« La question des réserves de changes est récurrente depuis un moment, et c’est une question, qui a été entretenue par le discours officiel, relayée par la presse et un certains nombre d’économiste », a noté le Professeur Benabdellah, intervenant ce matin dans l’émission l' »invité de la rédaction » de la chaîne 3 de la radio nationale.
« Il me semble que la question n’est pas celle-là et que, c’est un faux débat », a-t-il estimé. « C’est un faux débat dans le long terme, dans la structure de l’économie…etc. Et cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas faire attention à la question des réserves de changes », a-t-il précisé.
« Du point de vue chiffres, nous sommes à entre 17 et 18 mois d’importations (les réserves de changes ont atteint un niveau de mois de 80 milliards de Dollars actuellement, ndlr). Il suffit de regarder les statistiques mondiales, et il y a très peu de pays qui disposent de ce confort. S’il en prend le Maroc et la Tunisie, bien que ce sont pas les pays auxquels il faut se comparer, d’après la pensée courante, ces pays-là, ont 6 à 7 mois, c’est-à-dire, nous avons presque trois fois plus de confort en terme de réserves de changes que ces pays. Et pourtant, ils n’affichent aucune inquiétude. Le problème est de dire : Mais pourquoi des pays qui ont deux ou trois fois moins de réserves de changes par rapport à leurs importations, sont moins inquiets que nous? En répondant à cette question, on va se rendre compte que, finalement, en Algérie, on a peur des déficiences structurelles de l’économie elle-même », a expliqué le professeur Benabdellah.
Il a poursuivi en disant que, « ces économies (Maroc et Tunisie) ont des dynamiques de flux, c’est-à-dire, qu’ils sont sûrs demain et après-demain, qu’ils pourront payer leurs importations avec des exportations traditionnelles, qu’ils ont l’habitude de produire et d’exporter…etc ».
En revanche l’Algérie, selon lui, s’est accrochée à un indice de prix de pétrole et, « nous respirons et nous étouffons avec cet indice », a-t-il dit. « La problématique, c’est de sortir des réserves de changes. Dans tous les pays du monde, la question des réserves de changes est l’affaire de spécialistes, et on n’en parle pas dans les cafés maures et dans les rues. Chez nous, c’est partout, c’est out le monde qui parle de réserves de changes. On est accroché à ce sac. C’est très « moyen-âgeux », dans le sens où c’est mercantiliste, et on voyait quelle est la masse d’or et d’argent dont on dispose pour évaluer sa richesse! », a-t-il relevé.
« La richesse aujourd’hui s’évalue par la dynamique et la capacité de produire, d’inventer, d’innover, de mettre les gens au travail. C’est cela qui permet de diversifier ses exportations et, de ne pas tomber dans l’inquiétude du niveau des réserves de changes », a expliqué Pr Benabdellah.
Rappelant qu’avant les années 2000, l’Algérie était sous ajustement structurel et qu’elle avait vécu l’expérience de la crise de 1986, il estime que cette dernière, ressemble beaucoup à celle que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. « On a été ajusté, mais, malheureusement/heureusement, selon l’angle dans lequel on se place, à partir des années 2000, on est reparti dans la dépense à tout va, et on se retrouve dans cette situation », a-t-il souligné.
« S’il vous plait, sur cette question des réserves de changes. Les économistes le savent très bien. Ce sont des statistiques calculées par l’ONS (Office national des statistiques), la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) et par tout le monde », a-t-il noté, en expliquant que « quand on prend la courbe des exportations sur le long terme, en terme réel, c’est-à-dire, en volume, on aura la courbe qui est plate et qui a commencé à baisser depuis 6 ou 7 ans. Quand on prend celle des importations dans le même terme (en volume), on verra qu’elle fait une montagne très haute. Ce qui veut dire, qu’on a un taux de croissance proche de zéro dans les exportations en volume, et on des importations qui croissent à un niveau inimaginable. Et après on se plaint de la baisse des réserves de changes? »
« C’est illogique! Il aurait fallu surveiller ces évolutions et se dire qu’un jour ou l’autre on va avoir des problèmes. Et aujourd’hui, nous sommes devant ces problèmes », a-t-il indiqué.
La ration alimentaire consommée par l’Algérien est importée à hauteur de 70%
Pour le Professeur en économie, « il y a quelque chose qui poserait problème pour les importations, c’est ce qu’appellent les économistes les biens salaires, c’est-à-dire, ce que la population mange. Sur le plan officiel on ne le dit pas et on avance des chiffres autres que celui que je vais avancer, mais, toutes les études que j’ai lu, placent l’Algérie comme l’un des pays les plus dépendants sur le plan alimentaire en Afrique. La ration alimentaire consommée par l’Algérien est importée à hauteur de 70% ».
« Cela va neutraliser l’effet d’un certain nombre d’instruments économiques, de gouvernance. On pense aujourd’hui à la dévaluation du Dinar qui va renflouer les caisses de l’Etat, ce qui est sûr, va renflouer les caisses de l’Etat et permettre de régler une partie du déficit budgétaire », a-t-il soutenu.
Il reste maintenant, observe-t-il, à savoir comment cette situation va être « absorbée socialement et économiquement », une question pour laquelle il avoue n’avoir pas de réponse d’autant, déclare-t-il, « que ce n’est pas du jour au lendemain que notre agriculture va produire plus de blé, plus de viande, plus de lait, ni que nos entreprises vont développer une offre se substituant aux importations », ajoutant que « là c’est l’affaire du long terme ».
« Nous sommes dans l’obligation de trouver des décisions et des mesures dans le très court terme », a-t-il précisé.
La suppression du financement non conventionnel n’a pas été accompagnée de mesures de substitution.
Selon lui, il y a déjà une décision qui a déjà été prise mais qui n’a pas été accompagnée d’un argumentaire quelconque. Il s’agit de celle de l’arrêt du financement non conventionnel, a-t-il dit. « On a annoncé que le trésor public ne pourra plus s’approvisionner en billets de banque directement chez la Banque d’Algérie », a rappelé Pr Benabdellah qui a estimé que « c’est une bonne chose en soi ».
Selon lui, cette décision n’a été accompagnée de rien en substitution au financement non conventionnel. « Est-ce que cela, veut dire qu’on est en train de sacrifier la croissance économique, c’est-à-dire, il faut s’attendre à des coupes budgétaires très sombres et sérieuses qui vont toucher le budget d’équipement, car, dans toute période d’ajustement, on commence toujours par le budget d’équipement, or on sait très bien que la croissance économique du pays dépend de ce budget-là. Si on fait des coupes, la croissance économique déjà faible, et que nous sommes déjà en phase dépressive depuis 2 ou trois ans, c’est-à-dire, le taux de croissance de l’économie est inférieure au taux de croissance de la population. Là, il faut s’attendre à une croissance plus faible, ça premièrement ».
Et deuxièmement, a-t-il poursuivi, « sur les décisions concernant l’arrêt des importations ou leur diminution qui vont toucher un certain nombre de secteurs économiques. Ce qu’il faudrait comprendre en Algérie, est que la contrainte extérieure qui est en train de se durcir, de plus en plus, est produite par la politique intérieure. Parce que, tout simplement, on n’a pas fait attention à l’envolée des importations et trouver les moyens adéquats pour leur faire face. Aujourd’hui, on nous dit qu’on va pas aller vers l’endettement extérieur, je veux bien, mais, à conditions qu’on me dise comment on va payer ces importations ou réduire celles-ci, mais, sachant que, nous avons des accords commerciaux qui nous lient avec le reste du monde, et que ce reste du monde va réagir à nos politiques protectionnistes, et quelles sont les importations qu’on va réduire. Il n’y absolument rien qui est dit sur ce plan ».
« L’Algérie n’a jamais été riche, mais, un pays à potentialités mal exploitées »
Pour Pr Benabdellah, l’Algérie n’a jamais été riche, mais, un pays à potentialités mal exploitées. « Il y a quelqu’un dont je ne dirai pas le nom, c’est un aîné, qui a dit que l’Algérie est un pays pauvre qui joue aux riches ». Propos tenus par Benachenhou quand il était ministre des finances.
« Le mode de gouvernance en Algérie a joué de la magie de la rente pétrolière.Il a cultivé tous les paradoxes », a-t-il estimé, en expliquant que « dans un pays comme le nôtre, vous avez une macro-économie qui a été excellente jusqu’en 2014, tandis que, la micro-économie était très faible, et c’est là que se joue l’économie, c’est l’efficacité, la productivité et l’occupation des marchés. Quand vous prenez le taux de chômage, il était très élevé et pourtant, le manque de main d’ouvre était connu par les entreprises, particulièrement, en agriculture. ».
« Aujourd’hui, il n’est plus possible de jouer de cette magie. Parce que justement, cette rente pétrolière qui a fait tout cela, est en train de se retirer, et en se retirant, dévoile dangereusement toutes les déficiences structurelles de l’économie Algérienne. Ma problématique des réformes, c’est celle-là, et il n’empêche pas que dans le court terme, ont doit traiter les problème sur le plan financier », a-t-il expliqué.