Les salaires des fonctionnaires n’ont pas augmenté depuis 2012, date à laquelle le gouvernement avait décidé de relever les salaires de tous les employés de la fonction publique pour éloigner le spectre du « Printemps arabe ». Les pensions des retraités avaient également été poussées à la hausse et les entreprises publiques invitées à faire un geste envers leurs travailleurs. Le pouvoir d’achat des salariés avait été ainsi spectaculairement augmenté au point qu’on vit apparaître dans les classes moyennes (enseignants, cadres des entreprises etc.) des signes apparents d’amélioration de leur pouvoir d’achat qui s’est notamment traduit par l’achat d’un véhicule et d’appareils électroménagers. Depuis cette date les salaires n’ont malheureusement plus bougés tandis que les prix à la consommation ne cessaient de déraper sous l’effet d’une l’inflation couplée à une progressive dévaluation du dinar qui frappaient les produits importés. Le différentiel entre les salaires et les prix est aujourd’hui si grand qu’il a largement laminé le pouvoir d’achat des ouvriers et des classes moyennes. Alors qu’en 2014 un enseignant parvenait à faire vivre sa famille avec un salaire moyen de 3700 dinars, en 2018 il fallait au minimum 45.000 selon les estimations conjointes de certains syndicats.
Contenue à des proportions gérables durant toute la période de flambée des cours du pétrole, l’inflation a en effet commencé à déraper dès Août 2016 date à la quelle les prix du Brent avaient subi un très fort déclin. Elle a fait un premier bon à 5,8%, puis un second à 7%, à la fin de l’année 2017, selon les chiffres publiés rendus publique par le ministère du Commerce. Même si les chiffres du gouvernement ne font part que d’une inflation ne dépassant guère 5%, les estimations prospectives émises par la Banque Mondiale et confortées par de nombreux économistes, tablent sur un taux d’inflation d’au minimum 9% d’ici la fin de l’année en cours du fait d’un faisceau d’indices. De nombreux déterminants tendent en effet à conforter ce pronostic, à commencer par les lois de finances de ces trois dernières années qui avaient soumis plus d’un millier de produits importés à des taxes additionnelles, le recours massif à la TVA et l’érosion quasi continue de la parité du dinar. Le pouvoir d’achat des algériens en sera gravement affecté. Le soutien apporté par l’Etat à certains produits (pain, lait, eau, électricité, gaz, transport public etc.) ne suffira pas à contenir l’inflation dans une proportion acceptable tant l’envolée des prix a affecté toute la panoplie de produits auxquels se réfère l’Office National des Statistiques (ONS) pour calculer les taux officiels de l’inflation.
Il faut en effet savoir que les taux d’inflation officiels calculés par l’ONS sont des chiffres volontairement comprimés du fait qu’ils ne prennent en considération qu’une centaine de produits et services, dont au minimum une trentaine, bénéficient d’un soutien direct ou indirect des prix (pain, lait, carburants, électricité, gaz et eau etc.) ou de prix administrés (céréales, transport de voyageurs, loyers publics etc.). Si l’ONS venait à écarter les produits subventionnés les taux d’inflations ne seraient évidemment pas les mêmes que ceux habituellement calculés. On se retrouverait alors avec des taux d’inflation bien plus élevés qui traduiraient plus fidèlement le ressenti des algériens qui se rendent sur les marchés..
Cette flambée générale des prix à la consommation était en réalité prévisible. Un pays qui construit son économie sur la rente pétrolière et les importations plutôt que sur le travail et la richesse tirée de la production, ne saurait s’attendre à un meilleur destin économique et social. Faute de richesses générées localement et stabilité des cours du pétrole le budget de l’Etat qui conditionne une bonne partie de l’activité économique, la parité du dinar par rapport au dollar a du être dévaluée de 25% durant l’année 2018 et le processus de dévaluation n’est pas prés de s’arrêter. L’Algérie important une part non négligeable des produits de subsistance cette dévaluation a considérablement tirés les produits de consommation importés vers le haut. Les produits manufacturés en Algérie ont généralement suivi tendance à la hausse par imitation. On estime que les prix des produits importés ont renchéri d’au moins 20% en moyenne, uniquement du fait de la dégradation des taux de change du dinar par rapport au dollar et à l’euro, qui entrent à environ 80% de la composition des monnaies de compte des importations.
À cette dévaluation rampante du dinar qui avait déjà fortement ébranlé les prix à la consommation en 2016 et qui s’est poursuivie tout au long des deux années suivantes, est venue s’ajouter toute une panoplie de taxes instaurées par les lois de finances annuelles et complémentaires des années consécutives (généralisation de la TVA, valeurs administrées pour les fruits importés, taxes supplémentaires pour les carburants, les cigarettes, les alcools et autres) qui ont fait bondir de façon spectaculaire, les prix des produits
importés, qui constituent le plus gros de la consommation algérienne. Toutes ces mesures à l’origine du regain d’inflation ont été prises par le gouvernement dans le but de réduire le déficit budgétaire. Il ne saurait par conséquent les abroger du jour au lendemain du seul fait de pression politique ou sociale d’autant plus que les prix de pétrole ont replongé après une courte période de remontée. Premiers à en ressentir le choc, les travailleurs et les classes moyennes, devront par conséquent prendre longtemps encore leur mal en patience, d’autant plus que les trois prochaines années ne verront pas d’embellie au plan de la rente pétrolière et des exportations hors hydrocarbures. Aucune donnée sérieuse n’indique en tout cas une possible remonté des recettes budgétaires de l’Etat et, encore moins, des réserves de change en constante érosion. Des mesures d’ajustement structurelles initiées directement par le gouvernement algérien ou sous l’autorité du FMI, seront donc inévitables dans le court et moyen terme, pour solvabiliser l’Etat et stabiliser le marché. Ce sont les classes ouvrières et moyennes qui en payeront le plus lourd tribut aux envolées des prix et suppression d’emplois qui en résulteront fatalement de ces ajustements qui ont du reste commencé avec les hausses de prix déjà constatées et les coupes budgétaires qui ont annulé de nombreux projets d’équipement. Ce contexte de régression économique et sociale qui se profile est évidemment propice à de dangereux dérapages sociaux.