur propre or noir. De quoi compenser assez facilement à court et moyen terme les barils perdus en cas de perturbation majeure.
Les États-Unis sont « bien moins sensibles aux chocs pétroliers qu’il y a quelques décennies« , a d’ailleurs affirmé vendredi le vice-président de la banque centrale américaine Richard Clarida.
Dans ce contexte, un pays comme l’Arabie saoudite ne déciderait probablement plus de suspendre volontairement ses exportations « car il pourrait perdre son statut de fournisseur fiable« , affirme Alan Gelder, spécialiste des produits raffinés pour le cabinet Wood Mackenzie. Même si un choc pétrolier est improbable, « on ne peut jamais dire que le risque est nul« , remarque Andrew Lebow, spécialiste du marché pétrolier pour Commodity Research Group. « En cas par exemple de guerre majeure qui conduirait à la fermeture du détroit d’Ormuz » par où transite un tiers des produits pétroliers acheminés par voie maritime.
Les effets d’un éventuel choc pétrolier ne devraient toutefois « pas être sous-estimés« , jugent les économistes de Commerzbank. « De nombreuses économies font déjà face à des problèmes et les banques centrales ont peu de marge de manoeuvre (…) pour aider les économies affectées« .
Afp