Le peuple algérien, chacun l’a compris, entend mettre fin à la Res Privata, pour revenir aux fondements d’une Res Publica. L’Algérie n’est le bien particulier de personne, elle est la propriété inaliénable du peuple. Ce dernier entend mettre fin au « patrimonialisme » de certains privilégiés qui ont le tort de s’être arrogé le titre « d’élites ». Loin d’avoir été volontaire, sa servitude prenait sa source dans la contrainte qui a vu ses paroxysmes en 1988, en 2001 et pendant la décennie noire des années 90. Le passage de témoin à une génération nouvelle dont les atavismes révolutionnaires sont bien vivants, vient de changer la donne. Il est temps de mettre en place des réformes urgentes pour endiguer la crise financière colossale qui nous guette. Mais cela passe d’abord par une solution politique.
Ajoutons que la décadence des institutions algériennes, y compris celles qui sont en représentation du peuple par le suffrage universel direct, rend impossible la guérison de l’Etat du fait notamment des mauvaises habitudes prises par ses dirigeants et ses oligarques au même titre que la perte du sens de la nation.
Pour mettre fin au despotisme et à la violence de l’Etat, il est urgent de mettre sur pied un dialogue entre les parties prenantes qui sont désormais invitées à assurer la transition pour une année au moins. Cette année doit être efficacement utilisée pour formuler une nouvelle constitution et organiser de nouvelles élections présidentielles. Différentes algèbres sont actuellement en délibérées pour savoir qui assurera cette transition et comment elle se fera dans le temps court et long. Ne nous faisons aucune illusion, il est toujours difficile de désigner un successeur et par conséquent la tâche est ardue pour tous. Pour l’armée d’abord qui agit, pas à pas, sous le regard acerbe du peuple désormais rompu aux jeux des chaises musicales. Pour les candidats plébiscités, ensuite, qui savent combien le dialogue avec l’armée est indispensable car cette dernière est constitutionnellement garante des institutions. La question est donc de savoir comment doit s’organiser le grand dialogue auquel aspirent toutes les parties prenantes, y compris le peuple qui veut bien évidemment y prendre sa part directe et en toute transparence. Ce dialogue doit être dès lors inclusif, transparent et constructif.
Premièrement, un dialogue inclusif concerne toutes les parties prenantes de la Nation : tous les courants, toutes les sensibilités, toutes les générations, toutes les catégories socio-professionnelles, tous les prétendants à la conduite de la nation pourvu qu’ils s’inscrivent dans le respect des principes républicains et des droits et libertés individuelles et collectives.
Deuxièmement, un dialogue transparent suppose que toutes les parties prenantes s’expriment au vu et au su de tous, de manière directe et sans aucune pression ou censure de quelque forme que ce soit.
Troisièmement, un dialogue constructif implique qu’à son issu, il y ait un vote sur les représentants désignés qui conduiront la période de transition pour une nouvelle constitution et l’organisation d’élections libres, transparentes et régulières.
Ce dialogue doit se faire sous forme d’« Assises Nationales de Transition ». Cette proposition formulée lors d’un appel lancé le 15 avril 2019 aux différents candidats dont les noms reviennent régulièrement lors des manifestations et dans les réseaux sociaux, doit à présent être décliné sous forme de protocole précis que nous lancerons officiellement à l’armée garante des institutions, aux candidats suivants et à bien d’autres : Mokrane Ait Larbi, Zoubida Assoul, Basma Azouar, Ahmed Benbitour, Mostepha Bouchachi, Djamila Bouhired, Chems Eddine Chitour, Abdallah Saad Djaballah, Hedda Hezam, Taleb Ibrahimi, Smail Lalmas, Abdelaziz Rehabi, Karim Tabbou.
Proposition d’un protocole pour les « Assises Nationales de la Transition »
Différentes étapes très claires doivent présider à l’organisation de ces assises. Nous en déclinons 8 qui nous paraissent incontournables :
- Etape 1 : Formulation d’adhésion des parties prenantes pressenties à ce grand dessein de dialogue de la Nation pour un nouveau projet de société, une vision partagée de l’avenir du pays, une nouvelle constitution pour une deuxième République et l’organisation d’élections démocratiques, libres, transparentes et régulières. Adhésion également à des Assises nationales de la Transition dont l’objectif est de formuler, sur la base d’une représentation partagée de l’ADN de la nation, une vision commune portée ensuite par une équipe désignée et reconnue par tous pour mener à bien la période de transition.
- Etape 2 : Formulation d’un ordre du jour thématique qui respecte les attentes du peuple et ne se contente pas d’aborder des sujets en dissonance avec les grands enjeux de nation. La gouvernance, la démocratie participative et représentative, la politique à mener et ses objectifs, les droits et les libertés, l’économie, le développement international et la liberté de circulation, l’énergie, les défis sociaux, la finance et la fiscalité, l’éducation et la formation supérieure, la redistribution équitable des richesses, l’emploi, l’entrepreneuriat…devront faire l’objet d’une attention particulière.
- Etape 3 : Proposition par les parties prenantes : d’observateurs indépendants, scrutateurs et animateurs des débats qui s’établiront entre les parties prenantes. Ces personnes désignées pour leur expertise et leur indépendance doivent être en nombre suffisant : une dizaine d’observateurs qui rendent compte au peuple du déroulé des débats et qui sont en contact avec tous les médias (presse écrite, TV, médias sociaux…), une vingtaine de scrutateurs qui assurent la régularité des débats, des temps de parole et des risques de pression ou d’irrégularités (ils échangent régulièrement avec les observateurs), et une vingtaine d’animateurs qui assurent le passage de l’ordre du jour des débats sous le contrôle des scrutateurs.
- Etape 4 : Désignation d’un lieu emblématique de réunion des Assises : les « Assises Nationales de la Transition » devront se tenir dans un lieu symbolique de l’appartenance à la Nation du peuple dans son entier. Il devra offrir la possibilité d’accueillir un très grand nombre de participants. Le Centre International de Conférences (CIC) d’Alger serait par exemple un endroit approprié à ce type de rencontre. Le peuple doit en exiger la mise à disposition pour une cause majeure nationale.
- Etape 5 : La participation transparente des parties prenantes doit être la plus large possible, diverse, visible et lisible. D’abord, elle doit être large et diverse, car aucune sensibilité, région, génération, catégorie…ne doit en être exclue, ou faire l’objet de pressions de quelque nature qu’elle soit. Ensuite, elle doit être visible, car aucune transaction ne doit se faire en dehors de l’hémicycle dédié à la plateforme des assises de la nation. Enfin, elle doit être lisible et chacun doit non seulement décliner son appartenance ou non appartenance à un mouvement ou un parti, mais aussi expliciter clairement ses intentions, son projet et sa vision pour la nation.
- Etape 6 : Le peuple doit pouvoir avoir accès au débat tout le temps qu’il se déroule (sans interruption) et y participer sous quelque forme que ce soit. Tous les médias y ont axé et diffusent sans discontinuité pendant les 5 jours l’ensemble des débats sans aucun montage ou biais possible. En préalable à la tenue de ses Assises, il est important de mettre sur pied une infrastructure réseau qui permettra une consultation physique ou numérique du peuple aux débats. Les règles du jeu étant fixées, des modérateurs et des community managers assurent la liaison digitale permanente avec le peuple. Ce dernier s’exprime sur tous les sujets qu’il considère comme déterminants pour le nouveau projet de société et la nouvelle constitution algérienne pour une deuxième République.
- Etape 7 : Les Assises se tiennent pendant 5 jours, à l’issu desquels il est procédé à un vote pour désigner les candidats éligibles qui conduiront la nation pendant la période de transition, à savoir le Conseil collégial de transition. Une définition de l’éligibilité peut être fixée le plus largement possible et sans discrimination aucune. Il est donc important qu’au préalable, et sans précipitation, il soit déterminé les conditions de ce vote. Plusieurs formules doivent être envisagées sans que l’opération ne soit trop lourde ou non réalisable matériellement en un temps court. Une votation des membres de l’hémicycle doit être pondérée par une votation large du peuple sous forme numérique dans la limite des fraudes envisageables. L’organisation de primaires qui ont fait leurs preuves dans différents pays pourrait inspirer la mise en place de telles procédures de votation. Il est cependant important de voter tout autant pour des candidats (trois en charge de la présidence et des vice-présidences du conseil de transition, plus 6 ou 9 autres membres par domaines d’expertise par exemple) et leurs 9 ou 12 suppléants, dans le cas où certains d’entre eux souhaiteraient quitter le Conseil de transition pour une raison propre, notamment celle de vouloir s’engager dans une campagne électorale, comme nous le verrons dans l’étape 8. L’idéal serait de voter pour des listes (paritaires hommes/femmes) au plus fort reste afin de constituer des équipes représentatives dont l’une dégagerait une majorité nécessaire à la désignation d’un président du conseil collégial de transition.
- Etape 8 : L’équipe paritaire et collégiale, désignée par la votation, constitue dans un second temps son équipe sur la base de leur expertise (parmi les 6 ou 9 membres élus) pour la mise en place d’une constituante chargée de concevoir une nouvelle constitution. Le nombre des membres de la constituante doit être suffisamment resserré pour permettre un travail efficace et efficient, mais aussi suffisamment large pour épouser toutes les sensibilités de la nation (9 ou 12 membres en pratique serait suffisants). Cette équipe est également en charge d’organiser des élections présidentielles transparentes dans le délai d’un an. Si un candidat membre de cette collégialité souhaite se présenter aux élections présidentielles, il devra quitter le collège en charge de la transition au moins 6 mois avant la tenue des dites élections. Il sera alors remplacé par le premier suppléant désigné lors des votations.
Désormais, la nation devra se construire à l’avantage général et sous la surveillance du peuple. Les « Assises nationales de la Transition » veilleront à l’édification d’une justice sociale garantie par des principes républicains et démocratiques robustes pour sortir de la décadence dans laquelle n’a cessé de plonger le pays depuis des décennies. Cette justice sociale se fera par des hommes et des femmes de bonne volonté qui n’ont jamais pris part active et répréhensible aux actions et décisions qui ont participé à cette décadence.
Par Boualem ALIOUAT, Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis et Vice-Président du Conseil Africain de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation.