«La bourse d’Alger aurait pu être une alternative, et je pense qu’elle peut toujours être une alternative, car, elle est le seul moyen pour lever concrètement les fonds qui sont dans la société, sans passer par les oukases des banques publiques ou des donneurs d’ordres de ces banques»a expliqué, l’expert financier Ferhat Ait Ali, qui était l’invité du forum du journal Liberté
Selon lui «un algérien lambda, pourrait aller acheter des actions dans une bourse, parceque son argent n’est pas dans un compte donné, et orienté hors de ces désirs d’investissement», par contre, a-t-il ajouté «si je vais dans une banque et je dépose mon argent, sous la promesse que cette banque va financer l’investissement, elle n’ira pas l’investir forcément dans ce que moi je voulais investir».
«Ce maintien de la bourse dans cet état végétatif, n’est pas le fruit du hasard. C’est impossible de croire que, pendant 30 ans, elle est l’une des rares bourses au monde qui n’a pas dépassé les 6 inscrits en bourse», a-t-il souligné, en rappelant que, «le gouvernement de l’époque qui avait lancé la bourse, c’était un palliatif au manque de liquidité dans le système financier traditionnel, et aussi, avec l’idée de sortir petit à petit de l’obligation de se financer chez les banques, et d’autres, ont vu que, se financer ailleurs que les banques pouvait autonomiser l’économie algérienne et aussi, la société de cette emprise bureaucratique sur la rente et les sources de financements».
Pour lui, tout a été fait pour que la bourse reste à l’état végétatif. «Aujourd’hui, n’ayant plus les moyens de leurs politiques, certains veulent une fuite en avant, mais d’autres pensent que, la bourse est une alternative sérieuse».
«Il faut créer un système financier alternatif. Nous n’avons plus le choix. Fermer immédiatement ces banques publiques c’est la faillite intégrale, et les laisser continuer c’est de la faillite à moyen terme», a expliqué M. Ait Ali, qui a préconisé de créer «un système dérivatif, avant de commencer à les restructurer et les réformer(les banques). Il faut leur retirer l’essentiel portefeuille économique et les créances vers un système alternatif, qui n’est autre que la bourse, qui permet plus de fluidité et de liquidité et qui attire plus l’investissement».
«Nous ne pouvons pas faire une économie de marché avec une bureaucratie dirigiste»
Pour dépasser cette logique de rente de l’économie algérienne, et aller vers une logique de production, M. Ait Ali a estimé que, ce n’est pas aux pouvoirs publics de lancer des politiques de productivité, d’industrialisation et encore moins d’investissements.
«(…) Nous ne pouvons pas faire une économie de marché avec une bureaucratie dirigiste. Nous ne pouvons pas financer les investissements, à majorité ou totalité privés, avec les banques publiques. Ça ne tient pas la route», a-t-il expliqué.
Selon M. Ait Ali «on ne peut pas avoir un système financier public et avoir en même temps un tissu économique privé. Là où il y a jonction entre les deux phénomènes, ce n’est pas de la complémentarité et encore moins de la coopération. Parce qu’il y aura, celui qui tient l’amont qui va essayer de prendre le dessus sur celui qui tient l’aval. Donc, le système financier intègre va essayer de prendre le dessus, ce qui est en train de se faire, sur l’aval, on le soumettant à ses desideratas en matière d’investissements, et ceux qui sont dans l’aval, vont essayer de contourner l’amont, et c’est ce qui se fait à travers l’informel».
«Si nous avons un circuit informel extrêmement important, ce n’est pas le fruit du hasard, ce n’est pas une délinquance qui est venue ex-nihilo se greffer sur un système vertueux», a-t-il indiqué, en expliquant que «le système informel est une mutation génétique du système dit formel. Il y a un circuit fermé, les deux s’alimentent mutuellement».
Il a poursuivi en disant : « Mais pourquoi les gens thésaurisent leur argent et le font échapper au système dit formel, c’est parce qu’il y a une méfiance réciproque entre les deux entités. Dans l’état actuel des choses, l’informel est plus formel que le formel parce que c’est lui la société. Quand la société se méfie d’un ordre établi elle passe à l’informel. Mais, ça ne veut pas dire qu’elle a disparu, on ne peut pas qualifier toute une société de délinquance, alors que la majorité dans n’importe quel pays du monde, est justement cette société. Elle a essayé de se fabriquer un phénomène délictuel de résistance non pas passive mais active, au système qu’elle estime elle-même informel».
«Si les Algériens décident, par élan patriotique à mettre leur argent dans le circuit financier visible, est-ce qu’ils ont des garanties qu’il ne subira pas une éventuelle dévaluation massive, qu’il ne servira pas autre chose que leurs intérêts et qu’on ne va pas les tarabuster sur l’origine des fonds?», a-t-il précisé.
Selon M. Ait Ali, pour lutter contre le phénomène de l’informel, «ce n’est pas en lâchant une meute d’inspecteurs, mais, en luttant contre un autre phénomène qui est l’informalité de la politique en général en Algérie», en précisant que «les cercles des décisions économiques ne soient plus des cercles occultes».
«Aucun investisseur ou financier au monde n’acceptera de traiter en catimini et dans le noir avec des cercles qui n’ont pas de visibilité publique. Les gens quand ils vont dans un pays, ce n’est pas parce qu’ils connaissent quelqu’un de puissant, mais parce qu’il traite avec une entité qui a l’aval de sa population», a estimé M. Ait Ali, en ajoutant qu’en matière de lancement d’investissements, «nous ne pouvons pas aussi, décider de manière impérative, de qui doit faire quoi, où, comment et quand de manière discrétionnaire».
«Si nous voulons relancer l’économie je crois que les 43 millions d’Algériens sont capables de le faire. Ce n’est pas du populisme. La société est capable de s’organiser », a-t-il soutenu. «La débandade se passe en haut. Si cette débandade s’arrête un peu plus haut, la société peut s’organiser dans quelques années», a-t-il estimé.
Planche à billets : une stratégie du gouvernement pour empêcher la société de s’autonomiser
«Cette politique de création monétaire, est justement, une stratégie du gouvernement pour empêcher la société à s’autonomiser. C’est vrai que c’est une obligation car, il n’avait pas le choix», a expliqué Ferhat Ait Ali, qui a ajouté que «cette décision de ne pas recourir à l’endettement extérieur, c’est une reconnaissance tacite, de l’incapacité de l’Algérie à lever des fonds à l’international avec cette vision de l’économie. Personne ne nous prêtera si nous continuons sur le même cheminement».
Selon lui, en matière d’endettement interne, il n’y avait pas le moyen de solliciter la société, et il restait le recours à la Banque d’Algérie, et il se trouvait que, cette institution avait créé l’argent ex nihilo pour le gouvernement. «C’est une soudure artificielle, comme ce serait dans toutes les économies du monde pour pouvoir lancer une machine, mais, si la machine n’existe pas, c’est une catastrophe. Comme c’est le cas en Algérie. Ici on est en train de relancer la capacité du gouvernement à gripper les machines», a-t-il analysé.