L’ancien ministre de la défense, le général à la retraite Khaled Nezzar, a révélé, ce lundi 29 avril 2019, dans un témoignage publié sur son site Algérie Patriotique, que Saïd Bouteflika, le frère et porte-parole du président démissionnaire, voulait instaurer «l’état d’urgence» ou «l’état de siège».
«Jusqu’à la dernière minute, le porte-parole du Président – son frère Saïd – s’est accroché au pouvoir, multipliant les tentatives de diversion, les manœuvres, les manigances désespérées pour garder la haute main sur les affaires du pays», a-t-il écrit.
«Pour l’histoire, j’aimerais apporter un témoignage pour dire jusqu’où était décidé à aller cet homme qui ne voulait pas comprendre, qui ne voulait pas imaginer, que le rideau était définitivement tombé», a-t-il affirmé.
Khaled Nezzar a fait savoir qu’il a échangé à deux reprises avec Saïd Bouteflika les 7 mars et 30 mars dernier depuis le début le mouvement populaire, à la demande du frère cadet du président Abdelaziz Bouteflika démissionnaire.
«Le 7 mars 2019, j’ai reçu un appel émanant de lui par l’intermédiaire d’un ami. Il voulait me voir. Après quelques moments d’hésitation, j’ai décidé d’accepter. Nous nous sommes donc vus. L’homme était visiblement dans le désarroi. Il voulait connaître mon opinion sur ce qui se passait dans le pays et sur ce qu’il pouvait entreprendre pour faire face à la contestation populaire », a-t-il relaté.
«Je lui dis : «Etant donné que le peuple ne veut pas d’un cinquième mandat, qu’il veut aller à une deuxième République et qu’il rejette les membres de la classe politique en charge actuellement de responsabilités, j’estime qu’il faut répondre à ses demandes », a révélé le général à la retraite.
Khaled Nezzar a fait savoir qu’il a fait deux propositions à Saïd Bouteflika qu’il lui a suggéré d’étudier. «La première proposition : -Prendre comme base de travail la lettre du Président qui parle de conférence nationale, la compléter en précisant les délais quant à sa durée de vie. -Donner la date exacte du départ du Président qui ne devrait pas excéder 6 à 9 mois. -Remplacer l’équipe gouvernementale actuelle par un gouvernement de technocrates», a raconté encore l’ancien ministre de la défense.
La seconde proposition, «la plus raisonnable», a-t-il estimé, est : «-Que le Président se retire soit par démission, soit par invalidation par le Conseil constitutionnel. Parallèlement : -Désignation d’un gouvernement de technocrates. -Création de plusieurs commissions indépendantes qui seraient compétentes pour préparer les futures élections et mettraient en place les instruments pour aller vers la deuxième République.»
Khaled Nezzar a affirmé avoir également suggéré à Saïd «la démission du président du Conseil constitutionnel et ceux des deux chambres du Parlement. Le nouveau président constitutionnel assurerait la vacance du président de la République et légiférerait par ordonnances.»
Mais, a-t-il poursuivi, «Inconvénient : une maîtrise moins aisée du processus du changement. Avantage : cette solution aurait toutes les chances d’être acceptée par l’opinion publique du moment que la décision serait entre les mains d’une instance de transition crédible parce qu’indépendante.
«Saïd Bouteflika rejeta d’emblée cette seconde proposition, la trouvant, à son sens, «dangereuse pour eux». A la question : «Et si cette énième lettre était rejetée, que feriez-vous ?» Il me répondit : «Ce sera l’état d’urgence ou l’état de siège !» J’étais surpris par tant d’inconscience. Je lui répondis : «Si Saïd, prenez garde, les manifestations sont pacifiques, vous ne pouvez en aucun cas agir de cette manière !» A cet instant, je me suis rendu compte qu’il se comportait comme le seul décideur et que le Président en titre était totalement écarté», a révélé Khaled Nezzar, ajoutant : «Avant de le quitter, j’ajoutai : «La balle est encore dans votre camp. Surtout, ne perdez pas de temps, le mouvement est en train de faire boule de neige, bientôt il sera trop tard !»
Concernant le deuxième échange entre Khaled Nezzar et Saïd Bouteflika. Le général à la retraite a fait savoir que «le 30 mars, vers 17 heures, nouvelle tentative du même Saïd Bouteflika pour me joindre, cette fois-ci au téléphone. Après m’être demandé s’il était encore utile de lui répondre, j’ai finalement décidé d’écouter ce qu’il avait à me dire. Au son de sa voix, j’ai compris qu’il était paniqué».
«Il me dit que le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP était en réunion avec des commandants des forces et qu’il pouvait agir contre Zéralda d’un instant à l’autre. Il voulait savoir s’il n’était pas temps de destituer le chef d’état-major. Je l’en dissuadai fortement au motif qu’il serait responsable de la dislocation de l’armée en cette période critique», a-t-il encore révélé.
Et d’ajouté : «Je suis revenu à la suggestion déjà avancée par moi lors de notre précédente rencontre, à savoir l’application de l’article 7 réclamé par le Hirak et la désignation de membres de la société civile représentatifs pour assurer la transition et, ensuite, faire savoir immédiatement après que le Président se retirait».
«La balle était de nouveau dans le clan des Bouteflika. Je pensais qu’ils allaient agir rapidement, d’autant que Saïd – il le disait – craignait d’être arrêté à tout moment», a expliqué Khaled Nezzar qui ajouté que «la mise en pratique d’une telle proposition nous aurait sortis de la crise. Ils n’ont pas voulu le faire.»