Le délai légal de dépôt des candidatures pour le scrutin du 4 juillet s’est achevé hier à minuit, sans que l’on sache grand-chose du résultat et de l’avenir du processus électoral imposé par le haut commandement militaire.
Si le ministère de l’intérieur a effectivement fait part de 74 retraits de formulaires de candidatures, en grande partie retirés par d’ « illustres inconnus », quelques partis microscopiques et le général à la retraite Ali Ghdiri qui a lui-même reconnu le fait, on ignore par contre les noms de tous ces prétendants à la magistrature suprême, mais aussi et surtout, s’ils ont satisfaits à l’exigence des parrainages (60.000 signatures ou 600 parrainages d’élus).
Dans les conditions d’agitation politiques et sociales qui prévalent depuis le 22 février dernier, il est peu probable qu’ils aient pu effectuer cette démarche qui pouvait les exposer à la fureur des citoyens, violemment opposés au scrutin en question. On aurait pu spéculer sur un maintien têtu de cette élection à tous points surréaliste, si d’autres difficultés ne s’étaient pas greffées à ce « fiasco » des recueils de candidatures.
Il s’agit, on l’a compris, du refus de 400 présidents d’Assemblées Populaires Communales et de presque autant de magistrats, d’encadrer ces élections qui deviennent de fait irréalisables et caduques même en cas de forcing du ministère de l’intérieur. C’est par conséquent, vers une élection avortée d’avance, faute de candidats, d’encadrement et d’électeurs, que l’on s’achemine et, toute la question, est de savoir qu’elle réponse donnera l’état major de l’armée qui avait décidé autoritairement de cette voie à suivre pour rester, comme le prétendait le chef d’état major, Ahmed Gaid Salah, dans la ligne canonique fixée par l’article 102 de la constitution.
D’autres plans ont-ils été envisagés si cette formule venait à tourner, comme il était depuis longtemps prévisible, à l’échec ? Les algériens l’ignorent et restent suspendus à la déclaration que pourrait faire aujourd’hui à partir de Ouargla où il se trouve, le maître absolu du jeu, Ahmed Gaid Salah. Va t-il maintenir l’échéance électorale en se contentant de quelques éventuels candidats détenteurs des parrainages exigés par la constitution ? Va-t-il seulement reporter le rendez vous électoral en gardant les trois pilotes du scrutin que sont Bensalah, Bedoui et Feniche ? Ira-t-il au contraire vers un rapprochement en direction du peuple insurgé qui réclame une transition pilotée par des personnalités qu’il aura lui-même choisies ? Va-t-il abandonner la formule de l’article 102 au profit de l’article 7 que réclame depuis près de trois mois les manifestants algériens ?
Tout est dans le flou ! Un flou savamment entretenu par l’état major de l’armée pour rester le plus longtemps possible le maître du jeu politique, l’objectif étant on l’a compris, de donner le temps à certains noyaux durs des ex clans au pouvoir, de se tirer avec leurs fortunes mal acquises, avec le moins de dommages possibles. C’est une hypothèse largement défendues par des médias nationaux et étrangers qui s’appuient sur la liberté dont jouissent aujourd’hui encore des proches du clan des Bouteflika malgré les très lourdes charges qui pèsent sur eux.
Il est vrai qu’une transition rapide et acceptée par le peuple est de nature à mettre rapidement fin au règne actuel de l’état major de l’armée. Plus la transition durera plus Ahmed Gaid Salah et ses collègues dureront au pouvoir.
C’est sans doute pourquoi, nous restons septiques, quant aux décisions qu’il pourrait annoncer dans les prochaines heures. La logique de l’état major n’est, en effet, pas du tout celle du peuple algérien qui manifeste depuis 13 vendredis et autres jours de la semaine.
Le premier tire toute sa puissance de la crise politique qu’il souhaiterait être la plus longue possible, tandis que le second, veut parvenir dans les meilleurs délais possibles, à une nouvelle république qui lui garantirait les droits que le système politique lui a confisqués.
Pour la première fois depuis l’indépendance du pays, le véritable détenteur du pouvoir qu’est l’état major de l’armée se retrouve face à face avec le peuple algérien. Il sait parfaitement qu’il joue gros et que si le rapport de force bascule en faveur des insurgés, c’est tout le système qu’il représente qui s’effondrera. Les généraux seraient alors contraints d’abandonner aux hommes politiques légitimés par les urnes, l’exercice du pouvoir. Très peu d’entre eux, évidemment, le souhaitent car c’est de la tutelle du pouvoir que la plupart de ces hauts gradés ont tirés fortunes.
Pour dénouer la grave crise politique qui pourrait naître d’un maintien têtu du scrutin du 4 juillet, Ahmed Gaid salah, pourrait, même s’il n’en a constitutionnellement le droit, sacrifier Bensalah et Bedoui, dont le peuple réclame la tête depuis le début du hirak. Qui assumera dans ce cas la fonction de chef d’Etat jusqu’à la fin du délai constitutionnel fixé au 9 juillet ?
Le chef d’état major ne le pourra certainement pas, car cela ressemblerait fort à un coup d’Etat militaire qui ne dit pas nom. La seule issue possible, estiment les meilleurs observateurs de la scène politique algérienne, consisterait à donner suite à l’appel des trois personnalités algériennes (Ali Yahia Abdenour, Benyelles et Taleb El Ibrahimi) qui ont demandé à l’état major de l’armée de nouer rapidement un dialogue honnête avec les leaders du mouvement populaire.
Il reste à savoir quels seront ces personnalités avec les quelles l’armée acceptera de dialoguer et si les insurgés en grande partie jeunes (plus de 70% des manifestants ont moins de 30 ans) vont accepter ces représentants, notamment, s’ils sont, comme on a trop tendance à le constater, trop âgés.
La logique la plus vraisemblable vers laquelle on s’amine est de gagner encore du temps en laissant le conseil constitutionnel examiner les candidatures qu’il rejettera sans doute pour diverses raisons, parmi lesquelles l’insuffisance de parrainages.
Les dix jours de vérification requis par la constitution pourraient alors être mis à profit pour trouver les personnalités les plus représentatives du mouvement populaire, avec lesquelles l’état major de l’armée pourra dialoguer dans la perspective de proposer, sur la base de l’article 7 de la constitution, la meilleure formule de transition possible.