Dans cet entretien, le président du collège national des experts architectes (CNEA) MBoudaoud, réagit au drame qui s’est produit à la Casbah d’Alger. Selon lui, cette affaire lui rappelle également l’effondrement d’un hôtel au square Port-Saïd tôt, faisant 8 morts et 22 blessés et replonge le pays en plein dans la problématique de résorption du parc vétuste, tout particulièrement dans une ville “ingérable” comme Alger.
Algérie-Eco : le drame qui s’est produit hier à la Casbah d’Alger suite à l’effondrement d’un immeuble de quatre étages, nous mène à se poser des questions sur l’avenir des habitants d’autres logements qui menacent ruine. Sachant que le collège national des experts architectes (CNEA) dont vous présidez a tiré à maintes fois, la sonnette d’alarme sur le sujet surtout la Casbah d’Alger. Quel commentaire faite-vous suite à ce drame ?
MBoudaoud : je dirai qu’à plusieurs reprises le collège n’a cessé d’attirer l’attention des collectivités locales sur le danger des habitations qui menacent ruines, et des logements vétustes. J’ai aussi dit et répété qu’Alger est assise sur une bombe atomique. Mais on ne nous a pas écouté, malheureusement. Combien de séminaires, de journées d’études et de rencontres nous avons organisés sur le sujet, mais en vain.
Le collège national des experts architectes (Cnea) a même réalisé un “livre blanc” sur le secteur de l’habitat en Algérie. Dans cet ouvrage, le Cnea dresse un bilan global du secteur et fait une projection sur ses perspectives. Le collège estime que chaque commune des 1 541 recensées, doit disposer d’une cartographie de son patrimoine immobilier existant, vétuste, inachevé et inoccupé ainsi que du foncier disponible.
Pour qu’une APC demande un accompagnement pour un projet, l’État doit l’obliger, à réhabiliter ou achever au préalable un certain pourcentage de son patrimoine immobilier. Celui-ci doit être doté d’un carnet de santé avec une grille de vétusté.
L’affaire de l’effondrement dramatique de cet immeuble à la Casbah nous rappelle également l’effondrement d’un hôtel au square Port-Saïd tôt, faisant 8 morts et 22 blessés et nous replonge en plein dans la problématique de résorption du parc vétuste, tout particulièrement dans une ville “ingérable” comme Alger.
La responsabilité incombe à qui en premier lieu ?
La responsabilité d’un tel drame incombe en premier lieu à l’APC puis à la Wilaya. Qu’attendent-ils pour agir, faut-il attendre un autre drame comme celui d’hier ? Non il faut être raisonnable. Il faut savoir que la wilaya d’Alger qui compte 57 communes, contient 8 communes à raser, je cite comme exemple Bab El Oued, El Harrach, la Casbah, Bir Mourad Rais. La capitale compte plus de 1 500 immeubles totalement vétustes et inhabitables. Certains nécessitent de toute urgence des travaux de réhabilitation, tandis que d’autres sont bons pour une démolition pure et simple.
Qu’attendent les responsables locaux pour bouger à votre avis ?
On annonce 700 milliards de centimes pour un programme de réhabilitation des logements vétustes. Comment va-t-on utiliser cet argent ? Aucune explication, sauf que pour les entreprises chargées de réaliser les rénovations ou la réhabilitation, elles doit avoir un expertise qui réalise un livret de santé et l’estimation de ce qu’il va faire. Mais malheureusement, il n’ya pas de suivie de ces opérations ou de contrôle de ces entreprises. Généralement la réhabilitation ne se fait que sur la façade, comme c’était le cas pour l’immeuble de la Casbah qui s’est effondré.
Pour le cas de la Casbah, je me souviens que les représentants de la wilaya d’Alger ont annoncé en grande pompe que le gouvernement avait accepté de débloquer 300 millions de dinars pour préserver le patrimoine culturel de la casbah d’Alger. Ce budget est néanmoins insuffisant.
La restauration de la casbah n’est pas une mince affaire. Il ne s’agit pas simplement de réhabiliter des bâtiments anciens. La casbah est un quartier historique. Elle témoigne de notre passé, d’une civilisation à part entière. Restaurer ce véritable musée en plein air est une entreprise énorme, qui exige un savoir et des compétences dont nous ne disposons pas en Algérie. Néanmoins, un petit effort est certainement mieux que pas d’effort du tout.
Que diriez-vous à la fin ?
En conclusion, je dirai que le directeur technique de l’APC ne doit pas être désigné par le PAPC, mais par le ministère de l’habitat. Aussi, le CNEA ne s’arrêtera pas de multiplier les SOS pour alerter les pouvoirs publics et l’opinion nationale sur l’état du cadre bâti dans notre pays et la situation alarmante du paysage urbanistique national.
Il y a 1 548 communes en Algérie. Il n’y a pas une seule commune qui connaisse son patrimoine immobilier. Ce qu’il convient de faire en toute urgence, c’est de recenser le vieux bâti au niveau de chaque commune. Il faut classer ce patrimoine immobilier en le répertoriant par catégories : les bâtisses qui nécessitent une réhabilitation, celles qui nécessitent un confortement et celles qui demandent une rénovation. Pour chacune de ces catégories, il y aura trois sortes d’intervention : légère, moyenne et lourde, selon la gravité de son délabrement. Il faut évaluer le degré d’urgence pour chaque bâtiment et engager les travaux qui s’imposent.
Chaque bâtisse doit être munie d’un “livret de santé”. Il faut diagnostiquer minutieusement les pathologies de chaque bâtisse et dresser le livret de santé de chaque bâtiment. Il faudrait des interventions de type “chirurgical” sur le tissu urbain. Il faut donner le pouvoir aux architectes, aux ingénieurs, ces “médecins” du bâtiment.
Les architectes ont le pouvoir technique mais pas le pouvoir de décision. Il faut qu’il y ait un dialogue entre les pouvoirs publics et les architectes.