L’ombre de l’Iran va planer sur trois sommets prévus jeudi et vendredi à La Mecque, en Arabie saoudite, au moment où les États-Unis maintiennent la pression sur la République islamique dans un climat de tensions dans le Golfe.
Le royaume saoudien sunnite, allié de Washington, entend isoler davantage son grand rival iranien chiite et les trois réunions (monarques du Golfe, chefs d’Etat arabes et leaders des pays musulmans) serviront cet objectif, à savoir obtenir le soutien le plus large possible. « Anticipant l’intensification de la confrontation ou de la diplomatie », l’Arabie saoudite cherche à « consolider un soutien arabe et musulman », déclare Hussein Ibish, de l’Arab Gulf States Institute à Washington.
Les tensions régionales se sont exacerbées depuis que l’administration de Donald Trump a renforcé les sanctions contre Téhéran après avoir quitté, il y a un an, l’accord international de 2015 sur le nucléaire iranien. Elles sont encore montées de plusieurs crans avec l’attaque le 12 mai de quatre navires, dont deux tankers saoudiens, au large des Emirats arabes unis, ainsi que la multiplication de tirs de drones par les rebelles yéménites Houthis, soutenus par Téhéran, sur des cibles saoudiennes, dont deux stations de pompage d’un oléoduc.
Début mai, Washington avait annoncé le déploiement dans le Golfe d’un porte-avions et de bombardiers B-52 avant de décider l’envoi de 1 500 soldats de plus au Moyen-Orient. Des généraux iraniens ont eux menacé de fermer en cas de guerre le détroit d’Ormuz par lequel passent 35% du pétrole transporté par voie maritime. Alors que le sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) était prévu de longue date, Riyad a convoqué deux autres réunions jeudi, celles du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et de la Ligue arabe.
Le nombre de pays participants reste inconnu mais le Qatar, ostracisé par Riyad, a confirmé avoir reçu une invitation. Présidé par le roi Salmane, le 14e sommet de l’OCI visera vendredi à forger « une position unifiée sur les questions actuelles », indique un communiqué de l’organisation. Parmi ces sujets figurent la lutte contre le « terrorisme », la question palestinienne et l’islamophobie en Occident. L’Iran fait partie de l’OCI (57 membres), mais l’absence de relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran rend peu probable sa participation.
Tâche difficile : Riyad, qui cherche à asseoir son autorité sur le monde arabo-musulman, accuse l’Iran de déstabiliser Bahreïn, l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen en fournissant des armes à divers groupes, notamment les Houthis, ce que dément Téhéran. « La coordination et l’unité des rangs sont importantes dans ces conditions critiques et Ryad est habilitée, avec son poids régional et international, à les réussir », a dit Anwar Gargash, ministre d’Etat émirati aux Affaires étrangères. Mais obtenir un front uni ne sera pas chose aisée. Si les Émirats et Bahreïn sont alignés sur Riyad, leurs autres partenaires du CCG (Qatar, Oman, Koweït) entretiennent des relations quasi-normales avec l’Iran. Doha s’est rapproché de l’Iran depuis que l’Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn et l’Egypte ont rompu avec lui mi-2017 en l’accusant de soutenir le « terrorisme ». Oman a des relations traditionnellement bonnes avec l’Iran, les deux pays partageant le contrôle du détroit d’Ormuz. Le Koweït craint la fermeture de ce passage où transite toutes ses exportations de pétrole.
Après une visite à Téhéran la semaine dernière, le ministre omanais en charge des Affaires étrangères, Youssef ben Alaoui ben Abdallah, a indiqué que son pays tentait de « calmer les tensions » irano-américaines. L’Iran soutient de puissants mouvements politiques au Liban, en Syrie et en Irak, ce qui empêche ces pays de s’opposer frontalement à lui comme le souhaite Riyad.
« Jeu dangereux » : De manière générale, « plusieurs pays peuvent ne pas aimer l’Iran et son attitude régionale, mais préfèreront sans doute éviter une position conflictuelle », juge Simon Henderson, du Washington Institute for Near East Policy.
Les attaques contre des navires à l’entrée du Golfe et les stations de pompage en Arabie saoudite ont suscité des inquiétudes quant à la sécurité des approvisionnements pétroliers. Les Houthis ont revendiqué la deuxième attaque, tandis que les Émirats disent vouloir enquêter sérieusement sur le sabotage des navires, s’abstenant de désigner l’Iran. Mais des responsables américains n’ont pas hésité à le faire, à l’instar du secrétaire d’État Mike Pompeo. Washington a annoncé de nouvelles ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats, en invoquant la menace imputée à l’Iran pour contourner un Congrès de plus en plus hostile à Riyad.
Selon l’International Crisis Group (ICG), la reprise d’activités nucléaires iraniennes, mais aussi la perturbation des exportations de pétrole sont « des moyens d’améliorer le pouvoir de négociation » de Téhéran. « Mais si ces manoeuvres sont un jeu diplomatique, c’est dangereux car une partie peut mal comprendre les intentions de l’autre », prévient le centre de réflexion.
Afp