La bataille pour l’adhésion de l’opinion publique à l’exploitation de gaz de schiste a, bel et bien, commencé. Entamée par quelques hauts dirigeants de la Sonatrach, c’est maintenant au tour du ministre de l’Énergie, monsieur Mustapha Guitouni, de relayer le battage médiatique destiné à faire admettre comme une fatalité structurelle cette éventualité. Si certains cadres de la Sonatrach ont choisi de mettre les algériens devant le fait accompli, en annonçant le début des opérations de forage et de compression de gaz de schiste à Ahnet (In Salah), le ministre de l’Énergie et, avant lui, le premier ministre Ahmed Ouyahia ont, quant à eux, préféré alarmer directement dans leurs hémicycles, députés et sénateurs sur les difficultés qu’aura très prochainement l’Algérie à honorer ses contrats commerciaux de gaz.
Résolues à maintenir l’Algérie dans un état de pays rentier fortement dépendant de ses recettes d’hydrocarbures, les autorités algériennes n’envisagent en effet toujours pas d’issues de sortie de crise en dehors de la commercialisation de l’énergie fossile d’où qu’elle vienne. Les hydrocarbures conventionnels venant à expiration, c’est vers l’exploitation de gaz et de pétrole de schiste dont l’Algérie regorgerait selon des estimations jamais vérifiées (3é réserve au monde), qu’elles comptent se tourner avec la bénédiction des grandes firmes étrangères qui découvrent subitement le filon. Selon de nombreux médias algériens et étrangers, les États-Unis d’Amériques exerceraient déjà des pressions sur certains dirigeants algériens acquis à leur cause afin qu’ils facilitent l’accès aux nouveaux champs de gaz et pétrole de schistes à leurs firmes pétrolières. Affirmation qu’on ne peut évidemment vérifier du fait qu’aucun champ, hors mis celui d’Ahnet (In Salah), confié en 2014, à la firme américaine Haliburton, n’a été mis en concession à ce jour.
Il y a pourtant de bonnes raisons de s’interroger sur la fiabilité d’un tel choix pris en vase clos en dépit de la résistance populaire qui s’était, on s’en souvient, manifestée très bruyamment en janvier 2015, à In Salah. Leurs légitimes craintes quant aux conséquences sociales et environnementales n’ont, malheureusement pas, été entendues par les autorités concernées qui savaient pourtant pertinemment que l’exploitation du gaz de schiste se fait nécessairement au moyen de fracturations hydrauliques consistant à injecter de grandes quantités d’eau à haute pression pour ouvrir les roches réservoirs et en extraire les hydrocarbures qu’elles renferment. A l’évidence, de telles quantités d’eau mêlées à des produits chimiques, constituent une réelle menace pour la nappe souterraine et tout l’écosystème environnant. Dans le contexte d’hyper aridité qui affecte particulièrement les régions où se trouvent les réserves d’hydrocarbures non conventionnels, il paraît effectivement déraisonnable de mettre en danger les populations et leur milieu vital, uniquement pour des raisons mercantiles.
« Les menaces de pollution qui pèsent sur les nappes phréatiques et, tout particulièrement sur la nappe Albienne, ne sont pas seulement une vue de l’esprit, elles sont la triste réalité », estime un membre actif d’une association écologique locale qui s’offusque à l’idée que l’Etat algérien dont la vocation est de défendre la patrie contre ce type de prédation, puisse accorder à des entreprises pétrolières, quelles que soient leurs nationalités, l’autorisation de polluer ces nappes qui constituent la richesse pérenne de cette région hyper aride. La technique de fracturation hydraulique, qui nécessite l’utilisation de 20 000 litres m3 par puits, mélangés à toute une panoplie de produits chimiques est en effet dangereuse pour les nappes et les cours d’eaux et par conséquent pour les populations locales exposées à toutes sortes de contaminations affectant les terres, les animaux et la végétation.
Pour compenser les manques à gagner des réserves conventionnelles en déclin, d’autres voies sont pourtant possibles, à commencer par le développement des énergies renouvelables et la diversification économique qui extirperont, si elles sont menées à bien, l’Algérie de sa dépendance des seules recettes d’hydrocarbures. Pour la société civile hostile aux forages déjà effectués à In Salah, l’exploitation de gaz de schiste constitue à plus d’un titre un véritable péril pour la région, mais aussi, pour le pays tout entier. Les puissantes firmes d’hydrocarbures ne sauraient, dit-on à juste raison, rester insensible au pactole financier qu’elles pourraient tirer de cette 3é réserve mondiale de pétrole et gaz de schiste dont elles maîtrisent parfaitement les techniques d’extraction. Les exploitations de gaz de schistes étant généralement constituées de petits forages, on imagine effectivement mal la Sonatrach qui a pour habitude d’opérer sur des puits géants (Hassi Messaoud, Hassi R’mel, Gasi Touil etc.), se rabattre sur ces minuscules forages qui risquent de lui faire perdre beaucoup d’argent et l’obliger à se débarrasser à terme de ces puits, au profit de petites firmes étrangères, notamment américaines, qui excellent dans ce type de forages.
Se lancer dans cette voie pourrait, est-on convaincu, conduire à une perte progressive de souveraineté sur les gisements d’hydrocarbures et à une mise en danger de toutes les zones où les multinationales seront amenées à effectuer des tests expérimentaux qui précèdent généralement l’extraction proprement dite. « Personne ne pourra contrôler ces sociétés appuyées par leurs puissants gouvernements », estime un des représentants de cette association écologique locale.
Plutôt que de se lancer tête baissée dans l’exploitation à haut risque de pétrole et gaz de schistes, d’aucuns recommandent de relancer rapidement le débat sur la transition énergétique qui avait commencé à poindre à la faveur des manifestations populaires d’In Salah, mais que l’on soudainement abandonné sans doute en raison de la maladie du président Bouteflika, seul habilité à prendre des décisions en matière de stratégie énergétique.
Un conseil des ministres a certes donné des orientations fermes pour aller plus résolument vers un mix d’énergies faisant la part belle à l’énergie solaire (22.000 MW à l’horizon 2025) mais, au rythme exagérément lent où vont les investissements y afférents, il y a vraiment peu de chance que l’objectif soit atteint à cette échéance. Les quantités de gaz à exporter se réduisant chaque année un peu plus, au point de créer à l’Etat algérien un gros problème de recettes budgétaires, il est à craindre que la pression sur le gouvernement algérien soit si forte, qu’il sera vite contraint d’ouvrir la voie à l’extraction massive d’hydrocarbures non conventionnels avec, à la clé, l’octroi de concessions à une multitude de petites sociétés étrangères qui maîtrisent parfaitement le métier, alors que l’Algérie ne dispose à ce jour d’aucune société de ce genre, hors mis la Sonatrach qui ne pourra pas s’occuper d’aussi minuscules exploitations, en raison de sa trop