La technologie télécoms par satellite, longtemps prisée pour l’accès à Internet à haut débit sur le continent, a connu un certain passage à vide avec l’effervescence suscitée par la fibre optique dès 2007. Mais elle revient aujourd’hui en force, portée par l’impératif des Etats africains de connecter leurs populations, urbaines comme rurales, pour faire de l’Internet un moteur de croissance inclusive.
En 2007, sur tout le continent africain, seulement 22 millions de personnes avaient accès à Internet, soit un taux de pénétration d’à peine 5% (Source UIT). Les nations africaines, réunies à Kigali, pour le sommet Connecter l’Afrique, décidèrent alors de se tourner vers la fibre optique pour améliorer l’accès des populations au haut débit et impulser le développement socio-économique.
Des programmes régionaux- Central Africa Backbone (CAB), Programme régional d’infrastructures de communication (RCIP) pour l’Afrique orientale et australe, Programme régional d’infrastructures de communication de l’Afrique de l’Ouest (WARCIP), sont ainsi élaborés avec le soutien de la Banque Mondiale. Leur objectif final est le maillage du continent. Cette solution intervient comme une réponse à l’échec du satellite à réduire l’énorme fracture numérique que vit alors l’Afrique. Dès 2010, les déploiements de réseaux de fibre optique se multiplient dans diverses parties du continent. Peu à peu, la fibre optique devient la technologie de l’heure, avec ses débits pouvant atteindre 1Gbps. Considérée comme la réponse au problème d’accès à Internet en Afrique, la fibre optique finit par prendre le pas sur le satellite qui apparaît alors comme une technologie du passé.
Mais dès 2014, face à la demande en connectivité Internet des populations des zones rurales- près de 60% de la population africaine- désireuses de jouir également des opportunités offertes par le numérique, le satellite va prendre sa revanche. Il viendra répondre aux défis rencontrés par plusieurs pays qui ont investi dans la fibre optique, notamment au problème du dernier kilomètre. Tirer l’infrastructure télécoms dans l’arrière-pays, souvent caractérisé par un relief accidenté, coûte cher. De plus, le réseau de fibre optique connaît de nombreuses interruptions accidentelles ou liées des actes de vandalisme.
A nouveau sous les feux des projecteurs, les opérateurs télécoms par satellites vont profiter de cette opportunité pour renforcer leurs investissements sur le continent. Bien que le marché des télécommunications par satellite soit aujourd’hui disputé par une pléthore d’opérateurs, cinq grands groupes se disputent le leadership dans ce segment de marché.
Eutelsat : Le fournisseur européen de services télécoms par satellite couvre aujourd’hui l’Afrique en services télécoms avec une douzaine de satellites. En 2015, une filiale spéciale dédiée au marché africain à même été créée. Elle se nomme Konnect Africa.
En 2017, elle a entamé la commercialisation de ses services, via un réseau de partenaires dans neuf pays que sont le Bénin, le Cameroun, le Kenya, le Lesotho, le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Tanzanie et l’Ouganda. La filiale prévoit de couvrir la majeure partie de l’Afrique subsaharienne d’ici 2019. Laurent Grimaldi, le directeur général de Konnect Africa, expliquait, lors du lancement de cette branche africaine, qu’elle témoigne du grand intérêt que le groupe Eutelsat a pour le continent. « Nous visons à ouvrir de nouvelles opportunités autour du haut débit et à multiplier son impact pour le développement de plusieurs secteurs clés tels que celui de la santé, l’éducation, l’agriculture ou celui des PME », indiquait-t-il.
Intelsat : La société américaine Intelsat offre actuellement les services télécoms par satellite en Afrique via six satellites propulsés au- dessus du continent. Le dernier équipement spatial, Intelsat 33e, a été mis en orbite en 2016 avec pour objectif d’apporter le haut débit dans les zones reculées d’Afrique.
La société a par la suite multiplié des accords de partenariat avec divers acteurs du secteur télécoms afin de concrétiser ses ambitions désenclavement des localités qui ne sont pas encore desservies par les réseaux terrestres des opérateurs de téléphonie mobile. En 2016, elle a signé un accord de mutualisation de capacités avec AfricaOnline, la filiale de Gondwana International Networks, pour couvrir toute l’Afrique subsaharienne avec Internet haut débit.
En 2017, la société a signé un contrat avec le fournisseur de services BCom et le fabricant de technologies et d’équipements satellite Newtec pour le lancement d’un service clé en main, IntelsatOne Mobile Reach Solar 2G, qui permettra aux opérateurs de réseaux mobiles d’étendre les services de voix aux populations situées dans des zones isolées dans toute l’Afrique subsaharienne où l’infrastructure terrestre est limitée.
Yahsat : Depuis janvier 2018, la société émiratie Yahsat fourni des services télécoms en Afrique via trois satellites. Le dernier du groupe, Al Yah 3, a permis à l’entreprise d’étendre sa couverture commerciale en bande Ka à 19 marchés supplémentaires en Afrique, atteignant 60% de la population du continent. Al Yah 3, un satellite 100% bande Ka, est le premier satellite GEOStar-3 à propulsion électrique hybride, complété par le constructeur aérospatial américain Orbital ATK. Al Yah 3 rejoint les programmes Yahsat Al Yah 1 et Al Yah 2 lancés respectivement en 2011 et 2012. Al Yah 3 va tripler la couverture commerciale de la bande Ka par Yahsat en Afrique. D’après Farhad Khan, le directeur commercial de Yahsat, « l’Afrique reste pour nous un marché hautement prioritaire. Avec le lancement d’Al Yah 3, nous allons non seulement nous développer sur de nouveaux marchés en Afrique, mais nous aurons également davantage de capacité pour servir les marchés actuels comme l’Afrique du Sud ».
SES : La Société Européenne des Satellites (SES), basée au Luxembourg, opère en Afrique via une dizaine de satellites. En plus de ses propres équipements en orbite terrestre géostationnaire, la compagnie qui a acquis O3B Networks en juillet 2016, bénéficie également des satellites en orbite terrestre moyenne de l’entreprise. Grâce à ces atouts, la société propose actuellement des solutions de communications par satellite aux fournisseurs de services Internet, aux opérateurs de réseaux fixes et mobiles qui prospectent les niches de marchés des zones enclavées, nouveau filon à fort potentiel pour l’accroissement de revenus.
Avanti Communication : La société britannique Avanti Communication est actuellement présente en Afrique à travers trois satellites : le HYLAS 1, le HYLAS 2 et le HYLAS 4, mit en orbite en avril 2018. Grâce à ce nouvel équipement, la société multiplie actuellement les contrats de fourniture de capacités télécoms avec les opérateurs qui veulent toucher les zones reculées de leur marché. C’est le cas de celui signé en novembre avec Logical Wireless pour apporter l’Internet «économique et fiable» dans les régions reculées d’Afrique via le HYLAS 4. Avant cela, en août dernier, c’est avec iWayAfrica que la société avait signé pour bénéficier des capacités du satellite HYLAS 4 dans le cadre de ses activités de fournisseur panafricain de solutions de télécommunication par satellite en Afrique. En 2014, Avanti Communication avait levé, à travers un emprunt obligataire, la somme de 157,7 millions $, pour financer la fabrication du satellite HYLAS 4, qui devait couvrir de nouveaux marchés sur le continent africain. Les fonds collectés ont également servi à renforcer l’efficience des satellites Hylas 1 et 2. Le satellite qui s’avère incontournable, car complémentaire à la fibre optique pour répondre au besoin d’accès aux services télécoms des populations rurales et enclavées, a suscité chez une poignée de pays un désir d’indépendance stratégique et surtout d’économies financières.
Les pionniers du continent : Bien que quelques pays africains affichent un certain dynamisme dans la conquête spatiale, il faut tout de même souligner que très peu jouissent déjà d’un satellite de communications. En effet, les investissements entrepris ces dernières années ont beaucoup plus porté, certes sur des satellites, mais d’observation de la terre. Malgré cela, il faut souligner qu’une impulsion a déjà été émise par une minorité de pays qui ont osé investir dans un satellite de communications. Cette impulsion devrait se répandre rapidement et inspirer les autres pays.
Le Nigeria : En 2011, le Nigeria a mis en orbite son satellite de Communication baptisé Nigcomsat-1R. Le gouvernement indiquait alors que, grâce à cet équipement lancé depuis Xichang, en Chine, le pays économiserait 162 milliards de nairas (1 milliard de dollars) qu’il dépensait chaque année pour acheter de la bande passante d’Europe et d’Amérique afin de gérer ses communications GSM et d’autres aspects de son économie et de sa vie sociale.
Le gouvernement indiquait alors que, grâce à cet équipement lancé depuis Xichang, en Chine, le pays économiserait 1 milliard de dollars qu’il dépensait chaque année pour acheter de la bande passante d’Europe et d’Amérique.
NigcomSat-1R n’avait rien coûté au Nigéria, car il remplaçait le satellite NigeriaSat-1 d’une valeur de 40 milliards de nairas (340 millions de dollars), également envoyé dans l’espace depuis la Chine en mai 2007 et dont le signal avait été perdu en novembre 2008, après 18 mois de présence en orbite. L’assurance avait donc pris en charge l’opération. Le Nigeria songe actuellement à lancer deux nouveaux satellites de communications dans l’espace. Il cherche des partenaires financiers pour l’accompagner dans ces projets.
Algérie : Le 10 décembre 2017, le tout premier satellite de télécommunications algérien, Alcomsat-1 a fait le voyage vers son orbite finale de 24°8 Ouest, 35 800 km au dessus de l’Algérie, qu’il a atteint le 15 décembre 2017. L’équipement télécoms, construit par la société China Aerospace Science and Technology Corporation (CASC), a été lancé depuis la Chine, dans la base de Xichang, sur une fusée Long March 3BE. Le satellite va couvrir le territoire national avec un débit de 20Mbps et renforcera ainsi la capacité data haut débit déjà fournie par le réseau de fibre optique déployé par Algérie Telecom. Hormis la fourniture de services télécoms aux civils, l’équipement répondra aux besoins de l’armée et des secteurs stratégiques de l’Etat en moyens télécoms. L’Agence Spatiale Algérienne travaille déjà sur le second satellite de communication du pays, l’Alcomsat-2.
Angola : Bien qu’il ait finalement perdu le contact dans l’espace avec son satellite de télécommunications, Angosat-1, lancé le 26 décembre 2017 sur le porte-fusée ukrainien Zenit, depuis le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan, l’Angola peut se vanter d’avoir réussi à se doter d’un équipement du genre. Acquis auprès du consortium formé de RSC Energia, Telecom-Projecto 5 et Rosoboronexport, le satellite d’une valeur de plus de 300 millions de dollars US, financé en partie par la banque publique russe, Ruseximbank, sera remplacée à titre de compensation par Angosat-2, en cours de construction par Roscosmos, l’agence publique chargée du programme spatial civil russe.
RD Congo : La République démocratique du Congo voudrait être comptée parmi les leaders des télécommunications en Afrique. Pour atteindre cette ambition, le pays prépare actuellement la construction de son premier satellite de télécommunications.
Le projet baptisé Congo-SAT est évalué à hauteur de 320 millions de dollars. Il est le fruit d’un partenariat entre le pays et la société chinoise spécialisé dans les projets satellitaires, China Great Wall Industry Corporation.
Le pays prépare actuellement la construction de son premier satellite de télécommunications. Le projet baptisé Congo-SAT est évalué à hauteur de 320 millions de dollars.
Le 23 juin 2015, à Kinshasa, sa maquette avait été dévoilée par le vice-premier ministre et ministre des Postes, télécommunications et NTIC, Thomas Luhaka Losendjola. Le projet est censé contribuer également à l’amélioration et à la sécurisation des communications stratégiques. Il pourra par ailleurs servir à assurer et fournir les services publics de télécommunications, spécialement dans les régions à faible densité de population.
Et au niveau panafricain : Au niveau continental, l’engouement actuel autour des télécommunications par satellite n’a pas laissé de marbre l’Organisation régionale africaine de communications par satellite (Rascom), fondée en 1992 et quelque peu figée après le lancement de son deuxième satellite en 2010. Dans le souci de redynamiser ses activités, elle a signé en novembre 2018 un protocole d’accord de coopération avec le ministère de la Poste, des Télécommunications, des Technologies d’Algérie.
Les termes de cet accord visent au transfert vers l’Algérie du contrôle technique du satellite RSQ1R, mis en orbite par RASCOM, actuellement cogéré par des opérateurs européens
D’après le ministère, l’accord « pose les principaux jalons d’une réappropriation par l’Afrique de ses ressources satellitaires, et la modulation de leur usage pour des applications destinées à contribuer à la promotion de la société de l’information sur notre continent (…) Les termes de cet accord visent, non seulement, au transfert vers l’Algérie du contrôle technique du satellite RSQ1R, mis en orbite par RASCOM, actuellement cogéré par des opérateurs européens, mais également la rentabilisation de cet investissement important, via une redynamisation de son exploitation commerciale »
Ecofin